Où se cachent les « Indignadous » ?

décembre 2011
Les indignés ont été, ce week-end, violemment évacués par les CRS du Cours Julien, au centre de Marseille, où ils tentaient d'établir un campement. Si les Indignés, pour l'instant, ne font pas un triomphe façon Puerta del Sol en Paca , cela n’empêche pas certains de se révolter ou, plus simplement, d’agir dans leur coin. Loin des projecteurs des "grands" médias...

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Samedi 24 janvier,

16 h 30, bas de la Canebière à Marseille. Une quadra joue un remake de « Jésus contre les marchands du temple » armée d’un micro à l’entrée du centre commercial Bourse. Eddie et Kévin, 19 et 21 ans, tractent sous une ficelle d’où pendent des slogans du type : « À force d’obéir, on obtient des réflexes de soumission ». Ils font partie des indignés marseillais, dénoncent « la société de consommation » et réclament une « démocratie réelle ».

Direction ensuite place du Général-de-Gaulle, à deux pas du Vieux-Port, sous les fenêtres du Medef local (Eddie et Kévin l’ignorent !). C’est leur Puerta del Sol. Depuis la rentrée, les « Indignadous » s’y installent chaque samedi après-midi pour une « assemblée populaire ». Les autres jours, ils tchatent sur leur site http://marseille.indigne-e-s.net. Une quinzaine de personnes sont assises en rond. À part Claire, la vingtaine, présente pour la première fois, ils ont plutôt de 30 à 60 ans. Il y a des femmes, des hommes, de toutes couleurs, des Marseillais et un Aixois, des profs, un musicien, des militants d’Attac qui ont été invités. Leur faible nombre ne les décourage pas. « Il y a tout le reste du monde ! », martèle Eddie.

Assise en tailleurs, une autre Claire, la trentaine, raconte l’étape parisienne de la marche européenne des indignés espagnols. Elle y était : « Il y a eu des arrestations pour identification et des violences policières alors qu’il n’y avait aucun trouble. Le consulat d’Espagne a demandé des comptes à la France qui lui a répondu : sécurité intérieure. » « Comme pour le terrorisme », s’indigne Kévin, qui regrette la faible reprise de l’info dans les médias. Décision est prise de la diffuser largement. Les mains s’agitent, avant-bras levés, sur le modèle espagnol.

Au fur et à mesure de l’avancée de l’ordre du jour (grève du 27/09, journée mondiale pour une démocratie réelle le 15 octobre, etc.), les débats se resserrent sur l’essentiel : le discours est-il trop « intellectuel » pour les classes populaires ? Le mouvement doit-il se structurer ? Quel rapport aux élections alors que la démocratie représentative est dénoncée ? Invités à rejoindre le cercle, les quelques passants qui traversent l’esplanade le scrutent la scène souvent d’un regard amusé.

Un kilomètre plus haut et quelques jours plus tard, dans les locaux d’une association attentive aux indignations locales, nationales et internationales, un témoin engagé du mouvement social s’emporte tout en réclamant, avec prudence, de rester anonyme : « Marseille est une ville de merde ! Il y a toutes les conditions pour que ça explose, mais il ne se passe rien. Rien ne prend, à part le mouvement des fonctionnaires, qui rassemble les plus grandes manifs nationales. » Il y a pourtant pire. Comme à Nice, où des indignés se sont également levés au printemps. Eux n’ont pas passé l’été.

« Hessel enfonce des portes ouvertes ! »

Le mouvement a pourtant bénéficié d’un plan com’ aux petits oignons : la Grèce, l’Espagne, la réforme des retraites. Sans oublier l’Indignez-vous ! de Stéphane Hessel. En un an, Cédric Neuver a en déjà vendu quelque 1 500 exemplaires à la librairie Maupetit, toujours sur la Canebière. Cent à deux cents fois plus que d’autres livres du même genre. Son jugement est sans appel : « Hessel enfonce des portes ouvertes ! » Ceci explique peut-être le peu d’ardeur de ses lecteurs à passer de la théorie à la pratique…

À moins que, à l’inverse, l’ancien résistant n’ait lui-même surfé sur une indignation déjà largement exprimée. Précaires, sans-papiers, libertés individuelles, école, violences policières, culture, services publics, femmes et terres agricoles, liste non exhaustive, ont depuis longtemps leurs défenseurs acharnés. Exemple du Réseau éducation sans frontières du Var. Né en 2008, le collectif regroupe des « représentants d’organisations syndicales, des citoyens, des profs, jeunes ou retraités », liste Claude Hardy, ancien conseiller principal et militant actif.

Leur engagement va au-delà des mobilisations contre les expulsions d’enfants sans-papiers scolarisés et de leurs parents. « L’année dernière, 91 Roms de Bosnie sont arrivés à Toulon. Malgré leur statut de minorité reconnue par la communauté internationale, la préfecture et le conseil général ont fait le minimum. Ils draguent les courants proches du FN. Un collectif humanitaire s’est donc créé pour la scolarisation des enfants : la Fédération des œuvres laïques s’est occupée des cartables, Emmaüs a fourni des vêtements, il a fallu négocier des prix de cantine abordables, etc. », témoigne le retraité.

D’autres, plus simplement, font le choix de faire « un pas de côté », comme le suggérait en 1973 L’An 01, de Gébé. Vie en communauté comme à Longo Maï dans les Alpes-de-Haute-Provence, en yourte, ouverture de librairies à l’heure du tout numérique, de lieux culturel et/ou sociaux, parfois autogérés, soutien à l’agriculture locale à travers des « Amap »… Les expériences se multiplient.

Béatrice Frigaux a ouvert son Épicerie Bio il y a huit ans et demi à Serres, un village de mille âmes des Hautes-Alpes. Affiliée au réseau Biocoop, la quadra travaille aussi avec les producteurs du coin. Si faire « consommer différemment », n’a pas été simple « avec les locaux », l’épicière a cependant vu sa clientèle croître… en même temps que la concurrence. Un Super U s’est notamment installé. « Une pétition circule car tous les magasins du village ferment à cause de lui. La grande distribution détruit le tissu social et la vie des villages », dénonce Béatrice Frigaux. Les « Indignadous » sont décidément partout ! 

Jean-François Poupelin

La vidéo de l’expulsion des Indignés du Cours Julien à Marseille, c’est ici…

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