« Démocratie et nucléaire, c’est incompatible ! »

mars 2016 | PAR Michel Gairaud, Rafi Hamal
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Entretien en partenariat avec Radio Grenouille
Michèle Rivasi, députée européenne EELV du Sud Est, invitée de la Grande Tchatche

66 réacteurs nucléaires sont en construction dans le monde. L’atome se porte-t-il bien 30 ans après Tchernobyl ?
L’industrie nucléaire veut faire croire à sa renaissance mais ne se développe pas du tout ! Ce n’est pas parce qu’il y a quelques centrales nucléaires en construction que c’est forcément reparti pour un tour.

Pourtant même le Japon, où l’on a commémoré le mois dernier les cinq ans de Fukushima, a relancé sa filière nucléaire !
Sur les 42 réacteurs japonais, seulement trois sont en fonctionnement, un quatrième a été redémarré, à la demande d’un Premier ministre extrêmement pro-nucléaire, mais il a été arrêté très rapidement. Après la catastrophe de Fukushima, l’Allemagne a montré la voie en décidant de sortir du nucléaire. Ils utilisent des centrales à charbon modernes comme un moyen de transition avant de passer à 100 % aux énergies renouvelables qu’ils développent avec dynamisme.

En France, à l’inverse, le gouvernement n’a toujours pas tenu sa promesse de fermer une première centrale et annonce vouloir prolonger la durée de vie des réacteurs.
Ségolène Royal veut allonger la durée de vie des centrales de dix ans pour éviter à EDF, dont le budget est déjà complètement dans le rouge, de commencer à démanteler. Les écolos avaient raison quand ils disaient que le nucléaire est très cher et ne marche pas. Tant que l’État investissait des milliards pour les réacteurs cela pouvait faire illusion mais maintenant que le secteur de l’énergie passe en partie au privé, les banques ne veulent pas avancer l’argent. Areva est à deux doigts de la faillite alors même que la gestion des déchets radioactifs est un problème non résolu. Le site d’enfouissement à Bure pourrait coûter à lui seul la bagatelle de 34 milliards d’euros.

Maintenir en activité les vieilles centrales va coûter une fortune !
En effet ! EDF avait annoncé 55 milliards et la cour des comptes estime maintenant le coût à 100 milliards d’ici 2030 parce qu’après Fukushima il y a eu une remise à niveau des standards du nucléaire en Europe. Si on veut maintenir nos réacteurs il faut notamment réinvestir leur carénage. La déclaration de Ségolène Royal a mis le feu aux poudres chez nos voisins Suisses, allemands et luxembourgeois qui s’inquiètent de l’état des centrales du Bugey et de Fessenheim. Ils peuvent être inquiets lorsque même le président de l’Autorité de sureté nucléaire, Pierre-Franck Chevet, dit qu’on s’attend à un accident dans les années qui viennent en France.

Pourquoi dites-vous que l’opacité caractérise le nucléaire ?
Au Japon, on explique par exemple qu’il faut apprendre à vivre avec des terrains contaminés. C’est d’autant plus dramatique que l’on a voté en Europe des normes autorisant des niveaux très élevés de contamination des aliments, comme le lait ou les végétaux. Je suis en guerre avec la commission européenne car j’étais rapporteur de ce règlement. Quand j’ai demandé à rencontrer les experts du traité Euratom, ils ne sont pas venus. Quand j’ai voulu au moins connaître le nom de ces experts, on m’a dit « c’est confidentiel défense ». La démocratie et le nucléaire, toujours lié au manque de transparence, c’est incompatible !

