« Attention à la course à l’échalotte ! »

octobre 2011
Le tribunal administratif de Toulon a annulé, le 17 octobre, l'élection du Conseiller général d'extrême droite de Brignoles (83), l'un des deux uniques élus du FN dans un département français (le 2ème se trouve aussi en Paca, à Carpentras dans le Vaucluse). Nous publions ici notre "contrôle technique" du Conseil municipal de Brignoles, début juillet. Bataille électorale importante à l'horizon !

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18h25 « A 20h, je pars ! », prévient une quinqua dans un public clairsemé. Visiblement, le Plan d’aménagement et de développement durable (PADD), seul point à l’ordre du jour du conseil municipal, ne passionne pas les Brignolais…

18h30 Claude Gilardo, maire PCF depuis 2008, patiente devant sa petite bouteille d’eau et sa soucoupe de chips – même régime pour tous les élus – pendant que deux agents communaux tentent de régler un problème de micro. Le petit septuagénaire à lunettes discrètes, à la peau tannée et en tenue estivale (chemisette à carreaux rosée), préfère les années paires : élu en 2008 après un premier échec en 2001, le communiste a dû laisser cette année son siège au Conseil général à un frontiste (NDLR élection annulée le 17 octobre 2011 par le tribunal administratif de Toulon)…

18h38 Sans autre politesse, Claude Gilardo ouvre la séance par l’appel, avé l’accent. Signe que ce sont bien les vacances scolaires, Cyrille Bourhis, adjoint à l’Urbanisme d’une quarantaine d’années en polo rayé, installe sont fils à côté de lui.

18h40 Lorsqu’il arrive à son opposition, cinq des huit élus concernés (tous UMP) font leur apparition. Le pas est nonchalant, l’air narquois. Un type du premier rang du public leur pique des chips avant qu’ils ne prennent place.

18h41 Le larsen reprend, Claude Gilardo craque : « Qui fait ça ?! » Puis décide de couper la sono.

18h46 Christian Proust (UMP), sexagénaire longiligne et propre sur lui, demande, et obtient, la parole. Et de plaider, après avoir bougonné contre son micro : « Si c’est bien le débat du PADD, il faut modifier l’ordre du jour, qui indique une note de synthèse. Et s’il y a une commission de créée, pourra-t-on y participer ? » Claude Gilardo, mains jointes et ton pas franchement franc : « Oui, oui. »

18h49 Bras croisés, coudes sur la table, chemise blanche, la trentaine, Matthieu Miralles, du cabinet de conseil Citadia, attaque la présentation du PADD le regard tourné vers l’opposition : « C’est la 2e étape du PLU », le fameux plan local d’urbanisme, principal document de planification de l’urbanisme au niveau local. Un PowerPoint défile devant un écran vers lequel tous les conseillers sont tournés. Sauf le maire, qui s’est calé en fond de salle, face à un portrait de Nicolas Sarkozy dissimulé dans un coin sombre.

19h00 Le diagnostic (urbanistique, démographique, économique) retient toute l’attention de la salle. Le consultant explique que « la croissance démographique n’est pas un bonus ». Yves Doublet (UMP), mèche poivre et sel et lunettes, prend des notes.

19h10 Le même multiplie les petits signes de nervosité. Ses camarades, eux, se dispersent. Notamment Christian Proust, qui converse avec ses voisins ou s’attaque à son micro, qu’il redresse dans une position sans équivoque.

19h21 Matthieu Miralles conclut sa présentation. Le projet n’a rien de révolutionnaire mais semble vouloir redonner un peu de couleurs à Brignoles : fin de l’urbanisme sauvage (extension de l’habitat diffus et des zones commerciales), réhabilitation du centre ville pour développer une économie qui s’appuie sur le tourisme, préservation des terres agricoles, développement des espaces verts autour du Caramy, la rivière qui traverse la ville, etc. « Si vous avez des questions ? », interroge le consultant. Pour toute réponse, les chaises se tournent et se rapprochent des tables disposées en U.

19h27 Silence de cathédrale. Visage fermé, Cyrille Bourhis résume le travail de la majorité : « On vous propose une projection sur les dix, vingt prochaines années. Le but est de redimensionner la ville pour 20 000 habitants. » Discrètement, Christian Proust s’installe sur le siège vide de Guillaume Novellas, candidat malheureux d’une liste PS-Modem en 2008. L’UMP discute la main devant la bouche avec Yves Doublet.

