Le tram le plus con du monde, con ?

décembre 2005
Certains redoutent sa privatisation, d'autres misent sur lui pour leur réélection, beaucoup déplorent les nuisances nécessaires à sa réalisation. Encore virtuel, le tramway suscite les passions. Reste une question : et si ce projet servait à tout sauf à se déplacer ?

Définition : Tramway : n.m., objet de convoitise. Tout le monde l’attend comme le symbole de la modernité : c’est le progrès qui arrive enfin à Marseille, deuxième ville de France, mais seulement la vingtième à s’équiper de ce bijou. Pour certains l’honneur est sauf, car Marseille était une des rares villes où le tramway d’antan roulait toujours, de Noailles à Saint Pierre, jusqu’aux débuts des travaux de rénovation. Mais 50 ans de choix publics en faveur de la voiture ont engorgé la ville et rendu l’air irrespirable. Alors le tramway fait office de baguette magique et tous les regards sont tournés vers cet avenir radieux, où le piéton serein circulera sur des avenues reprises à la voiture, redécouvrira sa ville à travers les vitres fumées, en appréciant le silence de la traction électrique et la fraîcheur de la clim… Les syndicats eux-mêmes, sûrs de la rentabilité du tramway, se battent pour obtenir sa gestion, et en assurer le fonctionnement au sein de la RTM.

Pourtant la grève de la RTM a révélé ce que beaucoup savent déjà : la vétusté des transports marseillais. Et posé une question bête : le tramway peut-il sortir l’ensemble des transports en commun de l’ornière ? Et d’ailleurs, est-il fait pour ça ? En effet, dans tous les documents de la Ville de Marseille ou de la Communauté Urbaine Marseille Provence Métropole, il est rappelé que le tramway sert en même temps à la requalification urbaine : « Il apporte une nouvelle offre de transport tout en réaménageant l’espace urbain traversé. » Ou encore : « Véritable projet de ville, la mise en ?uvre du tramway ne se résume pas uniquement à une amélioration de l’offre de transport. Il offre l’opportunité de requalifier la ville, de reconquérir le centre ville (…). Ainsi le tramway participe à l’embellissement du cadre de vie. » Plusieurs rues seront ainsi rendues à une urbanité moins agressive : rue de Rome, boulevard Longchamp, rue de la République, et partiellement, la Canebière. Mais à regarder le tracé du tramway, on confirme que cet objectif d’embellissement est sans doute le principal : il suit peu ou prou les axes du métro actuel.

C’est le syndrome « spaghetti » : au lieu de se croiser une fois et d’aller irriguer des secteurs différents, les lignes se croisent plusieurs fois, s’entremêlent, pour finalement n’irriguer qu’un secteur restreint de la ville. Ainsi le trajet Joliette-Blancarde pourra se faire de cinq manières différentes, en empruntant au choix : un tramway direct, deux tramways, un métro puis un tramway, un tramway puis un métro, ou bien, par très mauvais temps, deux métros… Cette intermodalité poussée à son paroxysme ne va pourtant pas jusqu’à connecter le tramway avec la gare SNCF, ce qui devrait faire du tramway marseillais une rareté mondiale…

Pendant ce temps, les autres quartiers de Marseille devront se contenter de rocades et de boulevards urbains, car seul un prolongement du métro est aujourd’hui programmé, celui de la ligne 1 vers l’Est et le plateau de Saint Barnabé. Ce choix n’est pas anodin : d’autres prolongements étaient prévus dans le Plan de déplacement urbain (PDU) de Marseille, approuvé en 2000, mais concernaient des secteurs beaucoup moins « rentables » pour l’équipe municipale, quoique plus prometteurs en termes de trafic : de Bougainville vers le 15ème arrondissement, et de La Rose au technopôle de Château Gombert. En 2000, donc, le maire a clairement indiqué sa préférence pour les quartiers Est, électoralement plus instables.

Restent donc les bus, qui ont à Marseille la particularité d’aller partout, mais lentement… En effet, l’urbanisme des années 60 a construit les grands ensembles sur les anciennes bastides, très éloignées des centres urbains, y compris périphériques. Seule solution : la réalisation de couloirs de bus en site propre qui permettent d’augmenter la vitesse et de maîtriser la fréquence des bus. Mais améliorer le service existant aux actuels usagers n’est pas la priorité de la communauté urbaine. Justifiée par l’objectif de réduire la place de la voiture en ville, la nouvelle offre de transports en commun s’adresse aux populations moyennes et aisées, essentiellement automobilistes, en leur proposant un service moderne et attractif, pendant que les populations qui n’ont pas de voiture restent la clientèle captive des bus lents et rares. Et sont les seules véritablement touchées par une grève…

Ces choix ont un corollaire financier : le plan métro-tram, même séparé en deux phases (les tramways allant jusqu’à Endoume et Castellane ne seront réalisés qu’après 2007), coûtera la bagatelle d’environ 100 millions d’euros par an à la communauté urbaine jusqu’en 2011, sans compter les cofinancements de la Région, de l’Etat et du Département. Mais rien n’est trop cher pour redonner au centre ville l’éclat d’antan. Du temps où les tramways roulaient encore sur la Canebière.

Etienne Ballan

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