Entretien : « Le militant nouveau est arrivé »

mai 2009
Le journaliste Laurent Jeanneau décrypte, dans Les Nouveaux militants, la place et le rôle des formes d’actions émergentes au sein du mouvement social actuel.

Certaines « nouvelles » mobilisations que vous décrivez dans votre ouvrage datent déjà d’une vingtaine d’année. Où est la nouveauté ? Il y a un travers des journalistes à parler de nouvelles formes de mobilisation. Au début, on voulait appeler notre livre « Le militant nouveau est arrivé », pour montrer comment on fait du neuf avec du vieux, à l’image du Beaujolais nouveau. Historiquement, la dérision remonte à 68 et aux Situationnistes. Aujourd’hui, elle est plus systématique, elle est devenue une caractéristique assez forte des nouveaux militants. Ils sont également beaucoup moins idéologues.

Dans l’entretien qu’il vous accorde, Miguel Benasayag évoque pourtant leur contestation du système… Ils ne le sont pas tous. Les Déboulonneurs ont un discours radical, y compris par rapport aux médias, mais d’autres sont assez réformistes. Pour citer Miguel Benasayag, ils sont plutôt « la turbulence des soubassements

« La véritable rupture vient de la mobilisation des précaires »

Quelles sont leurs spécificités dans le mouvement social actuel ?

Sur la forme, ces groupes proposent de la convivialité, de la dérision, des coups d’éclat et ont un rapport décomplexé à la presse. Ils recherchent des modes d’actions originaux pour intégrer le haut de l’agenda médiatique. Sur le fond, ce sont des groupes informels, d’inspiration libertaire : refus des associations avec statuts, de la hiérarchie. Ils sont également plus pragmatiques que les organisations traditionnelles, ont des objectifs très ciblés, sans discours globalisateur. Ça leur permet de mettre en sourdine les idéologies et de rechercher l’efficacité. Mais la véritable rupture vient de leur mobilisation, de RESF à Jeudi noir, des précaires. Bourdieu parlait de « miracle social » à propos du mouvement des chômeurs.

Certains sociologues contestent votre terme de « nouveaux militants. » Qu’est-ce qui les distingue des organisations traditionnelles ?

Le terme est ambigu. Il n’y a pas la même lourdeur. Mais il me paraît important de ne pas opposer nouveaux et anciens, de parler de nouvelles formes de militantisme qui émergent ou réémergent par complémentarité et de voir les convergences. Elles ne peuvent pas se substituer au mouvement syndical. On ne peut pas se passer de mouvements structurés, ayant une assise dans les entreprises, une capacité d’expertise, capables de faire contrepoids dans le rapport de force qui oppose salariés et patrons. Les organisations structurées, hiérarchisées, ont leur utilité, notamment pour organiser des mouvements de masse.

« Un discours complémentaire des organisations traditionnelles »

Quelle est l’influence de ces mobilisations sur le mouvement social ?

Elles investissent des sujets qui n’existaient pas dans l’agenda militant et commencent à faire bouger les pratiques des partis et des syndicats. Les MJS tentent de développer des coups d’éclat et la situation des précaires est de plus en plus prise en compte par les syndicats. Dans les faits, elles apportent de la fraîcheur. De plus, leur discours est complémentaire de celui des organisations traditionnelles, qu’elles n’hésitent pas à rencontrer, y compris pour travailler à l’image de Jeudi noir avec le DAL.

Et concernant les résultats ?

C’est difficile à évaluer. Dans le cas de Génération précaire, faire du statut des stagiaires un vrai sujet a déjà été une réussite. Il n’est même pas impossible qu’ils arrivent à leur but : le décret obtenu étant insuffisant, certains de ses membres ont rejoint la Commission Hirsch pour la jeunesse. L’exemple des Don Quichotte montre aussi que ces groupes font face à des professionnels de la communication : la loi Dalo est très forte, mais prend les apparences d’une coquille vide. Autre problème, les médias se lassent très vite. Il y a donc une obligation de surenchère et un risque d’explosion s’ils se désintéressent du mouvement.

Propos recueillis par J-F P.

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