L’aïoli politique ne prend pas

juin 2004
Deux partis se réclament de l'identité occitane. Mais le « régionalisme » politique séduit peu, au moment même où les initiatives associatives ou culturelles redonnent un peu de vigueur à la langue d'oc.

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De Nice à Apt, en passant par Gap, Marseille ou Arles, foisonnante est aujourd’hui l’activité culturelle occitane. Des associations de sauvegarde des traditions locales, des antennes de fédérations nationales comme l’Institut d’études occitanes (IEO) ou le Félibrige mistralien, des enseignants dans les écoles, des calendrettes , des groupes de musique, des baleti populaires, des fêtes du tambourin, des troupes de théâtre y contribuent avec plus ou moins de bonheur. Tout cela, même un Parisien débarqué voilà six mois en a déjà vaguement entendu parler. L’existence de deux partis politiques est moins connue : le parti occitan (POC) et le parti nationaliste occitan (PNO). Alors que les dialectes abondent, que d’un village à l’autre les termes changent, que les militants s’entre-déchirent sur la graphie à adopter pour transcrire leur langue, une « nation » occitane est bel et bien là, sous vos yeux, chers lecteurs.

Nationalisation de l’huile d’olive

« C’est la langue qui détermine l’existence et les limites de la nation », certifiait François Fontan, fondateur du PNO comme le rappelle encore aujourd’hui le premier des huit critères qui conditionnent l’adhésion au parti. Créé à Nice en 1951, en pleine guerre d’Algérie, le PNO s’inspire de la lutte de libération nationale prônée par le FLN afin de la généraliser dans les pays où est parlée la langue d’oc. Sacré bonhomme, ce Fontan : inspiré par la psychanalyse, il entendait libérer l’homme par la reconnaissance de sa langue certes, mais aussi de certains aspects affectifs de sa vie. Il militait ainsi pour le respect et la reconnaissance de l’homosexualité. La nation occitane telle que la rêve le PNO est fédérale. Elle s’étend du Val d’Aran aux vallées occitanes italiennes. En tout, près de trente-trois départements français sont ainsi soustraits au jacobinisme centralisateur de Paris. Les impôts locaux sont réinvestis localement, notamment pour soulager les « petits propriétaires occitans (agriculteurs, artisans et commerçants) accablés par les charges de l’Etat ». Une véritable « démocratie du travail » est introduite dans les entreprises. Dans la même veine, une « planification incitative » doit, toujours selon le programme du PNO, régir les grands moyens de production et d’échange. Une sorte de « nationalisation » des industries du thym et de l’huile d’olive…

Stratégies d’alliances

Du côté du POC, l’approche est un peu différente. Le parti, créé en 1987, est l’héritier assagi des mouvements post-soixante-huitards marxisants « Lutte occitane » (1968) et « Volem viure al païs » (1974). Ceux-ci, sous l’impulsion de Robert Lafont, l’universitaire théoricien de la « révolution régionaliste » et de la « colonisation intérieure », orientent nettement à gauche leur combat. Ils soutiennent par exemple, en 1977, les vignerons du Languedoc alors que dans tout le monde occidental le réveil des identités régionales se fait sentir. En 1987, la mise en place des régions avec les lois Defferre et l’élection de leurs assemblées au suffrage universel modifient la donne. Le POC se structure sur le mot d’ordre de l’autonomie régionale, nouveau levier de la cause occitane. Depuis, ses militants (entre 100 et 200 en PACA) ont connu des succès électoraux variables, à l’assemblée ou dans les collectivités locales, souvent dans des stratégies d’alliance avec le PS ou les Verts. En mars dernier, on pouvait trouver le POC sur la liste « Région citoyenne » de Philippe Sanmarco. « Nous souhaitons voir émerger de véritables régions, qui ne soient pas le repaire de notables politiques locaux », explique Erve Guerrera, ancien conseiller municipal d’Aix. Sont-ce les mauvais résultats du 28 mars ? Mais aux européennes, le POC a vite renoué avec ses anciens alliés, en signant pour une quatrième place sur la liste Verts de Jean-Luc Bennhamias.

