Morts, les Ouvriers?

mars 2005
Arkema, Diebold, Lustucru, Nestlé... La liste des usines qui ferment leurs portes ou licencient ne cesse de s'allonger. Le phénomène n'est pas nouveau mais s'accélère. L'industrie a déjà connu de grandes crises dans une région où, depuis longtemps, les secteurs des services et du commerce offrent l'essentiel des emplois. Le monde ouvrier serait-il en Paca une espèce en voie de disparition ? Mieux vaut sans doute parler de mutation...

La conjoncture est un art difficile. Début janvier, à l’issue d’un colloque intitulé « bilan et prospectives », la chambre régionale de commerce et d’industrie concluait à de « bonnes perspectives pour 2005 » pour l’industrie dans les Alpes-de-Haute-Provence. La CCI précisait toutefois, in extremis : « perspectives, cependant assujetties au maintien de l’usine Arkema, important donneur d’ordres local ». Quelques semaines plus tard, la nouvelle tombait : le groupe Total – société, souvenons-nous, qui a battu les records de bénéfices durant l’année écoulée en France – annonce son intention de supprimer 380 des 783 postes dans l’usine Arkema de Saint-Auban (Alpes-de-Haute-Provence). Le « plan social » dans cette entreprise, produisant du chlore avec le sel des Salins-de-Giraud (Bouches-du-Rhône), conduirait à la suppression d’un millier d’emplois chez ses sous-traitants. D’autres conséquences sont attendues : 40 % du fret sur la ligne Marseille-Briançon repose sur le transport du sel à destination d’Arkema…

Les réactions n’ont pas manqué. Michel Vauzelle s’est dit « scandalisé » par la « logique financière » du groupe Total. «On a l’impression qu’il y a deux mondes qui n’appartiennent pas à la même humanité, qui ne partagent pas du tout les mêmes valeurs», a commenté le président de Région. Les 200 élus du département, gauche et droite confondus, ont entamé une grève des commissions administratives. « Le problème est simple, résume Alain Bard, secrétaire général de l’union départementale CGT du 04. Toute la vallée de la Durance va être sinistrée. Si Total applique son plan, on va prendre une voie irréversible qui nous conduira à la disparition des emplois de production dans le département. » Mais les Alpes-de-Haute-Provence ne sont pas un cas isolé. Les Bouches-du-Rhône font également face à une série noire.

Fin juin, Nestlé voudrait fermer définitivement les grilles de son usine à Saint Menet, quartier à l’Est de Marseille. 427 salariés y travaillent encore et tentent d’obtenir une autre issue au conflit (lire page 8). A Arles, le groupe Panzani a pris prétexte des inondations en décembre 2003 pour fermer l’usine Lustucru – 145 emplois supprimés – désormais occupée par ses salariés déterminés à reprendre l’activité sous forme de coopérative ouvrière (lire A Arles, les Lustucrus rient jaune).« Il s’agit en général d’industries traditionnelles, héritées de l’époque coloniale, qui emploient du personnel peu qualifié ou très spécialisé » , a souligné Christian Frémont, le Préfet, afin de relativiser la portée du problème. Mais à Cassis, Diebold, leader mondial américain pour la fabrication des distributeurs bancaires, programme lui aussi de licencier 88 de ses 209 employés… L’installation de cette entreprise avait été saluée, à l’époque, comme le symbole du renouveau industriel d’un secteur traumatisé par la fermeture des chantiers navals de la Ciotat.

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Les ouvriers seraient-ils une espèce en voix de disparition en Paca ? « De grosses inquiétudes planent sur l’usine Panzani de Saint Marcel à Marseille, souligne Jean-Paul Laporta, secrétaire de la CGT des Bouches-du-Rhône. Mais nous sommes aussi en alerte sur toute la filière pétro-chimique autour de Berre. Depuis les années 70 et les restructurations dans la réparation navale et les années 80 avec la fin de la construction navale, nous n’avions pas connu une situation de menace aussi généralisée pour l’emploi industriel. Et je n’évoque même pas les difficultés de la compagnie maritime SNCM et celles du Port autonome. » Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Entre 1990 et 2003, l’emploi industriel a diminué de 10 % en Paca. L’industrie ne représente plus que 11 % de l’emploi régional (la moyenne est de 18 % au niveau national). Entre 1990 et 1999, la part des ouvriers a diminué de 16,8 % sur la métropole marseillaise, de 14,4 % dans l’agglomération Nice Côte d’Azur, de 14,3 % dans celle de Toulon Provence Méditerranée. « Pour continuer à vivre et à travailler au pays, qu’allons-nous devoir faire ?, s’interroge Jean-Paul Laporta. Accepter des emplois de plagistes, de porteurs de caddies dans les terrains de golf ? »

Mais les données statistiques cachent d’autres réalités. Les 80 % d’actifs employés dans le secteur tertiaire en Paca ont des profils bien différents. Pour ne prendre qu’un exemple, une caissière dans un hypermarché n’est pas une ouvrière. Pourtant, les cadences auxquelles elle est soumise, la répétition permanente des mêmes gestes mécaniques, les méthodes coercitives de management auxquelles elle fait face, apparentent fortement sa situation à celle d’un ouvrier spécialisé rivé à une chaîne de production. Casino, Carrefour et Auchan figurent parmi les dix plus gros employeurs du Var… Si l’industrie prend l’eau, le monde ouvrier se recompose en permanence. Mais pas à l’identique. Plus qu’à sa disparition, nous assistons à sa mutation (lire page 8). Mutation qui, pour l’heure, sur le plan social, se traduit souvent par une régression. « Toutes ces fermetures ont un principal effet, déplore Gilbert Colotte, délégué du personnel à Lustucru, dans son usine fermée et occupée. Nous sommes tous invités à refuser nos emplois stables pour accepter un travail précaire et mal payé. Personne ne peut l’accepter. » La colère gronde et menace d’éclater. Dans la pure tradition des grandes frondes du mouvement ouvrier.

Michel Gairaud

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