Comment expliquer la difficulté de chiffrer les victimes de Tchernobyl et Fukushima ?
Tchernobyl, trente ans après, ce n’est pas fini. Parmi les 800 000 liquidateurs, il y a eu énormément de morts, de leucémie, de maladies terribles. Lorsque j’ai été élue députée européenne, avec le groupe Vert, je me suis battue pour qu’on aide les victimes. L’UE a ainsi rénové un hôpital à Ivankov en Ukraine où l’on suit à l’heure actuelle près de 3000 gamins. Ils sont de la troisième génération mais connaissent de très nombreux problèmes du système immunitaire. A Fukushima, l’augmentation des cancers de la thyroïde chez les jeunes est énorme. On peine à chiffrer précisément car les gens du nucléaire refusent de diffuser les données. A Fukushima, une loi interdit même aux médecins de communiquer pour ne pas affoler la population.

EDF n’est-il pas plus fiable, malgré tout, que Tepco au Japon ?
Maintenant que la commission européenne a repris un petit peu le pouvoir, après Fukushima, on a augmenté les standards de la sûreté nucléaire en comprenant la nécessité de penser les effets « dominos » en cas de catastrophe. Il ne faut pas en effet raisonner un aléa après l’autre mais en les cumulant : par exemple un séisme conjugué à une inondation et à une rupture de digue… Les standards de sécurité sont meilleurs sauf que tous les travaux n’ont pas été faits !

Même EDF le reconnaît, comme dans ce rapport qui vient de sortir !
Une note interne d’EDF montre en effet que les groupes électrogènes sont dégradés (44 %) ou dans un état inacceptable (14 %). Si demain toutes les armoires électriques sautent, il faut pourtant avoir une source d’alimentation autonome fiable pour pouvoir refroidir le cœur du réacteur sinon il entre en fusion et c’est une explosion d’hydrogène avec sa pollution radioactive.

Est-ce exagérer de dire que la centrale du Tricastin est dans la banlieue marseillaise ?
Il faut d’abord savoir que le Tricastin est l’un des plus vieux réacteurs français, après Fessenheim, qu’il présente des fissures au niveau de la cuve. Si demain un accident s’y produit par fort mistral, toutes les particules radioactives seront sur Marseille. Tchernobyl était à plus de 2 000 km et tout le Sud-Est et la Corse avaient été impactés ! C’est çà qui est terrible : nous vivons avec une épée de Damoclès sur la tête. Je suis allée à Fukushima, j’y ai vu la détresse des gens obligés de partir, d’abandonner leur patrimoine, leur terre, leurs animaux. Ce n’est pas de l’avenir, c’est de la mort qu’ils sont en train de continuer à faire avec ce nucléaire. Il faut qu’on en sorte !

L’EPR, censé être le réacteur du futur, accumule les fiascos…
Le réacteur en Finlande a plus de dix ans de retard et n’a toujours pas démarré. Celui de Flamanville est encore en chantier et a déjà couté une fortune. Pour bâtir l’EPR en Angleterre – c’est un scoop – EDF demande aux chinois de nous aider en leur donnant un terrain pour qu’ils y construisent leur propre réacteur…

Comment expliquer que la France soit le pays le plus nucléarisé au monde ?
EDF est un Etat dans l’Etat. Et tout ce qui touche le nucléaire ne se décide ni au ministère de l’Industrie ni à celui de l’Ecologie mais à l’Elysée avec tous ces conseillers qui sortent du corps des Mines et qui ne veulent pas entendre les demandes de la population. Je voudrais que les gens se mobilisent plus et fassent preuve d’intelligence collective comme on le voit avec les manifs contre le gaz de schiste.

Pourquoi restez-vous malgré tout optimiste ?
Le nucléaire va mourir de sa propre mort car on n’aura bientôt plus les moyens d’assumer l’investissement qu’il demande. Le tout c’est de trouver des alternatives pour tous les salariés qui travaillent dans le secteur. Il faut anticiper le plus possible pour que les gens retrouvent du boulot dans des filières énergétiques d’avenir comme l’éolien, la biomasse, l’hydrolien… Ce sont elles qui sont synonymes d’innovation, d’emploi et de qualité de vie.

Propos recueillis par Michel Gairaud et Rafi Hamal