Ben, créateur

novembre 2004
Ben, 69 ans, créateur de « ticheurtes ». Invité d'honneur de la dernière Fiesta des Suds à Marseille. Et en plus, il chante.

Ben dis donc !

« Sieu Ben aquiiii, sieu Ben, Sieu Ben aquiii, sieu Beeee » (Il termine son rap en occitan et pose le porte-voix qui met en valeur son timbre de crécelle). « Bonjourrrr, je m’appelllle Benjamin Vautier, comme mon arrièrrrre grrrand-pèrrre souissse qui peignait des scènes de la vie rourrralllle pour le calendrrrrier des postes vaudoises. » Bien que vivant à Nice depuis plus de cinquante ans, lorsque Ben parle, on dirait un chauffeur de taxi genevois né à Bucarest qui essaie d’imiter Salvador Dali. (On continue sans l’accent, c’est plus facile…) Tu me connais, toi aussi, je fais des timbres postes, des ticheurtes, des casquettes, des pubs pour les banques, pour les pâtes et tant d’autres, des agendas, des trousses d’écoliers… Faire des pubs pour la BNP, c’est inscrire l’art contemporain dans le quotidien, le rendre populaire. Le pire, c’est que je le pense. 13lop-ben2.jpg Partout tu as déjà vu, en blanc sur fond noir, mon écriture ronde d’adolescente pas encore déniaisée débiter des aphorismes. Des tags de pucelle, quoi. Les meilleurs d’entre eux méritent l’almanach Vermot. Que veux-tu, je suis un artiste TOTAL. Pas vrai, Annie ? (1) Non, ça veut pas dire que je suis sponsorisé par le pétrole. Mais que je fais de l’art avec tout et avec rien. On est comme ça, la bande à Fluxus (2). D’ailleurs, je viens enfin de trouver le média total : Internet. Et comme dirait Annie, c’est formidable, Internet. Je ne vais presque plus dans mon atelier, je reste scotché devant mon PC. Je tiens mon journal bavard sur le web (3), j’enregistre des chansons, j’envoie ma newsletter (je sais pas comment on dit en occitan) à tout le monde, où je me fais tour à tour poète, « les temps sont venus de ne plus mentir à Annie, Les temps sont venus de m’arrêter de courir les expos » et géopoliticien « à choisir entre Kerry et Bush, je suis pour Kerry contre Bush, mais attention sans illusion ce sera peut-être du kif kif bouriko les deux représentants de l’impérialisme anglo-saxon». Bref, à force de voir de l’art partout, il est peut-être bien nulle part. D’après tous ceux qui m’aiment bien, ce qui me sauve, c’est que je suis sincère, que je ne suis pas un cynique comme tant d’autres. La sincérité, c’est ce qui vous fait passer pour plus bête que méchant, et c’est déjà pas si mal. Je suis surtout un gros malin : je me livre régulièrement à mon auto-critique, ça évite le boulot aux autres, et on n’est jamais si bien servi que par soi-même. Enfin, cela me permet de toujours parler de moi, en bien ou en mal, c’est ça qui compte. Annie vous dira que mon dernier dada, c’est le régionalisme. J’ai fait un rap là-dessus (il recommence à chanter de sa voix de Donald Duck) : « Salut à toi l’Eskimo, salut à toi le Dogon, salut à toi le Corse, salut à toi le Touareg… » Je suis copain avec Nux Vomica et tous les bouffeurs de soca (4) qui s’excitent sur l’Occitanie. Des fois, j’ai des éclairs de lucidité : « L’Occitanie existe-t-elle ? Ou a-t-elle déjà disparu ? » (5). Mais le plus souvent, et généralement dans la foulée, je dis des conneries, comme « Les gens d’ici doivent accepter l’idée qu’ils sont occitanais », en parlant des Marseillais (6). Les gens qui me trouvent sincère, ils appellent ça mon « sens du paradoxe ». En fait, je dis tout et son contraire. Tour à tour radicalement positif et radicalement négatif, je suis en fait radicalement neutre. Ça doit être l’atavisme suisse. Mais entre-temps, je passe pour quelqu’un de radical. Ouh là, j’ai pas vu l’heure ! Il faut que je te laisse, sinon je vais finir par me faire engueuler par Annie.

Paul Tergaiste

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