Le Gros Bleu

décembre 2005
Luc Besson, réalisateur-producteur-écrivain-distributeur-abonné-au-gaz, va construire un « multiplexe » à Marseille avec sa société EuropaCorp. Son projet : « donner envie aux gens de quitter leur télévision ». Pour un peu, on se mettrait à la regarder.

Salut Marseille ! (il arrive triomphalement à l’hôtel de ville, empruntant le tapis rouge sur une musique de supérette niouaidge composée par Eric Serra. Jean-Claude Gaudin lui réajuste avec empressement sa veste en tricot fripée tandis que Renaud Muselier lui refait son lacet. Il s’assoit et commence la conférence de presse) J’aime tellement Marseille ! C’est là qu’est né Jacques Mayol, le plongeur qui m’a inspiré le Grand Bleu, dont personne n’a compris qu’il s’agissait d’une pub pour Harpic Lagon Bleu. Echec pour le désinfectant à chiottes, triomphe pour moi. La plongée, c’était ma passion. Quand j’étais gamin, papa et maman étaient GO au Club Med, alors j’avais droit aux activités gratos. Un sale jour, j’ai fait un accident de plongée, c’était dans de l’eau oxygénée, depuis j’ai des mèches blondes et j’ai dû arrêter. Le blond, ça m’a consolé, parce que comme ça je ressemble au gamin qui jouait dans Flipper le dauphin. Du Club Med, j’ai conservé l’infantilisme qui peuple mes créations. En résumé, un pur produit des années 80, aussi vide que le regard de Christophe Lambert dans Subway, longue pub commandée par la RATP, mais ça non plus personne n’est au courant. J’ai enquillé les succès, touché le pactole. Et j’ai même cartonné aux USA avec le Cinquième Elément, une pub pour SFR, mais ça tout le monde le sait (1). Ça m’a permis de me rendre compte que ce qui m’intéressait dans le cinéma, c’était surtout de gagner du fric. Donc, j’ai monté mes propres boîtes de production, d’où sont sortis des films à côté desquels le Grand Bleu, c’est du Tarkovski. Chaque fois que je marche dans Marseille, ça me porte bonheur : Taxi 1, 2, 3 et bientôt 4. Le carton ! Scénario débile qui tient sur le recto d’un ticket de bus, acteurs nuls, discours démagogique… On ne change pas une équipe qui gagne. A part ça, j’ai monté mes propres studios dans la région parisienne, j’écris des scénarios et des bouquins, je peins des petits soldats de plomb et je fais des briques d’argile crue, bref, premier arrivé et dernier parti au bureau. En plus, je ne délègue rien, parce que le génie, ça ne se délègue pas. C’est pour ça que Tarizzo, quand il dit que « Besson ne viendra pas découper les tickets à l’entrée » (2), il se fourre le doigt dans le cinémascope ! Je viendrais faire l’ouvreuse deux fois par an – je suis la meilleure ouvreuse du monde – comme ça les Marseillais ils se jetteront dans mon cinéma dans l’espoir que je les guide dans les travées avec ma lampe de poche. (A ce moment précis, Renaud Muselier lui glisse à l’oreille : tu pourrais pas « aider l’équipe municipale à réfléchir sur l’avenir de Marseille » (3) ?) Sacré Muso ! Pourquoi je bosse comme ça ? Mais pour le fisc qui me prend tout. J’en ai marre de payer des impôts ! J’aime la France, mais fait chier, quoi ! 21rv25lop_besson.jpg Et puis les tracasseries qu’on m’a faites pour ma villa dans le Var, à Bormes-les-Mimosas. Bon, j’ai construit un truc mégalo sur un terrain acheté 1,8 million d’euros, en m’asseyant sur le permis de construire. Le tribunal m’a obligé à détruire un bout de la villa, mais pire : ma piscine ! Mon grand bleu rien que pour moi, les salauds ! Et je ne te parle pas de l’amende. Si ça continue, je vais m’exiler. Heureusement, en France, il y a des types comme mon ami Jean-Claude (il lui tend une sardine comme à un dauphin de marineland) qui se met en quatre. Quand je tourne Taxi, toute la ville est bloquée sur un claquement de doigts, pire que pendant les grèves de la RTM, ha, ha, ha ! (Gaudin se met à bouder) Ah, Jean-Claude, il est tellement gentil que je lui ai promis un rôle de figurant (4) dans mon prochain film (il lui tend une autre sardine). Il veut tellement qu’on le voit dans les médias ! Au début, je lui avais proposé le rôle du commissaire dans Taxi 12, mais il a refusé. Pourtant, il aurait été parfait. Puisque vous insistez, je vais vous expliquer mon projet. Donc ça sera un multiplexe, mais avec plein de trucs différents et nouveaux dedans. Quoi ? Plus de détails ? Non, mais « un constructeur de voitures donne-t-il les plans de ses modèles deux ans avant ? » (5) (A Marseille, ils aiment bien les métaphores automobiles). Allez, je vous en livre juste un, top secret, hein ! Il y aura des gobelets à pop corn taille XXXL ! Aujourd’hui, ça s’arrête à XL. Révolutionnaire, non ? En fait, j’ai jamais fait de salles de cinéma de ma vie, je suis un gros bleu, ah, ah ! Mais je m’appelle Besson, et ça suffit largement pour mon ami Jean-Claude. Un des premiers à reconnaître mon génie, avant la consécration : je suis pressenti pour rentrer dans la prochaine édition du Larousse, et je ne désespère pas de finir un jour sur un timbre-poste. Comme mes scénarios.

Paul Tergaiste

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