Avec mon maire, je positive ?

avril 2012
Donner plus de pouvoir aux maires est-ce une bonne idée pour stopper la prolifération des grandes surfaces ? Attention au retour de bâton !

ravi_ferrier_hypermarches.jpg

D’après Estrosi, « motodidacte », « on ne va jamais assez vite ». Démonstration ? Fin mars, il dit sa passion pour les meubles en kit. Le 10 juin, le projet d’implantation d’Ikea à Mougins (06) est retoqué. Le 30 juin, le futur-ex ministre de l’industrie reçoit le représentant français de la firme scandinave. Début janvier, il annonce à mi-mot l’arrivée d’Ikea dans sa ville. Et, tout en assurant qu’il ne sera « pas favorable à d’autres implantations de cette dimension », de tonner : « Il serait dommage qu’une telle entreprise, génératrice de nombreux emplois et attendue par de nombreux consommateurs, aille à Vintimille. »

Le conseiller régional Europe Ecologie et maire de Mouans-Sartroux (06), André Aschiéri, lui, n’en voulait pas chez lui : « Normalement, par la maîtrise de l’urbanisme, un maire a tous les outils pour être maître chez lui. Sauf quand c’est chez le voisin que la grande surface veut s’installer. » Or, c’est à Mougins que devait atterrir ce « Family Village » de 30 000 m2. « A 5 km du centre-ville de Mougins et à 500 mètres du nôtre. Le sixième projet du genre contre lequel il a fallu lutter… » Alors, face aux centaines d’emplois promis, l’ancien prof de maths s’est demandé « combien seront détruits. Car, chaque jour, une caissière voit passer 500 personnes. Un épicier, à peine une centaine ». Le projet sera retoqué deux fois : « En prouvant qu’il y avait suffisamment de magasins de meubles dans le coin et que près de 20 000 véhicules supplémentaires par jour, cela allait poser un sérieux problème. On a organisé une manifestation et, avec juste 300 voitures, en un quart d’heure, tout était bloqué. »

« Cela fait 30 ans que la grande distribution contourne les lois »

Bel exploit que de retourner contre la grande distribution une loi taillée sur mesure pour elle : la loi de modernisation de l’économie (LME), adoptée en 2008. Car, si elle a introduit des critères environnementaux dans l’urbanisme commercial, pour Bercy, la LME visait avant tout, en relevant le seuil d’autorisation des surfaces commerciales de 300 à 1 000 m2, à « faciliter l’implantation des grandes surfaces ». Une circulaire ira même jusqu’à exonérer d’autorisation les projets d’extension de moins de 1000 m2 ! Une brèche dans laquelle, reconnaît Bernard Reynès, député-maire UMP de Châteaurenard (Bouches-du-Rhône), « la grande distribution s’est engouffrée. Sans surprise : cela fait trente ans qu’elle contourne les lois existantes ». Pour lui, votée « avant la crise » et « bien trop libérale » à son goût, « la LME faisait la part trop belle à la grande distribution. Or, celle-ci n’a jamais contribué à augmenter le pouvoir d’achat. Et puis, la concurrence n’a de sens que si elle est loyale. Là, c’était lâcher le renard dans un poulailler ».

D’où la loi Ollier-Piron sur l’urbanisme commercial. Votée cet été, elle doit à nouveau être examinée au Sénat. Finies les autorisations délivrées par les commissions – départementales et nationales – d’aménagement commercial : désormais, ce sera aux maires d’accorder ou non un permis de construire aux grandes surfaces. En se basant sur le plan local d’urbanisme (PLU) et surtout sur le Schéma de cohérence territorial (SCOT), un document de planification établi par les maires de plusieurs communes. Une réforme que Bernard Reynès, le « Monsieur commerce de proximité » de l’UMP, appelle de ses vœux : « Il ne s’agit pas d’établir un Gosplan mais de tirer les enseignements de trente ans d’échec », estime celui qui veut donner aux maires les pleins pouvoirs, dans le commerce comme dans la sécurité.

Professeur d’urbanisme et maire PS de Volx (04), près de Manosque, Jérôme Dubois, lui, reste sceptique : « Depuis la décentralisation, chaque maire, pour le meilleur comme pour le pire, est maître chez lui. Voilà pourquoi, contre des promesses non tenues d’emploi et de taxe professionnelle, certains ont laissé défigurer leur ville. Or, 36 000 maires livrés à eux-mêmes, c’est n’importe quoi. D’ici 2013, toute la France sera donc en intercommunalité. Mais, si, dans l’absolu, le SCOT est un outil formidable, ça n’est que trop souvent la transposition des exigences de chacun. Et les arbitrages sont d’autant plus difficiles que l’Etat n’a plus les moyens d’expertise pour contrecarrer ce que font les élus. » Pour lui, « c’est presque culturel : un maire n’accepte jamais que son voisin mette le nez dans ses affaires. Or, ce qui se passe à Manosque a des répercussions sur Volx. C’est donc moins un changement de loi que de mentalité qui est nécessaire. »

Autant dire que ce n’est pas pour demain. Cette année, à Manosque, doit sortir de terre un nouveau centre commercial : « Happy Days Shopping ». Et, d’ici 2014, dans la région de Marseille, d’après la CCI, 200 000 m2 supplémentaires dans un secteur qui compte déjà 18 pôles commerciaux de plus de 20 000 m2 ! Pour lutter contre les centres commerciaux en périphérie, la chambre consulaire a trouvé LA solution : les implanter en centre-ville. Avec (entre autres) les Terrasses du Port, celui de Marseille sera « au 1er rang des plus grands pôles commerciaux du territoire, devant Plan de Campagne ». De quoi ulcérer l’élu vert Sébastien Barles : « En voulant faire croire que les gens prendront moins leur voiture, on met en danger une des rares richesses de Marseille, ses petits commerces. » Bernard Reynès, rappelant que « le commerce de proximité génère, au mètre carré, trois fois plus d’emplois que la grande distribution », fait, lui aussi, la grimace : « Ce n’est pas la panacée. Mais c’est un moindre mal. Mieux vaut ça que de multiplier les Plans de Campagne ». Guérir le mal par le mal : il faut croire que ça rapporte. Sourire d’un édile : « Vu les enjeux financiers, on peut tout imaginer… »

Sébastien Boistel

Imprimer