19h29 Ce dernier demande la parole. Et sort un bazooka. « Je suis catastrophé ! Il n’y a pas une idée, c’est un amas de choses que l’on trouve sur Internet ! Il n’y a pas une nouveauté, pas d’intelligence, pas un gramme de passion ! », tonne l’élu. En spécialiste : en 2008, sa liste « Passionnément Brignoles » était aux affaires et a perdu…

19h35 La voix blanche, Cyrille Bourhis riposte par quelques « nouveautés » : « un multiplexe labellisé Art et essai », « un lien entre les zones commerciales et le centre ancien ». Et d’insister sur la décision de son équipe de ne pas développer de zones commerciales : « Aujourd’hui, en dehors des études des grandes enseignes, qui raisonnent avec un bassin de 130 000 personnes, donc de Saint-Maximin à Le Luc, il n’y pas d’études économiques qui montrent qu’il faut un rééquilibrage entre l’ouest et l’est de la ville. Attention à la course à l’échalote où chaque commune veut sa zone commerciale. » Basile Eliezer, un grand black de l’UMP, regarde dans le vide. Matthieu Miralles a la tête baissée.

19h41 Fin des hostilités. Claude Gilardo interroge : « Il y a d’autres questions ? » Yves Doublet saisit quelques chips, Christian Proust range des affaires. Plutôt que d’accepter l’armistice, le maire repart à l’offensive sur le logement social. Basile Eliezer, le regard sombre : « C’est une information ou le débat continue ? »

19h45 Les hostilités reprennent. Claude Gilardo reprend Yves Doublet qui coupe la parole à son adjoint à l’Urbanisme : « Vous pourrez faire des propositions quand Cyrille aura fini ! » L’intéressé : « Si vous voulez parler, attendez que j’ai fini. C’est la démocratie. » Basile Eliezer, qui se déploie et sans plus de précision : « Si vous voulez parler de démocratie, on va se fâcher ! »

19h50 Désormais, ça flingue dans tous les sens. Yves Doublet provoque une nouvelle fureur de Claude Gilardo, lorsqu’il coupe la parole à Sylvie Massimi, son adjointe à la Sécurité : « C’est la deuxième fois que vous coupez la parole ! C’est pas possible de manquer de politesse ! » Richard Ginesy, son adjoint aux Finances, enchaîne : « A chaque fois que vous prenez la parole, c’est pour nous dénigrer. Gare au populisme ! » L’UMP, indigné : « J’ai pas de leçon à prendre là-dessus ! J’ai jamais adhéré à quelque chose qui s’en rapproche ! » Basile Eliezer, en soutien : « Votre opposition pèse 49 % ! Pour un projet comme celui-là, vous n’avez pas voulu l’associer. » Claude Gilardo, offensif : « Faux ! Ces propositions sont le reflet de réunions de quartier auxquelles vous étiez susceptibles de participer ! » Le grand noir manque de munitions : « Nous sommes des élus ! »

19h57 Cyrille Bourhis reprend la parole, les armes se taisent. La salle écoute religieusement l’adjoint à l’Urbanisme expliquer, logiquement, que le « projet est un projet politique ».

20h05 La trêve ne dure pas. Claude Gilardo enchaîne sur la réhabilitation du quartier de Paris et souffle : « C’est quelque chose. » Yves Doublet bondit et dégaine : « On peut être sérieux deux secondes ! Vous sortez le tribunal du centre ancien alors qu’il le faisait vivre. Vous le tuez ! » L’ancien conseiller général, furieux : « Je l’ai expliqué je ne sais combien de fois : si on ne le déplaçait pas, il partait à Draguignan ! » Yves Doublet : « Vous ne nous avez jamais montré les études ! » Le maire, excédé, sort la mitrailleuse : « Ça suffit ! Ça m’énerve ! Vous êtes venus sans idées, comme pendant votre mandat ! »

20h09 La séance se lève d’elle-même. Notre quinqua suit. Elle s’est finalement accordée quelques minutes supplémentaires. Pas sûr que le PADD en soit la raison…

Par Jean-François Poupelin

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