Eurolinks déboule à balle dans les quartiers Nord

Ce sont les balles de trop ! Les quartiers Nord marseillais font à nouveau la Une de l’actualité au chapitre criminalité : vague de meurtres liée au trafic de drogue, film testostéroné avec Bac Nord. Même Samia Ghali, 4ème adjointe (ex-PS) de Marseille, remet fièrement sur la table son appel à l’intervention de l’armée dans les quartiers. Ironie du sort, une usine liée à l’armement, Eurolinks, actuellement située au sud de la ville à la Pointe-Rouge, s’y installe. Un groupe d’habitants de Château-Gombert s’élève notamment face à une délocalisation silencieuse près du collège Malraux, qui compte près de 900 élèves, et des jardins familiaux du théâtre Athéna.
Eurolinks fabrique des embouts métalliques permettant de maintenir les balles d’armes à feu entre elles, depuis les mitrailleuses d’infanterie jusqu’aux canons légers de marine. Les travaux de sa nouvelle usine, sur le site de la technopole de Château-Gombert, ont commencé depuis février 2021 et devraient se terminer en mars 2022. Ce sont des échafaudages sur le bord de la rue Louis Leprince-Ringuet qui ont interpellé des passants. « C’est impossible qu’une usine vienne s’installer sans que personne ne soit au courant », s’étonne Sophie (1), membre du collectif contre Eurolinks, mi-juillet. « Je trouve ça gênant que tout ait été fait en catimini ! », ajoute Frédéric Pinatel, président du Comité d’Intérêt de Quartier (CIQ) de Château-Gombert. Pourtant, ce projet d’agrandissement – soit un bâtiment de 4000 mètres carrés sur 1,5 hectares – ne date pas d‘hier. « Cela fait depuis 2014 qu’on y réfléchit, se défend Jean-Luc Bonelli, directeur général et petit-fils du fondateur d’Eurolinks. Pour des raisons de coût et de concurrence, nous voulions rester à Marseille pour gagner en compétitivité. »
Débat public confidentiel
C’est Jean-Claude Gaudin, alors encore maire (LR), qui a octroyé le permis de construire à Jean-Luc Bonelli en 2017. S’ensuit une enquête publique en juillet 2018. Pendant deux mois, dix réunions ont eu lieu à la mairie centrale de Marseille et à… Plan-de-Cuques, commune mitoyenne à Château-Gombert. Mais seuls deux Gombertois sur les 6 238 personnes que recense l’Insee dans le noyau villageois ont exprimé un avis sur l’arrivée de l’usine. Devant l’avancée des travaux, certains se résignent. « Il faut être réaliste, on arrive trop tard », juge le président du CIQ. Malgré une pétition en ligne qui affiche près de 1 000 signataires, il ne croit plus possible de faire machine arrière. La famille Giorgis, habitant juste à côté de la zone de travaux, a d’abord déposé une requête pour « trouble au voisinage » au tribunal administratif de Marseille. D’un commun accord avec le patron d’Eurolinks, Jean Giorgis, le père, et Marc, son fils, se rétractent. « J’ai obtenu des garanties : une barrière végétale de 2,5 mètres de haut pour isoler mon jardin et mon fils n’aura pas de construction en face de sa maison », témoigne Jean Giorgis.
D’autres riverains refusent de plier et contestent la légitimité d’une enquête publique qui n’a pas rameuté les foules. « Il faut réétudier l’avis des riverains. Si personne n’a réagi, cela ne veut pas dire que tout le monde est d’accord », souligne le collectif qui, en juin, a réussi à capter l’attention des médias et des caméras de France 3 lors d’un rassemblement près des jardins familiaux du théâtre Athéna. Il redoute notamment les effets des traitements thermiques en four chimiques utilisés pour produire les maillons. « On préserve la terre en bio avec nos enfants et petits-enfants ce n’est pas pour avoir une usine à 50 mètres de chez nous qui va nous envoyer des gaz qui vont détruire nos légumes », proteste Sophie. La pollution sonore due aux va-et-vient des camions est aussi ciblée. « S’il y a un bruit permanent, cela pose un problème quant à la qualité de l’enseignement et de l’attention », prévient Clélia Petit, professeure au collège Malraux.
Les élus en retrait
Le collectif a distribué plus de 2 000 tracts à la sortie des écoles et des commerces pour prévenir de l’arrivée de l’usine. Une résistance qui interpelle le PDG : « On a été vexé, et même attristé. Jamais on ne s’est dit que ça allait poser problème. » Pour « tendre la main » aux plus sceptiques, une visite de l’actuel site à la Pointe-Rouge a eu lieu en juillet avec le CIQ et quelques membres du collectif. Certains crient à « l’achat de la paix sociale » ce dont se défend Jean-Luc Bonelli qui affirme avoir voulu « rassurer, et non acheter la paix de voisinage ».
Ce marseillais d’origine n’en est pas à son premier conflit. Déjà en 2008, des plaintes contre Eurolinks ont été déposées auprès de la Surveillance régionales des odeurs (SRO), dispositif rattaché en 2021 à Atmo-Sud. Des riverains de la Pointe rouge, ancien quartier populaire dans le 8ème aujourd’hui embourgeoisé, se plaignaient d’odeurs, mais aussi de matières grasses et huileuses sur les balcons et d’un bruit continuel. Aujourd’hui, le PDG se défend : « Il y a vingt ans, nous avons commencé un peu plus tôt le matin et ça ne plaisait pas aux voisins. Alors, nous avons décidé de murer les fenêtres de l’usine. Des personnes se plaignaient de projection d’huile, nous y avons aussi remédié. »
Des riverains en colère, une enquête publique qui questionne… Mais que font les pouvoirs publics ? « Nous avons envoyé une trentaine de mails au monde politique divers, aux mairies centrales et de quartiers, à la préfecture…, énumère Sophie. Seule la députée (LREM) Alexandra Louis (1) a répondu à notre courrier. Il faut que ces gens-là se mouillent ! » La devise « le 13&14 mérite le meilleur de Marseille » que porte Marion Bareille (2), maire (LR) de secteur où Eurolinks s’installe, laisse particulièrement sceptiques les pétitionnaires et le collectif : « C’est plutôt à un mariage empoisonné du meilleur et du pire… Eurolinks que nous faisons face ! » Désormais conciliant, le CIQ de Château-Gombert veut prochainement organiser « une réunion technique sur les rejets de l’usine » en présence de Jean-Luc Bonelli et des habitants du village. Frédéric Pinatel, le président du CIQ, craignant un discours « langue de bois » du PDG d’Eurolinks en présence de journalistes, ne souhaite pas ajouter le Ravi ni la presse à sa liste d’invités… Pour la transparence, on repassera !
1. Le prénom a été changé.
2. Alexandra Louis et Marion Bareille n’ont pas répondu à nos demandes d’entretien.