Muselier d’Arabie

novembre 2011
Renaud Muselier vient d’être nommé à la tête de l’Institut du monde arabe (Ima). Une arrivée annoncée en personne par le député UMP de Marseille, se félicitant d’avoir obtenu « mieux qu’un ministère ». Cumulant les fonctions, « Muso » a-t-il le temps et les compétences pour présider l’Ima ? Quel rôle l’Institut peut-il jouer après les révolutions arabes ? S’agit-il vraiment d’un bon tremplin pour briguer une mairie ? Enquête.

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On n’est jamais mieux servi que par soi-même. Alors, Renaud Muselier a grillé la politesse à l’Élysée et au Quai d’Orsay en annonçant lui-même sa nomination à la tête de l’Institut du monde arabe (Ima), une première fois au mois d’août, puis, n’ayant pas eu alors l’écho escompté, il a remis ça, entre deux sorties contre Jean-Noël Guérini, pendant le Campus UMP à Marseille début septembre. Audience garantie face à la cohorte des envoyés spéciaux des rédactions parisiennes. Un nom, un poste, facile à relayer, à diffuser. Et tout le monde ou presque s’en est contenté. Le député pouvait fanfaronner. « Mieux qu’un ministère », disait-il à La Provence pendant que ses proches se chargeaient d’en rajouter. Nicolas Sarkozy aurait ainsi, selon eux, indiqué sa préférence en vue des prochaines municipales phocéennes. De quoi faire tiquer ceux qui, à droite, ont eux aussi des vues sur la mairie. Lionel Royer-Perreaut, bras droit de Guy Teissier, ne cache pas son agacement : « Cette nomination est un non-sujet ! Un tremplin pour 2014 ? C’est son analyse, elle a sa cohérence, mais nous ne la partageons pas forcément. »

« Il n’a pas le profil adéquat »

Renaud Muselier n’a pas le triomphe modeste : « Dans ce type de nomination, il y a deux solutions : soit vous recasez des gens, soit vous prenez des gens d’avenir. » Le parti socialiste des Bouches-du-Rhône dénonce, précisément, l’utilisation d’une institution culturelle au bénéfice des ambitions électorales d’un homme. Alain Hayot, conseiller régional PCF, est acerbe. « Muselier est un homme politique tout à fait respectable mais il n’a pas le profil adéquat, condamne ce spécialiste des questions culturelles. Sa nomination ne lui donne ni la compétence de la chose ni même la stature. Ses prédécesseurs, y compris Dominique Baudis, avaient une vraie connaissance du monde arabe. Ils étaient en fin de carrière politique et se sont consacrés pleinement à la tâche. » Ce qui ne sera pas le cas du petit-fils de l’amiral. Difficile de faire autrement quand on est député, délégué général de la mairie de Marseille chargé de la capitale culturelle, vice-président de Marseille Provence Métropole, président du conseil culturel de l’Union pour la Méditerranée et qu’on cumule en plus quelques fonctions à l’UMP. Toutes ces casquettes arrivent même parfois à se mélanger. Par exemple, Renaud Muselier n’a pas démenti Eliane Zayan, conseillère municipale déléguée au cinéma, s’opposant au projet d’un festival de films arabes lors de la Capitale européenne de la culture. Motif ? Ce festival du ciné arabe serait « discriminatoire », « un mauvais choix pour Marseille ». Officiellement à la mairie, il approuvait les réticences de Zayan mais quelques mois plus tard, ses doutes semblaient s’être envolés lorsqu’il labellisait au conseil culturel de l’UPM le projet dans sa seule dimension arabe.

« Une vision ? Je consulte… »

Pour le cumulard, la coupe est déjà pleine, presque trop. L’association Regards citoyens note que Renaud Muselier a séché, en 2010-2011, dix-huit des trente-trois réunions du mercredi de la Commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale dont il est pourtant vice-président, ce qui lui a valu une amende de 1 420 euros. Mais il ne compte pas pour autant rallonger son séjour hebdomadaire dans la capitale. Tant pis pour la commission… ou pour l’Ima, où il ne sera de toute façon pas présent au quotidien.

