Gaudin, camarade de Force ouvrière

septembre 2011 | PAR Xavier Monnier
Jean-Claude Gaudin, Monsieur loyal de la grand messe UMP à Marseille les 2, 3 et 4 septembre, a parlé plus volontiers à ses amis des déboires de Jean-Noël Guérini que des problèmes de sécurité dans sa ville. Il n'a pas insisté non plus sur les raisons pour lesquelles il a longtemps veillé à ce que rien ne bouge malgré la tempête politico-judiciaire menaçant son alter ego socialiste. Car toutes ces affaires perturbent des pratiques clientélistes instituées par Defferre, perpétuées par Gaudin, où le syndicat FO joue un rôle central.
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« Il est bien connu que depuis 1953, date où Gaston Defferre devint maire de Marseille, c’est toujours le syndicat majoritaire FO qui a proposé, propose et proposera les nominations de fonctionnaires. De Gaston Defferre à Jean-Claude Gaudin en passant par Robert Vigouroux, c’est toujours le syndicat majoritaire qui aura seul la possibilité de propositions de nominations. » Le garçon qui parle d’un ton aussi assuré n’est ni sociologue, ni philosophe, ni même un élu. Mais un homme au cœur de la politique marseillaise depuis des années, membre du conseil fédéral du Parti socialiste, un temps responsable des adhésions. Un homme toujours craint et respecté, malgré son incarcération, depuis le 1er décembre dernier. Alexandre Guérini, le frère du président du conseil général des Bouches-du-Rhône, s’est permis cette petite explication historique devant les gendarmes, lors d’une audition. Le laïus avait pour but de justifier de l’embauche d’un cadre FO par ses soins à la communauté urbaine, quand Alex n’y a aucun mandat.

Une embauche comme une évidence et qui dit bien l’importance du syndicat Force ouvrière depuis presque soixante ans. En 1953, dès son accession à la mairie, Gaston Defferre noue ce que Michel Peraldi et Michel Samson, dans leur Gouverner Marseille, appellent une « alliance historique ». Le but : contrer le Parti communiste, à l’époque frappé de stalinisme, et son bras syndical la CGT, avec un concurrent, Force ouvrière. Signe de la proximité, le secrétaire de FO-territoriaux, François Moscati, terminera directeur de cabinet de Gaston. L’accord n’est même pas tacite. Contre un appui lors des campagnes électorales au maire sortant, une relative paix sociale et des grèves très encadrées, FO gagne le statut d’interlocuteur unique. « Tous les acquis octroyés au personnel sont donc annoncés par le responsable FO qui, en ayant eu la primeur, s’en attribue la paternité exclusive. » Argument de poids lors des élections professionnelles, dont le syndicat sort ainsi toujours majoritaire.

« Il valait mieux avoir FO avec nous que contre nous »

En 2011, le stalinisme a disparu, la CGT a détissé ses liens historiques avec le Parti, mais Force ouvrière règne toujours à la mairie, sur les services publics et même à la communauté urbaine née en 2002. Lors de ses vœux de nouvelle année, le maire y va de sa petite marque d’affection pour Force ouvrière. « Je voudrais que l’histoire de cette ville reconnaisse qu’avec le personnel municipal, j’aurai sans doute été le maire le plus généreux, commence-t-il avant de renouveler son affection à FO. Je continuerai à vous recevoir, mais pas les syndicats qui me caricaturent et crient sous mes fenêtres des slogans d’un autre siècle. »

L’alliance historique s’est faite idylle. Avec les soubresauts, les hésitations à s’engager que connaît tout marié à ses débuts. « En 1995, quand Gaudin est arrivé à la mairie, on a senti une hésitation », se rappelle Pierre Godard, ancien CGTiste passé à la CFDT puis au FSU. Lorsqu’il était éboueur, il s’est souvent retrouvé face à FO lors des grèves. Et de poursuivre : « Mais cette hésitation n’a pas duré bien longtemps. Ils se sont rendu compte des avantages électoraux qu’ils pouvaient en tirer et ça n’a pas fait un pli. »

Même scénario en 2002, au moment de la création de la communauté urbaine de Marseille (Cum). Les transferts de compétences, notamment de la propreté et des transports, provoquent un transfert de personnels vers l’institution du Palais du Pharo. Une fenêtre de tir idéal pour desserrer l’étau FO sur la fonction territoriale de Marseille. « L’ambiance à la Cum était alors différente de celle de l’hôtel de ville. Au moins les premières années, il était possible de discuter, d’engager un dialogue. À la mairie, la majorité a même tenté de faire grimper l’Unsa aux élections professionnelles, mais ça n’a été qu’un feu de paille », se remémore un vieil opposant au syndicat majoritaire, Roger Aymard, aujourd’hui à la FSU, après être passé par la CFDT et la CGT.

« C’est vrai. En 1995, après avoir remporté la mairie, on a hésité, confesse Bruno Gilles, sénateur maire des 4e et 5e arrondissements. Quand on a vu la puissance de Force ouvrière, on s’est dit qu’il valait mieux l’avoir avec nous que contre nous – il faut avoir l’honnêteté de le reconnaître – et on a poursuivi l’alliance. » Et donné des gages !

