Identité française ou universalité ?

juin 2010

Henri Rossi est vice-Président de la section LDH Cannes-Grasse. Il explique les raisons du refus de la Ligue des droits de l’homme de participer au débat sur l’identité nationale.

Dans les conditions que l’on sait et sans aucun doute à des fins électorales, le gouvernement a voulu convoquer les Français, sous l’égide des préfets, aux fins de débattre sur l’identité française. La Ligue des droits de l’Homme (LDH) a réagi immédiatement en refusant d’entrer dans ce débat, tel qu’il était posé. Essayons de comprendre pourquoi.

Dans sa déclaration de 1789, la Révolution française a énoncé les droits de l’Homme et du citoyen à l’adresse des peuples du monde, leur donnant ainsi un caractère universel. Un siècle plus tard, la LDH est créée à l’occasion de la réhabilitation du capitaine Dreyfus. Nous sommes en 1898, Emile Zola est traîné en justice pour diffamation après son célèbre « J’accuse ». Ceux-là mêmes qui se battent depuis des années pour l’honneur, la dignité et l’innocence d’Alfred Dreyfus s’organisent alors et déposent les statuts de la « Ligue française pour la défense des droits de l’Homme et du citoyen ».

Pour ces hommes, le condamné de l’Ile du diable n’est pas seulement un condamné victime d’une épouvantable iniquité, mais il représente selon le mot de Jaurès, « l’humanité elle-même au plus haut degré de misère et de désespoir qui se puisse imaginer. » Dès le départ, donc, la LDH s’inscrit dans l’universalité des droits, car dit-elle dans son premier manifeste, « le condamné de 1894 n’est pas plus juif à nos yeux, que tout autre à sa place, ne serait catholique, protestant ou philosophe. » Il s’agit en effet, de « défendre les principes de liberté, d’égalité de fraternité et de justice énoncés dans la déclaration des droits de l’Homme de 1789. »

« Hypocrites boutiquiers rabougris dans leur triste Hexagone »

En 1904, lors de son Congrès, son nouveau président, Francis de Pressensé proclame : « Nous estimons que, de même que nos ancêtres, quand ils ont buriné à jamais la Déclaration des droits de l’Homme n’ont pas seulement voulu écrire une charte pour les Français, mais ont prétendu formuler les titres retrouvés de l’humanité tout entière. » Tout est dit et démontre une vérité qui traverse notre histoire : la France n’est jamais aussi belle et jamais aussi grande que lorsqu’elle épouse l’universel, que lorsqu’elle énonce, non sans trop d’arrogance parfois, les droits de l’Homme, avec un grand H, et quel que soit son sexe. Mais plus encore lorsqu’elle les applique.

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Et s’il fallait une dernière citation, pour montrer le profond divorce entre la LDH, héritière des Lumières, et ce débat voulu par de bien sinistres et hypocrites boutiquiers, rabougris dans leur triste hexagone, il nous suffirait de rappeler ce vœu émis en 1904 par le Comité central de la LDH à destination du président du conseil d’alors : « Que l’expulsion en temps ordinaire ne puisse jamais avoir lieu par voie administrative, mais seulement sur une décision régulière des tribunaux compétents, rendue dans les formes prescrites par la loi, pour causes énumérées limitativement et après débats contradictoires. »

Nous sommes loin aujourd’hui de cette démarche, avec l’arbitraire de préfets hors-la-loi, dont les expulsions sont bien souvent condamnées par les tribunaux. Nous en sommes loin, avec les arrestations brutales d’étrangers ahuris au guichet des préfectures où ils sont convoqués « pour régularisation » et tout aussi loin avec ces expulsions furtives, organisées prestement au petit matin, de malheureux étrangers renvoyés vers des pays où la mort peut les attendre.

Comment reconnaître la France ainsi défigurée, par ceux-là mêmes qui prétendent la représenter. N’était-elle pas plutôt, la France, ainsi que les musulmans nomment l’ensemble des croyants, une Oumma ? Au-delà des frontières et des cultures, n’est-elle pas, en effet, celle qui peut rassembler les hommes qui aspirent naturellement à l’universel en partageant sa devise républicaine : liberté, égalité, fraternité ?

Et pour tout dire, ne nous sentons-nous pas proches du jeune Africain qui pense à ces « pays où les gens au creux des lits font des rêves », qui ne connaît pas, sans doute, les paroles du « Chant des partisans » même s’il vit, et depuis combien de siècles, « la haine à nos trousses et la faim qui nous pousse, la misère » ? Mais qui a peut-être appris à l’école de son village qu’il y a eu, il y a bien longtemps, un pays qui, aux jolies couleurs de la liberté proclamait dans le préambule d’une de ses Constitutions : « Tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a droit d’asile sur les territoires de la République. »

Tribune Par Henri Rossi

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