Algérienne de France

octobre 2004
Une poignée de français d'Algérie ont souhaité la décolonisation. Certains ont refusé de prendre leur valise. Ils n'ont pas fini dans un cercueil. Rencontre avec Michèle Fourny, française de nationalité, algérienne de coeur.

« Ah, mais vous êtes algérienne ! », s’exclament souvent les fonctionnaires du consulat algérien, en ouvrant le passeport de Michèle Fourny. La remarque n’est pas pour lui déplaire. C’est un signe qu’elle sera toujours la bienvenue en Algérie, qu’elle y est, en quelque sorte, encore un peu chez elle. Professeur d’anglais à la retraite, militante active à ATTAC, domiciliée aujourd’hui à Aix-en-Provence, Michèle Fourny est française. Mais ses racines sont bien en Algérie : elle y est née, comme son passeport l’indique, elle y a vécu longtemps, ses 4 enfants y sont nés à leur tour. Est-elle pour autant une « pied-noir » ? Un terme avec lequel elle refuse d’emblée qu’on la caractérise. Si elle ne connaît pas l’origine exacte du mot, elle se souvient parfaitement l’avoir entendu pour la 1ère fois durant la guerre d’Algérie, à l’époque « des évènements » comme disaient notamment les pieds-noirs « très Algérie française », ceux convaincus de l’?uvre civilisatrice de la colonisation. « Pour eux, c’est comme Bush en Irak, on apportait la civilisation. » Alors, près de cinquante ans plus tard, elle tient toujours à se démarquer. Dès 1954, elle a pris conscience d’une situation anormale et injuste pour les indigènes .

Son grand-père paternel, originaire de Savoie, arrive en Algérie vers 1890, pour échapper à la misère. C’est un colon au sens strict : l’Etat français lui a accordé une petite concession qu’il est tenu de cultiver, dans un village très rude (pas d’électricité jusqu’à la veille de l’indépendance). La famille maternelle, des instituteurs originaires des Hautes-Alpes, arrive plus tard, dans les années 20. La mère de Michèle Fourny est séduite par un salaire plus élevé, le soleil, la perspective de découvrir une autre vie tout en restant en France : une forme d’esprit d’aventure. Michèle naît en 1936, dans le sud oranais, près de Béchar. Elle passe son enfance à Géryville (aujourd’hui El Bayadh). Elle se souvient d’hivers sous la neige, du froid qui fait éclater les conduites : El Bayadh culmine à 1376 m. d’altitude, plus haut que Briançon ! En classe, elle aura quelques camarades indigènes, issues de milieux plutôt favorisés. Pas avant le collège : il n’y a pas d’indigènes dans les classes primaires…

La société n’est pourtant pas entièrement cloisonnée, mais fortement inégalitaire ; les familles pieds-noirs ont ainsi toutes une femme de ménage algérienne, à qui on fait entièrement confiance pour s’occuper des enfants pendant que l’on est au travail. Michèle Fourny se souvient aussi fortement du racisme des pieds-noirs. Pas simplement envers les indigènes, mais entre les pieds-noirs eux-mêmes : « être Français de France, ce n’était pas pareil qu’être d’origine espagnole ou maltaise. Et le mépris pour les Juifs était souvent total. »

En 1954, à l’école normale de Ben Aknoun (« un véritable séminaire laïc : on nous inculquait une véritable morale »), elle se lie d’amitié avec une Algérienne, la seule de la classe. Cette adolescente a une conscience politique déjà très affirmée. Elle permet à la jeune adulte de rencontrer les « libéraux d’Algérie ». Ces quelques pieds-noirs (certains religieux, enseignants, bénévoles du milieu caritatif…) comprennent que l’Algérie doit évoluer vers une société moins inégalitaire. Bien que minoritaires, ils se sentent soutenus par une bonne partie de la presse française : Témoignage Chrétien, le Canard Enchaîné, l’Express, Le Monde, le Nouvel Observateur. Michèle Fourny prend alors conscience que l’indépendance de l’Algérie est dans le « sens de l’Histoire ».

En 1962, elle choisit, en toute logique, de ne pas se rapatrier en métropole. Elle hésite durant quelques temps à prendre la nationalité algérienne. Elle vote même lors d’une présidentielle algérienne (les accords d’Evian ont permis aux Français restés en Algérie de bénéficier durant 3 ans d’une double citoyenneté). Puis, peu à peu, elle comprend, presque intuitivement, qu’elle ne fait pas vraiment partie de la nation algérienne. En 1979, professeur d’anglais, elle se retrouve sans poste. L’épisode se rajoute à une certaine lassitude, aux difficultés récurrentes de la vie quotidienne (les coupures d’eau…), à l’évolution de la société algérienne (la nouvelle bourgeoisie qui érige des villas imposantes…). Autant d’éléments qui finissent par la conduire à s’installer définitivement à Aix-en-Provence. Son mari la rejoindra quelques années plus tard.

Depuis, Michèle Fourny retourne régulièrement en Algérie. La dernière fois, c’était en 2000. Enrico Macias, pour qui elle a maintenant une certaine tendresse « car il a su retrouver ses racines juives d’Algérie, sans amertume, à travers la musique arabo-andalouse », devait faire une tournée en Algérie. Alors elle s’est dit « merde, il faut que j’y aille avant lui ! ». A Alger, on entendait la musique d’Enrico partout. « J’ai ramené deux cassettes pirates, c’est mon côté pied-noir. » Pourtant, juge-t-elle, « quelque chose a été raté ». Voyager de Marseille à Alger ou d’Alger à Marseille devrait être simple. Tout comme aller rendre visite à ses proches, ses amis, « au lieu de ces voyages organisés pour visiter un cimetière ». Mais, un mur de formalités sépare l’Algérie et la France, « surtout si vous êtes Algérien et que vous voulez traverser la Méditerranée ». Michèle Fourny aime que les douaniers feignent de croire qu’elle est Algérienne. Elle aimerait plus encore qu’ils ne lui demandent plus un visa.

Pierrick Cezanne-Bert

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