« Difficile d’être élu sans FO »

François Moscati a été élu sur les listes Gaudin en 1995 et en 2001 avant d’être candidat sur les listes de Jean Roatta dans le 1er secteur, ravi par la gauche en 2002. De même, André Camera honore les listes et les bancs du conseil municipal depuis 2008. Toujours encarté FO, Camera figure parmi les représentants du personnel à la caisse primaire d’Assurance maladie des Bouches-du-Rhône, après avoir été le secrétaire général du comité d’entreprise de ce bastion FO. Désormais, il pointe comme adjoint au maire chargé des voitures publiques (sic !). Il est passé de 27e à 19e adjoint entre 2002 et 2008. Une vraie promotion !

Un adjoint qui assure des roucoulements en temps de période électorale. En 2008, se rappelle encore Roger Aymard, « Patrick Rué, le secrétaire général adjoint de FO, a annoncé qu’avec Guérini à la mairie, le “fini-parti” prendrait fin ». Un mot comme une incitation au vote pour tous les salariés de la propreté, publique ou privée, adhérents de Force ouvrière, presque une invitation au combat. Des tracts de Force ouvrière en faveur du maire sortant sont même aperçus entre les deux tours, vantant la gestion du personnel municipal par Jean-Claude Gaudin, énumérant les avancées sociales réalisées sous son mandat, affublant Jean-Noël Guérini du titre de « M. Grève ». Prémonitoire…

Lors de son dernier grand meeting de campagne, Gaudin comptera sur une assistance conquise et experte. Des dirigeants de Force ouvrière siègeront assez discrètement pour être repérés au Dôme, le 4 mars. « Oui, leur apparition a lancé un signal, dans une élection difficile, sourit Bruno Gilles. S’ils ne peuvent faire élire un maire tout seul, il est difficile d’être élu sans leur soutien. » Leçon bien comprise par la gauche et les frères Guérini (voir encadré) qui avaient sur ce plan quelques wagons de retard.

Gaudin, flanqué de ses plus proches adjoints, a assisté lui-même au congrès de mars 2003 des territoriaux de Force ouvrière, au cours duquel Elie-Claude Argy prend le secrétariat général, son bâton de maréchal, pour ne plus le lâcher. De son poste de directeur des équipements municipaux, Elie-Claude Argy hérite de la haute main sur le Dôme, le Palais des Sports, et bientôt la partie publique du stade Vélodrome rénové. Une jolie manne, surtout au moment de distribuer des billets de spectacles aux affidés. Et un immense levier de pression, un de plus, sur la mairie…

« Gaudin se met ventre à terre devant FO »

« Gaudin va beaucoup trop loin. À cause de ses conneries, on a l’impression qu’on ne peut même pas aller voir un concert sans demander la permission à FO, s’énerve un grognard des luttes syndicales. On ne se demande même plus qui tient qui, on le sait, Gaudin mange désormais dans la main de FO. » Encore amusé, notre témoin se rappelle de l’avoinée qu’avaient reçue le directeur de cabinet du maire, le maire lui-même et quelques-uns de ses affidés lors d’un pince-fesses parce que l’un des vieux ennemis syndicaux d’Argy y avait été invité.

Dans le camp du maire, on feint de s’étonner de cette dérive. « Vous savez, après tant d’années à se côtoyer, des liens se tissent », tente Martine Vassal, adjointe au maire à la propreté. Au point d’avoir une secrétaire à l’hôtel de ville, vers qui le Palais des sports oriente pour prendre un rendez-vous avec le boss ? Moue consternée de l’élue, regard vers les chaussures.

« Quand Defferre recevait le boss de FO, ce dernier écoutait. Il n’était pas en terrain conquis », croit se rappeler Michel Pezet, l’ex-dauphin du maire PS de Marseille. Plus imagé, Patrick Mennucci assure « que Gaudin n’est pas Defferre ». « Defferre était le patron du syndicat, qui se couchait devant lui, affirme le maire PS du 1er secteur. À présent c’est Jean-Claude Gaudin qui se met ventre à terre devant FO. » Bref, la poigne du patron manque pour tenir le marmiton…

« Pour l’instant », tempère (ou espère) un élu de droite. Des frémissements agitent ces derniers temps la moustache d’Elie-Claude, comme l’annonce d’un mauvais vent judiciaire. Les gendarmes chargés de l’enquête sur les marchés publics, joliment baptisée « Guernica » par leurs soins, ont levé un pan des arrangements politico-syndicaux à la communauté urbaine. Des choix des directeurs de service en bonne intelligence avec Alexandre Guérini à l’attribution de logements sociaux, la liste est longue. Et l’idée qu’elle s’allonge jusqu’au quai du Port fait déjà transpirer le maire. Jean-Claude Gaudin et Alexandre Guérini partagent une même proximité avec Argy. Le maire le tutoie quand M. Frère l’assure souvent « de son affection et de son amitié ».

Aussi Gaudin se tient-il à portée respectable du tumulte. « Il a interdit à Muselier d’en parler au conseil municipal, sourit un proche de longue date du maire. En lui expliquant qu’à l’hôtel de ville, il n’était pas chez lui. » Sous couvert de neutralité républicaine, agrémentée d’un certain respect de la présomption d’innocence, le maire s’active en coulisse. À la veille de la réélection du président du conseil général, le 31 mars, Jean-Claude s’est beaucoup activé pour éviter que Jean-Noël ne soit débarqué. Un travail inutile tant la réélection de Guérini était acquise. Mais un geste significatif. « Il ne veut pas que cela bouge, décrypte l’un de ses proches. D’abord parce qu’avec Guérini encore en place, nous aurons un boulevard pour les législatives et les présidentielles, il suffira de renvoyer le PS à ses démons. Ensuite, parce qu’une affaire judiciaire, on sait quand ça démarre, on ne sait jamais où ça finit. »