Tribune Par Boris Grésillon : La crise oblige à être inventif

mai 2009
Face à une situation intenable à l'intérieur des murs de l'université, enseignants et étudiants en lutte expérimentent de nouvelles formes d’action au cœur de la cité. Analyse et récit de Boris Grésillon, maître de conférence en géographie à l’Université de Provence.

Les enseignants-chercheurs ne désarment pas. Il faut dire que leurs revendications sont aussi légitimes que le malaise universitaire est profond. Ils sont opposés à la fois à la réforme de leur statut, à la « mastérisation des concours » incluant la fin de l’année de stage obligatoire, à la suppression des postes annoncée pour la rentrée 2009, au démantèlement du CNRS. Au-delà de ces mouvements conjoncturels de protestation, la colère monte depuis des années face à des conditions de travail indignes – il suffit de visiter la faculté de lettres et sciences humaines d’Aix-en-Provence pour s’en rendre compte, et Aix n’est pas un cas isolé -, à la précarisation des doctorants ou à la suppression massive et systématique de postes aux concours de recrutement.

Sur ce terreau propice à la contestation, le tristement fameux discours du 22 janvier prononcé par Nicolas Sarkozy a mis le feu aux poudres. Jamais un président français en exercice ne s’était exprimé avec une telle violence contre la communauté des chercheurs. De même que les mots de « Kärcher » et de « racaille » employés par le ministre de l’Intérieur de l’époque avaient enflammé les banlieues françaises en 2005, de même, toutes proportions gardées, le discours du 22 janvier 2009 a-t-il jeté dans la rue l’ensemble des enseignants-chercheurs.

Trois mois plus tard, non seulement l’opposition aux différents projets de réforme du gouvernement reste d’actualité, mais on constate que les universitaires et chercheurs ont inventé de nouvelles formes, parfois ludiques, de contestation. La raison en est simple : les moyens classiques d’action – grèves, manifestations, blocages, lettres ouvertes, pétitions – s’avérant inefficaces, il a bien fallu faire preuve d’inventivité pour tenter de mobiliser l’opinion et les médias en espérant ainsi interpeller le gouvernement.

« Une transformation des codes pédagogiques, contestataires et géographiques »

Ainsi, les enseignants se sont aventurés hors des murs de leurs amphis pour proposer des cours « hors les murs », comme lors de l’opération « cours sur le cours Mirabeau ». Dans un climat bon enfant, des mini-cours d’histoire, d’anglais ou de musique se sont tenus en différents endroits du Cours Mirabeau, devant un parterre assidu d’étudiants mais aussi de curieux ou de badauds. Le plus sérieusement du monde, des étudiants de géographie ont fait réaliser des « cartes mentales » par de simples passants qui se sont pris au jeu. Etudiants transformés en professeurs, professeurs en auditeurs, et habitants en étudiants : le mélange des gens et des genres n’a choqué personne. Et surtout, ce type de formule expérimentale a permis aux enseignants en grève de ne pas se couper de leurs étudiants.

Autre exemple de transformation des codes pédagogiques, contestataires et géographiques : pendant que les professeurs de lettres organisaient des lectures publiques de La Princesse de Clêves chère au président Sarkozy, les enseignants de géographie et d’histoire mettaient en place, pour leurs étudiants, des « marches urbaines et didactiques » dans la ville de Marseille. Enfin, début avril, à l’initiative des germanistes, de nombreux départements de la faculté des Lettres d’Aix participèrent à « l’Université hors d’elle », nouvelle et heureuse formule pour dire que la situation étant intenable à l’intérieur des murs de l’université, les cours se tiendraient hors des murs, en ville. De ce fait, comme l’ont souligné de nombreux journalistes qui ont rendu compte du mouvement, l’université retrouvait sa place : au coeur de la cité.

Jointes aux nouveaux usages d’Internet (cours mis en ligne, contacts permanents avec les étudiants, pétition circulant d’une université à l’autre…) et du téléphone portable (organisation rapide et spontanée de sit-in…), ces formes de contestation d’un genre nouveau, relayées par les medias, interpellant les habitants qui sont aussi des parents d’élèves, ont, à tout le moins, gêné Pécresse et le gouvernement. Cela dit, elles ne peuvent être que temporaires et ne sauraient en aucun cas se substituer ni aux modes classiques d’expression du mécontentement ni aux formes normales de tenue des cours. Mais l’inventivité a toujours du bon. Elle transcende les habitudes corporatistes, apporte du tonus aux enseignants amers et donne du fil à retordre aux ministres de tutelle.

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