Depuis 2009, peu avant l’élection comme parlementaire européen de Dominique Baudis, une nouvelle gouvernance y est en place. Renaud Muselier ne présidera pas le conseil d’administration mais le haut conseil de l’Institut. Pour Baudis, ça n’a presque rien changé : il est resté très actif et les interventions de l’ancien reporter de TF1 au Liban, appuyées sur des notes manuscrites, sont restées de qualité. « Baudis a fait son travail à plein temps, cultivé des réseaux, a ramené de l’argent aussi. Il a effectué sa tâche avec le détachement et le dynamisme d’un haut fonctionnaire », rapporte Hugo Lacroix, auteur d’un livre sur l’Institut (1). Avec le nouveau président, la donne va changer. Il entend se contenter de fixer les lignes directrices et de décider du sort de la vingtaine de millions d’euros affectée annuellement à l’Ima. « Un président, il préside ; un directeur, il dirige : c’est un poste un petit peu honorifique », sous-titre son ami sénateur-maire des 4e et 5e arrondissements de Marseille, Bruno Gilles.

Une présence limitée, un budget somme toute réduit (comparable à celui d’une université de taille moyenne par exemple) : on semble loin du « ministère » promis. « J’aurai les mains plus libres que dans certains ministères complètement sous tutelle. Là, il y a une grande indépendance, c’est une institution de rayonnement et il y a une grande liberté d’action », rétorque Muselier. Mais le Quai d’Orsay va-t-il lui laisser véritablement les mains libres ? « Le ministère des Affaires étrangères apporte tout de même deux tiers du budget, lâche-t-il. Mais nous partageons avec Alain Juppé la même vision. » Une vision sur laquelle il reste, pour l’heure, volontairement très flou : « Je suis arrivé mi-septembre. Pour l’instant, je m’installe, je consulte. »

Programmation « pauvre et craintive »

En attendant, les salariés ont manifesté le jour même où les ambassadeurs des pays arabes présents au conseil d’administration ont entériné sa nomination. Renaud Muselier n’était pas directement visé mais il devra répondre à leurs demandes. Tout d’abord, une clarification de la gouvernance. Les salariés ne savent plus qui tient les rênes entre Bruno Levallois, président du conseil d’administration et proche de Dominique Baudis, la directrice générale saoudienne Mona Khazindar, son adjoint et le président du haut conseil. Cette gouvernance de bric et de broc dure depuis plus de deux ans quand un vice-président du conseil d’administration avait brutalement démissionné en tirant la sonnette d’alarme. Pour ajouter au flou, le Marseillais débarque avec dans ses bagages son conseiller et secrétaire général du conseil culturel de l’UPM, Philippe Castro, qui n’entend pas lui non plus jouer les touristes. « Il faut une clarification rapide des prérogatives du président du conseil d’administration et de la directrice générale », réclame Safi Khatib, de la CGT – majoritaire dans l’établissement –, qui déplore l’absence de dialogue.

Autre enjeu soulevé par les salariés : la politique culturelle est à redéfinir. Khatib parle d’une programmation « pauvre et craintive », soumise aussi parfois à la censure comme lorsqu’en 2010, pour l’un des rares débats d’actualité, on avait refusé à des chercheurs le droit de parler de la fraude organisée par Moubarak lors des législatives égyptiennes. Directeur de recherche émérite au CNRS et membre de l’Iremam (2) d’Aix-en-Provence, Jean-Robert Henry est plus sévère : « Certaines expositions contemporaines ont été malmenées. Aujourd’hui, l’Institut du monde arabe s’est concentré dans l’exaltation de la culture arabe ancienne, plus consensuelle. »

Ces expositions attirent le public, avec plus d’un million de visiteurs par an, mais on est loin de « l’Unesco du monde arabe » voulu à son lancement par Giscard et à son inauguration par Mitterrand. Les pays arabes, même les plus riches, comme le Qatar ou l’Arabie saoudite, rechignent à injecter des fonds. Et pourtant, aux dires de l’ensemble des acteurs, dans un monde arabe en pleine mutation, l’Ima a un rôle à jouer. « Avec l’essoufflement de l’Union pour la Méditerranée dû aux événements récents, il a totalement sa place dans le renouveau de la politique arabe de la France en initiant le dialogue avec de nouveaux acteurs », s’enthousiasme Jean-Robert Henry. Si Renaud Muselier parvient à installer l’Ima dans son époque, peut-être pourra-t-il parler alors d’un poste « mieux qu’un ministère ». Pas sûr qu’une présidence à quart-temps y suffise.

Jean-Marie Leforestier

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