Luc Alphand, sportif-skieur-pilote

février 2006
Après s'être roulé dans la poudreuse, le brillant Briançonnais Luc Alphand fait à présent vroum-vroum avec sa tuture dans le plus grand bac à sable du monde. Il a gagné la dernière édition du Paris-Dakar, qui a écrasé au passage deux gosses. Non mais quels rabat-joie, ces Nègres !

Alphand la caisse !

« Lazizaaaa, je te veeeuux si tu veux de moa-aaa !!! » Oh, putain, je l’ai évitée de justesse, la beurette ! Va donc, eh, inconsciente ! Salut les gars ! C’est moi, Lucky Lucho, l’homme qui roule plus vite que son ombre. Et rien ne m’arrête ! Je suis l’Attila du Ténéré, là où passent mes chevaux-vapeur, l’herbe ne repousse plus. Euh, y en avait pas beaucoup avant, c’est vrai. Mais là, au moins, on est tranquille, le premier train de pneus tire le végétal, tandis que le deuxième le coupe avant qu’il ne se rétracte. 27lop_alphand2.jpg Tiens, faut que j’en cause à un sponsor… Briançon (ndla aux correcteurs : attention à la cédille), c’est ma patrie. J’y suis né voici quarante ans. C’est ce qui fait que j’ai toujours été passionné par la nature. Ah, que la montagne est belle ! Ses canons à neige, ses remontées mécaniques, ses combis fluos qui dévalent la pente, sans oublier ses routes sinueuses où on peut se tirer de sacrées bourres. Vroummm ! J’habite toujours à la montagne, à Serre-Chevalier, la station de ski, avec ma femme et mes trois gosses. Je leur dis souvent aux mômes : faites gaffe quand vous traversez, avec tous ces jobards sur les routes. Le ski, ça été ma première passion, j’adore la vitesse et les combinaisons moule-burnes couvertes de pub. Je vous épargne mon palmarès, le ski, tout le monde s’en branle. En 1998, les articulations en miettes, je me suis dit, bon, qu’est que je fous maintenant ? On a ouvert une brasserie avec le frérot, mais j’allais pas faire barman des pistes à draguer la Marseillaise en février ! Le foot, c’était trop tard, Aimé Jacquet avait fait sa sélection, et puis j’aime pas trop les shorts. C’est en heurtant un pilier de télécabine que j’eus la révélation, un peu comme Claudel à Notre-Dame. La bagnole ! Encore plus de pubs que sur les combis de ski, la classe ! Et puis je me suis dit, la neige, le sable, kif-kif, et c’est parti pour le Dakar. C’est vrai que « le désert au début ça m’a fait peur. C’est grand, c’est chaud. » (1) La montagne aussi c’est grand, mais sauf que c’est froid. Alors, vroum, vroum, vroum… Le Dakar, les 24 heures du Mans, re-le Dakar… Deuxième l’année dernière, et puis cette année la con-sé-cra-tion ! Numbeur ouane, le Lucho ! Yessss ! Et puis là, keskispasse ? Non mais j’hallucine grave ou quoi, là ? Trop dégoûté ! On lui fait pas la fête au Lucho ! « Et moi qui sors de ma bagnole, où on s’est défoncés tous les jours à faire 800 bornes, avec tous les efforts que ça représente toute l’année pour s’entraîner, pour développer les voitures… » (2) ?Tain, c’est trop injuste, quoi ! Et tout ça pourquoi ? A cause de deux petits Nègres qui se font écraser (3) ! Mais « il faut connaître l’Afrique pour savoir ce que c’est : ils chantent, ils dansent, ils courent partout parce que c’est super pour eux, le rallye. Ils sont un peu inconscients » (4) Oui, voilà des inconscients. La preuve ? Demandez à Kalmanovitz, le responsable de la sécurité de l’épreuve. Il vous répondra : « en Afrique, on arrive dans des endroits où il n’y a rien et où les gens sortent de nulle part » (5) Ben oui, c’est vrai, j’ai la vitesse dans la peau, mais les Négros eux, ils ont la peau sur les os ! On les voit même pas, des fantômes, des transparents, des inconscients, ils n’existent pas, comme leur continent, où y a rien. C’est pour ça qu’on le traverse à fond la caisse. Y a rien à voir, on vous dit ! Circulez ! Vroum ! On peut pas dire qu’ils meurent, ils n’existent pas, ils sont déjà morts. Les morts, les vrais, nous on les respecte, comme Thierry Sabine. La preuve, on a inauguré le 15 janvier une stèle dans un bled sénégalais à sa mémoire. Mais lui, il a existé pour de vrai, il passait à la télé comme moi. Et puis ces gosses, en fait, ils sont morts de joie. C’est pas la plus belle des morts ? Demandez à Abdoulaye Wade, le président du Sénégal : « Ces enfants qui étaient portés vers ces véhicules par un élan d’amour pour le sport ont été victimes de leur enthousiasme ». (6) Bien dit ! C’est qu’il sait les apports positifs de la néo-colonisation. Pensez donc, toutes les retombées financières ! Tenez, lisez ça par exemple : la ruse de Francis Bernard et Robert Burnier pour ne pas vivre des ensablements à répétition. « Nous avons embarqué un local pour qu’il nous guide, raconte Francis, plié de rire. Il connaissait la zone sur le bout des doigts. Et pour le remercier, nous lui avons donné 20 euros. Pas cher payé, il devait se taper vingt kilomètres à pied pour retourner chez lui… » (7) Faut faire du sport, c’est ça le message qu’on apporte aux Africains. « Sinon, tu feras 120kg, sur ton canapé à bouffer des chips devant la télévision. Et tu crèveras. » (8) Et puis le sport, le pétrole, la pub, les médias, on leur offre le meilleur de notre civilisation, à ces Bamboulas ! Alors, vous commencez à me les briser à vouloir me pourrir la fête. Tout ça, « ça ne va pas gâcher ce que je ressens, ce que j’ai accompli. »(9) Et si vous n’êtes pas content, écrasez !

Paul Tergaiste

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