La manif à papa fait de la résistance

mai 2009
Les syndicats et les partis portent un regard parfois sceptique mais bienveillant sur les nouvelles formes de mobilisation. Mais ils les jugent incapables de remplacer les anciennes. Et se méfient, surtout pour les plus réformistes, de leur radicalité.

« Il faut faire le lien entre les quelques milliers de radicaux et les 3,5 millions de personnes qui ont manifesté le 19 mars », lance Hendrick Davy, militant au NPA Vaucluse. « S’il y avait 7 ou 8 millions de personnes dans les rues, le rapport de force ne serait pas le même », est persuadé Sylvain Brossaud, secrétaire général de la CGT du Var. « On a comme ambition d’entraîner dans nos actions ceux qui sont dans l’entre-deux », explique Emmanuel Trigo, secrétaire général adjoint du SNUipp varois (Syndicat national unitaire des instituteurs et professeurs des écoles)…

Pour les syndicalistes ou les partis de gauche, le constat est simple : seules les mobilisations massives peuvent faire pencher la balance en faveur du mouvement social. Pourtant, les uns comme les autres, sont loin d’être insensibles aux nouvelles pratiques qui émergent depuis quelques années. En dehors de la désobéissance contre la suppression des Rased (Réseaux d’aides spécialisées aux élèves en difficulté), que son organisation « soutien sans y appeler », Emmanuel Trigo a d’ailleurs expérimenté plusieurs de ces nouvelles façons de faire : nuit des écoles, cours dans la rue, sittings, etc. Sans être véritablement convaincu de leur efficacité. « On a multiplié les formes d’actions, mais ce sont toujours les plus militants qui viennent. La méthode qui rassemble le plus de monde, c’est la journée de grève », déplore-t-il.

« Le Figaro, qui ne parle jamais de nous, a consacré un papier sur notre blog satirique »

06rv63yacine_papa.jpg

« Paradoxalement, ce sont les manifestations classiques qui mobilisent le plus », acquiesce « Bob » Injey, secrétaire du PCF des Alpes-Maritimes. En mal de militants et d’électeurs, les communistes observent avec sympathie les manifs de droite et n’hésitent plus, à leur façon, à manipuler à grande échelle la dérision. Le 25 avril, le Front de gauche niçois s’est ainsi offert un happening devant un Leclerc : présentation d’un chèque géant de 368 261 euros, montant « moyen payé par l’Etat à 834 contribuables fortunés grâce au bouclier fiscal ».

« On travaille d’autant plus pour avoir des initiatives fortes en permanence qu’on est occultés », explique Robert Injey. Les communistes nationaux ont même lancé « sortir de la crise », un blog satirique (1) « Le Figaro, qui ne parle jamais de nous, lui a consacré un papier », s’amuse Robert Injey. « Je fais partie de ceux qui pensent que les évolutions du salariat imposent une réflexion sur le syndicalisme », complète Sylvain Brossaud. En 2004, la CGT Energie a d’ailleurs ag- en précurseur en lançant ses « Robins des bois », un collectif d’agents qui rétablissent le courant chez les particuliers privés d’électricité pour impayés.

« Le PS ne peut pas être dans la radicalité et la démagogie »

Pour le nouveau parti d’Olivier Besancenot, l’implication dans les formes émergentes du mouvement social est plus systématique. Les militants du NPA se retrouvent fréquemment dans les collectifs qui sont récemment apparus. Ce n’est pas l’effet d’un hasard. « Ni celui d’une volonté d’entrisme, assure Henrick Davy à Avignon. C’est parce que nous sommes dans toutes les luttes que certains de nos adhérents sont à RESF (Réseau éducation sans frontière), participent aux manifs de droite, animent « l’Appel à la pioche » qui organise des pique-niques dans les supermarchés. Il ne faut plus penser seulement à la grève générale. Les pratiques émergentes marquent l’engagement de nouvelles professions et de classes sociales, comme les avocats ou les profs de fac. Elles nous permettent d’aller sur d’autres fronts, d’attaquer le système de plusieurs façons. »

Une position à des années lumières de celle des organisations syndicales ou politiques réformistes. « Notre priorité est l’amélioration des droits des travailleurs et de leur environnement de travail selon l’évolution sociale », souligne Charles Pellotieri. Le délégué régional de l’Union interprofessionnelle Paca de la CFDT prête peu d’intérêt à l’émergence des nouvelles contestations : « Ce sont des acteurs sociaux qui agissent sur des domaines sociétaux, de la vie quotidienne. En tant que syndicalistes, nous ne sommes pas du tout sur le même registre. »

Une méfiance vis-à-vis de la radicalité s’exprimant dans les conflits sociaux que l’on retrouve assez logiquement dans les rangs du Parti socialiste. Le 9 avril, Jean-David Ciot, premier secrétaire fédéral délégué du PS des Bouches-du-Rhône et candidat aux élections européennes dans le sud-est, a précisé sa pensée lors d’une conférence de presse consacrée au chômage : « Le PS est un parti politique qui aspire à gouverner. On ne peux pas être dans la radicalité et tomber dans la démagogie comme l’extrême gauche. Les parlementaires socialistes sont les seuls qui se font entendre au sein de l’assemblée, là où les choses peuvent être changées. » Henri Jibrayel, député marseillais, a tout de même précisé : « Le PS puise ses racines dans le mouvement ouvrier. Sa place est naturellement dans le mouvement social. » Si naturelle ?

Jean-François Poupelin

Imprimer