Armées : au rapport !

juin 2008

On pensait Paca exclusivement bleu UMP, elle est aussi largement vert kaki. Elle devrait rester la région la plus militarisée de France malgré les réformes annoncées pour réaliser des économies…

Bonne nouvelle. Le « Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale », annoncé pour le 11 juin et qui doit déterminer la stratégie militaire de la France à l’horizon 2020, est catégorique : plus personne ne souhaite envahir notre beau pays. Signe de son irrémédiable déclin, comme le martèle Nicolas Sarkozy ? Le document est muet sur le sujet. Mais s’il reste des âmes belliqueuses que l’idée de débarquer dans l’Hexagone titille, un conseil du Ravi : ne passez pas par Paca ! Le terrain y est particulièrement miné. Et malgré une réforme de la carte militaire, dont notre président de la République s’est gardé la primeur de la communication pour le 14 juillet, source de nombreuses inquiétudes et rumeurs, il devrait le rester. Si Briançon (05) semble réellement menacée par le regroupement des bataillons de chasseurs alpins en un même lieu, probablement hors de la région, Orange (84) et Salon-de-Provence (13), autres noms qui circulent, sont relativement sereines (1). « Ca paraît même un peu fou en ce qui concerne Salon : elle abrite la patrouille de France », explique Bernard Bourdelin, délégué régional de la CGT des personnels civils de la défense. Les seules conséquences directes pour les militaires devraient se limiter à des regroupements de services et à la vente de casernes. De bonnes opérations foncières en perspective. « Celle du Muy, à Marseille, devrait accueillir à l’avenir des services universitaires », croit savoir le syndicaliste. A moins que la Ville, toujours en manque de foncier, ne la revende à un promoteur… Des broutilles finalement. Preuve que la sérénité est de mise en Paca : les élus locaux étaient beaucoup moins silencieux au moment des annonces de la carte judiciaire et de la réforme hospitalière. Conclusion rassurée du capitaine de vaisseau Christophe Michel, chef d’état-major interarmées de la zone de défense Sud (2) : « Contrairement au nord et à l’est de la France, dont la militarisation avait été décidée pour pallier une attaque de Moscou, il n’y a aucune raison stratégique à ce que l’implantation militaire de Paca soit modifiée. » Place forte depuis toujours du fait de son ouverture maritime, qui permet des projections en opération rapide (par mer ou par air), Paca va donc garder toute sa puissance de frappe (3). Et elle est immense ! Toutes les armes (terre, air et marine) l’honorent de leur présence, ainsi qu’un préfet militaire, le président de la commission de la défense à l’Assemblée nationale, le très fameux lycée militaire d’Aix-en-Provence, le commandement national de la Légion étrangère d’Aubagne et le camp de Canjuers, plus grande aire de jeux militaires d’Europe. En concurrence avec la Bretagne pour le titre de région la plus militarisée de France, Provence-Alpes-Côte d’Azur a des implantations dans ses six départements. Le Var est sans conteste celui qui accueille le plus de militaires et d’armées de l’Hexagone. Cerise sur le gâteau : la base aérienne d’Istres abrite régulièrement quelques petits engins nucléaires à tendance génocidaire (4). En tout, 45 000 militaires, dont environ 10 000 civils de la défense, auxquels s’ajoutent les familles et les retraités, et quelques 35 000 salariés du secteur spatial, aéronautique et militaire (Eurocopter, Dassault, Alcatel, direction générale de l’armement, direction des chantiers navals, leurs sous-traitants…). Le tout pour le plus grand plaisir de nos élus locaux, de gauche comme de droite. Aucun n’a jusqu’à présent demandé le départ d’un régiment, voire d’un bataillon. « En trente ans de carrière, en Paca comme en Bretagne, j’ai toujours eu l’impression que les politiques, quel que soit leur bord, ont un regard favorable sur les implantations. Certainement parce que la population militaire est stabilisée, organisée et, par expérience, ne vas pas mettre la pagaille », savoure Christophe Michel, officier de marine. Le mythe d’une armée du peuple, née de la Révolution, au service de la nation participe également de la bonne disposition des élus et de la population vis-à-vis des militaires. « Notre image est encore meilleure depuis la professionnalisation, notamment parce que le volontarisme a gommé le sentiment du don de temps », complète le capitaine Simon, officier de communication de l’état-major interarmées de la zone de défense Sud. L’apport financier de la grande muette contribue également pour beaucoup à sa popularité. Car l’armée est généreuse. En 2005, elle injectait plus d’un milliard d’euros en salaires sur la région. Chiffre auquel il faut ajouter quelques centaines de millions pour les dépenses de fonctionnement. En additionnant l’industrie, le poids économique total de la défense en Paca dépasse les 5 milliards d’euros. Les seuls finalement à avoir le blues en ce moment – en-dehors des antimilitaristes, peu nombreux, que la fin de la conscription n’a pas vraiment satisfaits – sont les personnels civils de l’armée. Eux vont subir de plein fouet les réformes en cours. Signe de leur vive inquiétude, ils se sont regroupés en intersyndicale (FO, CGT, CFDT, Unsa, CGC) pour défendre leurs intérêts. Après le nettoyage, la restauration, la maintenance et le gardiennage – des casernes sont aujourd’hui gardées par des employés de sociétés de sécurité ! – de nouveaux services vont en effet être externalisés, en particulier la gestion financière. « Depuis une quinzaine d’années, les personnels civils ont perdu 50 % de leurs effectifs, et un tiers est encore menacé. Avec les nouvelles réformes, 650 emplois pourraient disparaître dans la région. Sans accompagnement social bien entendu », s’emporte Bernard Bourdelin. Attachés à une armée au service de la nation et de la paix, les syndicats craignent aussi que l’Etat n’abandonne sa mission première : défendre la France. « A l’image de ce que font les USA, de défensive, l’armée va devenir offensive et agressive », poursuit le délégué régional CGT. Paca ne serait donc plus à l’abri d’une horde de barbares ?

Jean-François Poupelin

1. Les maires de Salon-de-Provence et Barcelonnette, ainsi que Guy Tessier, député-maire UMP de Marseille et président de la commission de la Défense à l’Assemblée nationale, n’ont pas pris le temps de répondre au Ravi. 2. Elle regroupe les régions Languedoc-Roussillon, Paca et Corse. Son rôle est limité à la sécurité intérieure. 3. 2 000 à 2 500 militaires régionaux sont continuellement en opération extérieure. 4. En plus des villes déjà citées, les suivantes sont également très « militarisées » : Barcelonnette (04), Gap (05), Nice (06), Marseille, Carpiagne (13), Toulon, Hyères, Le Luc, Draguignan, Fréjus (83), Apt (84).

Au sommaire

Page 10 « Le militaire se vend bien »Les entreprises aiment les anciens militaires.

L’enfer pour les héros Les victimes du syndrome de la guerre du golfe

Page 11 A la vie, à la mort Petite promenade au commandement de la légion étrangère

Antimilitaristes Vivement la guerre !

Imprimer