Les Renseignements Généraux, démographes de « l’islamisation »

septembre 2004
Début juin, la Direction centrale des renseignements généraux (DCRG) posait sur le bureau de Dominique Villepin un rapport alarmiste sur le « repli communautaire » dans les banlieues. La délinquance change de camp, la voilà religieuse...

« Survivances culturelles, vie associative repliée sur elle-même, montée du prosélytisme intégriste… », le cauchemar islamique selon les RG est protéiforme, situé quelque part entre la polygamie, le kebab et la crèche musulmane. Réalisé par la section “dérives urbaines” de la Direction centrale des renseignements généraux (DCRG), le rapport tire en effet la sonnette d’alarme. Il se construirait une « identité négative » dans certaines banlieues, « qui mélange les cultures d’origine, les valeurs des cités et des références rudimentaires à l’Islam » (1). Bref, une véritable hérésie républicaine… Pourtant, ce travail, selon le Monde qui l’a “dévoilé” en juillet au public, n’a aucune valeur scientifique, il n’utilise aucunes statistiques officielles et les critères y sont éminemment subjectifs. Par exemple, « le port d’habits orientaux » ou l’émergence d’un « tissu associatif communautaire » dont on a peine à voir l’imminence du danger… Le but avoué, plutôt bruyamment dans les médias pour un rapport confidentiel, est donc essentiellement de souligner une tendance. Laquelle, bien médiatisée, bat effectivement à plate couture tous les travaux des vrais experts sur le terrain. Car, comme l’explique la sociologue Sophie Body-Gendrot (2), « l’utilisation abusive des statistiques officielles émises par la police chaque année permet aux médias, au discours politique et aux porte-parole « auto-proclamés » de l’opinion, de tirer avantage de l’anxiété diffuse de la population ».

L’islamo-délinquance

Depuis les attentats parisiens et les émeutes des cités des années 90, les Renseignements généraux se sont dotés d’une section “Villes et banlieues”, créée en 1991. Dans le même temps, le plus souvent à l’initiative du syndicat SCHFPN, la célèbre discrétion de ces services “spéciaux” en a pris un sacré coup. Notamment sur la délinquance des jeunes issus de l’immigration, les fonctionnaires de cette noble institution n’ont jamais été aussi bavards. Colloques, communiqués de presse, interviews, rapports qui “fuient” ou encore ouvrages et conférences du prolixe commissaire divisionnaire Richard Bousquet, l’heure est à la confidence publique (3). Et en près de quinze ans de recherches sur le terrain, les “experts-policiers” ont pu affiner leur analyse des violences urbaines, passant allègrement d’une émeute à une mosquée clandestine, des rodéos de voitures volées au port du voile, du deal de shit à l’ouverture d’une épicerie arabe, comme signes indubitables de la sensibilité de ces quartiers. Dans la version 2004, ces quartiers sont donc « en voie de ghettoïsation » et la menace, c’est l’islamisation galopante de tous ces petits sauvageons de banlieue, qui cessent d’arracher des sacs à la portière pour se faire pousser la barbe et prier dans des mosquées clandestines.

Les “terroristes” de banlieues

Comme ultime preuve accablante, les Renseignements généraux sortent quelques chiffres sur l’extension des Salafites et des Taglibh, ces prêcheurs islamistes des cités dont la présence a été constatée dans plus de 200 quartiers, selon le rapport. Bizarrement, dans cet éventail d’un islam vécu comme extrémiste, et qui est en réalité plus militant que “terroriste”, les RG n’évoquent pas les “Frères Musulmans”, dont l’une des branches est l’UOIF, membre pourtant très controversé du Conseil du Culte Musulman, créé à l’initiative de Sarkozy en 2002. Quant aux deux autres mouvements, effectivement en réelle expansion dans les banlieues, ils sont sous haute surveillance des RG depuis les attentats terroristes de 1995. Pour autant, leur but est généralement fort éloigné de ce sujet. Les salafites (“salafs” comme on dit dans les cités) et surtout les Taglibh, surnommés parfois les « Témoins de Jéhovah de l’Islam », sont des religieux missionnaires dont l’action ressemble étrangement à celle des mouvements de scoutisme catholique. Leur présence en banlieue permet souvent une baisse du nombre d’émeutes et une certaine reprise en main de la jeunesse, notamment délinquante. Ce mouvement a ainsi permis à beaucoup de jeunes musulmans désocialisés de retrouver une dignité et un islam du “juste milieu” (4).

Valérie Patte

(1) Termes du rapport, cités dans Le Monde, 6 juillet 2004 (2) Sophie Body-Gendrot, professeur des universités à la Sorbonne, chercheur au CNRS, a écrit de nombreux ouvrages sur les politiques urbaines et notamment sur la violence dans les villes. (3) Laurent Mucchielli “L’expertise policière des violences urbaines”, Cahiers Information Sociale, 2002 (4) Moussa Khedimellah, chercheur à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS), spécialiste du Taglibh.


L’islamisation « galopante »… en chiffres

Michèle Tribalat, démographe, a participé en 1992 à la première enquête de l’Insee qui prenait en compte les immigrés et leurs enfants. En 2000, elle claque la porte du Haut Conseil à l’Intégration lors de la rédaction du rapport “L’Islam en France”, en désaccord avec leurs estimations du nombre de musulmans en France. Selon les recherches de Tribalat, les “possiblement” musulmans seraient au nombre de 3,7 millions, et non de 6 millions comme l’estime l’Etat, ou même 8 millions selon le Front National. “Possiblement”, car à l’instar de la population française “de souche” dont seulement 8% est catholique, les Français d’origine maghrébine ne sont pas forcément musulmans.

Par ailleurs, il y a en PACA 76% d’adolescents étrangers ou d’origine étrangère dans les centres d’éducation fermés, contre 20% en Bretagne. En 1999, la population immigrée y représentait 9,5% de la population, la moyenne nationale étant de 6,5%.

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