« Les politiques obéissent à la peur »

décembre 2011
A Marseille, monsieur le maire ne veut plus de mendiants en centre-ville. Nous sommes allés recueillir la réaction de ceux qui font la manche pour (sur)vivre.

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Depuis le 14 octobre, il est officiellement interdit de faire la manche dans les rues du centre-ville de Marseille. Dans cet arrêté municipal, le sénateur maire UMP Jean-Claude Gaudin, considérant qu’il s’agit d’un « site quotidiennement fréquenté par des milliers de touristes et de citadins » – on appréciera l’ordre des mots – menace d’une amende de trente-cinq euros tout mendiant de la cité phocéenne. Colère chez les associations de soutiens et la plupart des politiques de gauche. Pour protester, Emmaüs a organisé des scènes de quête devant la mairie.

Parmi les manifestants, certains étaient concernés au premier chef. Eddie y était. « Moi je ne touche même pas le RSA, je dors sous un pont. En prenant cet arrêté, on pousse les gens à tomber dans la délinquance. Le vrai problème de toute façon, c’est la pauvreté. C’est une politique du cache-misère. » Même son de cloche pour Tighzert. Lui est kabyle, vient de faire renouveler son titre de séjour. Tous les jours ou presque, il s’installe près d’un distributeur de billets du boulevard Dugommier, sur le chemin de la gare Saint-Charles. « Qu’est-ce qu’on peut faire à partir du moment où on n’a pas de travail  ? Moi, j’ai une petite pension, dix euros par jour. Avec ça, je vais pas bien loin. Tous les jours, je récupère une dizaine d’euros en plus pour m’acheter un petit plaisir, des clopes ou une bouteille. Une amende de trente-cinq euros ? Mais comment je fais pour la payer, c’est plus de trois jours de manche ! » Au-delà, il a peur pour les relations avec les riverains mais surtout avec la police. « Jusqu’à présent, ça se passe bien : certains flics me donnent même un ou deux euros quand ils passent à pied. Mais, demain s’ils ont des ordres, je vais passer mes journées au commissariat de Noailles ? »

Un peu plus haut, au pied des interminables marches de la gare, on croise Marc, qui réclame « un petit coup de main pour prendre son train vers Gardanne ». Une petite somme qu’il gratte tous les jours pour rentrer chez lui après ses trois heures de boulot. Il n’a aucune envie de se mettre hors la loi. Alors, il s’adapte. « Au début, je faisais la manche directement dans la gare puis on m’a chassé vers le parvis. Mais, quelques temps plus tard, ça n’allait déjà plus. Alors, je suis arrivé sur le trottoir. Même là, on dérange désormais », s’étrangle-t-il. Il pense que le regard des gens ne va pas s’arranger devant une telle mesure. « J’ai toujours le sourire, je dis « bonjour » tout le temps mais on me répond peut-être une fois sur dix. Avec des lois comme celle-là, ça sera pire. Je dois dire que je comprends la réaction des gens. Moi, quand j’étais comme eux, je donnais pas souvent à ceux qui tendaient la main. Je me rendais pas compte. Mais les politiques eux savent. Ils obéissent à la peur plutôt que d’essayer d’expliquer. C’est pour ça que dans la rue, plus personne ne vote. La société se fait sans nous. »

Jean-Marie Le Forestier

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