Plaidoyer pour Battisti

juin 2004
Avec Fred Vargas, j'ai en commun un prénom masculin, l'écriture de romans policiers et la volonté de défendre Cesare Battisti ! Ce qui nous différencie, par contre, est que je suis un gros fainéant et Fred une grande travailleuse, capable d'écrire un livre d'arrache-pied en 12 jours et 12 nuits pour soutenir Battisti. En effet, le temps presse : le 30 juin, la cour d'appel de Paris doit se prononcer sur l'extradition de l'écrivain italien.

Peux-tu nous raconter la genèse de ce livre, entrepris dans une rare urgence ?

La prise de conscience de la stupéfiante censure que la presque totalité de la presse française opposait à toutes les voix qui tentaient de dire la vérité. La sensation d’un haut mur de béton s’élevant face à nous, la vue presque palpable de la vérité s’engloutissant dans les boues de l’Histoire, sous nos yeux, devant nous, devant moi, impuissante. Mon réflexe d’archéologue et d’historienne s’est déclenché comme un ressort : sauver par tous les moyens cette vérité qui disparaissait sous la marée mensongère de la propagande. Mais par QUEL moyen ? Un livre, me suis-je dit. Puisqu’on ne nous laisse pas parler, il va nous falloir prendre la parole par nous-mêmes. Et j’ai aussitôt appelé mon éditrice Viviane Hamy, dont je connais le courage et l’absolue probité.

Qu’est-ce qui te choque le plus dans cette affaire, dite Battisti ?

Que l’on utilise un être humain comme une marchandise, afin de régler des questions entre gouvernements et ministres. Que l’on fasse commerce de chair humaine. Que l’Italie réclame ses anciens réfugiés pour des motifs qui n’ont rien à voir avec ceux qu’elle avance, que la France accepte de puiser dans son « stock » au mépris de l’honneur de sa parole donnée et de sa justice. Que la presse ait publié, en Italie et en France, des mensonges et des désinformations inacceptables, pour aveugler l’opinion publique.

Quelles sont les contre-vérités les plus flagrantes qu’exploitent les accusateurs de Cesare Battisti ?

Dire que la justice italienne des « années de plomb » fut ordinaire, alors qu’elle fut à ce point viciée qu’Amnesty International la dénonça sans relâche pendant dix ans, y compris pour la pratique de la torture. Affirmer que les « témoins » au procès contre Battisti furent « ordinaires » alors qu’ils n’étaient exclusivement que des « repentis » ou des « dissociés », c’est-à-dire des personnes avec qui les magistrats négociaient des suppressions ou des remises de peine en échange de noms à donner. Il n’y eut jamais la moindre preuve contre Cesare Battisti, et personne ne le souligne. Que ses accusateurs laissent par exemple croire que Battisti a tiré sur un jeune garçon de 13 ans, alors qu’ils savent pertinemment que non seulement Battisti n’était pas là, mais que le garçon fut blessé par une balle tirée par son propre père adoptif. Il y a tant et tant de mensonges et de non-dits qu’en dresser la liste prendrait… un livre, justement ! Et les deux magistrats qui les ont propagés dans les journaux sont précisément, l’un, le substitut du procureur qui accusa Battisti à l’époque et l’autre, l’un des principaux artisans des « lois spéciales »… Mais cela, les lecteurs n’ont pas eu, le plus souvent, le droit de le savoir…

Le débat public ne s’est-il pas rapidement retrouvé hors sujet, dans cette affaire ?

Evidemment ! Au départ, nous défendions la parole d’Etat de notre pays, ayant promis l’asile aux réfugiés italiens, et notre droit, puisque Battisti avait été reconnu non extradable en 1991 par deux arrêts de la cour d’appel de Paris. Mais l’Italie s’est déchaînée et a fait glisser le débat vers la « culpabilité » de l’homme, en le transformant en « démon » pour que l’opinion cesse de se mobiliser autour des valeurs de notre République. C’est une technique médiévale : créer un « sorcier », un « diable », et le brûler pour faire oublier le reste. Il a donc fallu aller se battre sur d’autres terrains.

Qu’est-ce qui te semble motiver tant d’acharnement ?

Le fait que les gouvernements italien et français n’avaient pas du tout prévu qu’une défense citoyenne et républicaine se créerait en France pour s’opposer à l’extradition de Cesare Battisti. Mobilisés, des Français se sont mis à parler de l’iniquité « des lois spéciales de la justice italienne ». Si bien que ce fantôme très gênant de l’Histoire a refait surface… Le gouvernement italien a alors lancé cette campagne disproportionnée et infamante contre Battisti, pour que ces vérités ne puissent pas se répandre et pour remettre ledit fantôme dans son placard. C’est un vieux tour de passe-passe, médiéval aussi. Cela s’appelle « l’arbre qui cache la forêt »…

Pas mal de médias d’abord opposés à l’extradition de Battisti ont retourné soudainement leur veste face aux assauts des amis de Berlusconi. Te semblent-ils plutôt complices ou victimes de cette tentative d’intoxication de l’opinion ?

Je ne peux pas juger. Indiscutablement, beaucoup de journalistes ont cru de bonne foi aux déclarations péremptoires mensongères venues à flot de l’Italie. Je veux croire à l’existence d’une intégrité au sein de chaque personne. J’espère que le livre sur Battisti permettra de modifier les points de vue en toute honnêteté. Mais on ne peut nier que « Le Monde » soit largement responsable de la puissance de la désinformation en France. Ce quotidien a joué délibérément le jeu de l’Italie, où il a d’importants intérêts financiers. Pour preuve : ce journal soi-disant objectif n’a publié, à partir du 15 mars, aucun article d’analyse en faveur de Battisti, mais au contraire que des textes accablants pour lui, en se livrant à une désinformation patente. Les positions tout à fait partiales du Monde ont fait énormément de mal dans l’opinion publique et parmi les journalistes qui les ont prises pour argent comptant.

Et maintenant, que faire ?

On ne peut tromper les citoyens trop longtemps, même en jouant sur la peur. Il est encore temps de faire connaître la vérité le plus largement possible pour la sauver, et avec elle, la vie de Cesare Battisti.

Propos recueillis par Serge Scotto

La vérité sur Cesare Battisti, textes réunis par Fred Vargas, aux éditions Viviane Hamy.

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