La carte européenne

Les partis occitans se sont d’abord illustrés par la méfiance et le rejet total de la construction européenne. Ce temps-là – assez lointain pour les mouvements héritiers de Lafont, qui ont entrepris le virage à la fin des années 70, plus récent pour le PNO qui n’a largué son anti-européanisme qu’en 1997 – est révolu. L’Union européenne – prometteuse d’autonomie, de fédéralisme, de démocratie locale – est désormais le meilleur allié de ceux qui croient à une Occitanie autonome ou indépendante. La France est en effet le seul pays à n’avoir pas ratifié la charte européenne des langues et cultures minoritaires pourtant signée en 1999 à Budapest. Même la Turquie – l’autre patrie des droits de l’homme ? – l’a intégrée dans sa législation ! L’Europe, c’est aussi l’ouverture sur des luttes semblables dans le monde. Si le PNO se réclame férocement « internationaliste », c’est pour soutenir les revendications berbères et kabyles, ou tchétchènes, mais aussi pour défendre de pied ferme le sionisme israélien. « L’illustration parfaite de l’ethnisme selon Fontan, s’enflamme Jacques Ressaire, président du PNO. Une langue, l’hébreu, rend possible l’existence d’un peuple ! » Le POC est également très ouvert aux luttes des « peuples frères », et milite pour une coopération méditerranéenne renforcée, soutenant l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne, voire celle des pays du Maghreb. Enfin, des fédérations comme « Régions et peuples solidaires » permettent à ces partis d’exister au parlement européen alors qu’ils ont parfois du mal à se faire entendre localement. Beau paradoxe !

L’aïoli ne prend pas

« La notion même de parti occitan est absurde », proteste Alèssi dell’Umbria. Pour le cofondateur de l’Oustau dau Païs Marselhés, association marseillaise basée à la Plaine, les partis occitans se trompent en désertant les initiatives culturelles et populaires. « Une langue, une culture, cela se vit dans le tissu social, poursuit-il. Le régionalisme occitan est un aïoli qui n’a jamais pris ». Et ce partisan d’une « démarche anti-hiérarchique et anti-autoritaire » de défendre d’autres modes d’action « plus efficaces » : une activité associative ciblée sur un quartier, l’organisation de cours d’occitan, la publication des ?uvres de Victor Gelu (poète populaire marseillais). À ses yeux, même le comité révolutionnaire occitan (CROC), branche plus gauchisante du POC qui a surtout « pris » en Midi-Pyrénées, ne lui semble pas la bonne réponse aux problèmes actuels de la culture occitane.

Mais certaines « opinions » divisent plus encore. Le PNO voit dans le vote massif pour le Front national en PACA le signe d’un vote identitaire refoulé. L’absence d’un parti occitan auquel s’identifier localement pousserait les électeurs vers un parti où l’on est « plus français que les Français ». Le parti nationaliste occitan ne rechigne donc pas à attirer vers lui les Provençaux « égarés » à l’extrême-droite. « Ce qui manque à Orange, ce n’est pas tant un parti auquel s’identifier qu’une vie sociale et culturelle digne de ce nom », déplore Alèssi dell’Umbria. Pour beaucoup, à l’image des chanteurs du Massilia Sound System par exemple, la culture occitane est synonyme de brassage, de métissage, d’accueil. Ou de luttes, comme l’expriment les textes de Dupain, autre groupe marseillais. Pour preuve, cette « lenga de la mina » que partageaient les mineurs, qu’ils soient de Gardanne ou de Casablanca, « lenga » incompréhensible pour le contremaître, un ch’ti du Nord. Une approche plus conforme à celle du POC, qui fait de l’occitan « une formidable machine à intégrer ». Reste à savoir si la notion de région occitane, sans parler de « nation occitane », est réellement pertinente à une époque où les frontières se dissolvent et où même les Etats les plus jacobins voient s’évanouir leurs moyens d’exister.

Alix Rijckaert

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