Dans la jungle du numérique à Lyon
Avouons-le : en voyant surgir, parmi les heureux bénéficiaires du fonds de soutien aux médias d’information sociale de proximité, plusieurs représentants de la galaxie Rue89, on avait, avec d’autres collègues de la presse et des médias « pas pareils », un peu fait la grimace. Ben oui, le site web lancé par Pierre Haski qui finira par se faire absorber par le Nouvel Obs…
Et puis, à l’occasion d’un débat organisé fin 2018 par l’antenne lyonnaise de l’association de critiques des médias Acrimed, pendant que l’on planchait avec Radio Canut sur « quelle information dans les médias alternatifs ? », les deux représentants locaux de Rue89 et de Médiacités, eux, échangeaient sur « une autre information locale est-elle possible ? » Une belle occasion de faire connaissance…
Comme l’explique Laurent Burlet, « nous, on est Rue89 « canal historique » ! On a décidé de monter Rue89 à Lyon suite à notre licenciement du magazine Lyon Capitale après avoir demandé la tenue d’élections. On a donc rencontré l’un des fondateurs, Pascal Riché, qui nous a dit qu’ils n’avaient pas d’argent mais qu’on pouvait faire comme Mc Do, une franchise en reprenant la marque et le modèle. A la même époque, d’autres planchaient sur Rue89 Strasbourg. Mais, quand on s’est lancé, Rue89 s’est fait racheter par Le Nouvel Obs’. Mais pour nous, rien n’a changé. On est resté sur le modèle de départ. »
En clair, une « info à trois voix » qui veut faire dialoguer journalistes, lecteurs et experts et un « journalisme engagé » : « Alors que Lyon est en train de devenir un désert médiatique, on avait envie à la fois de sortir la presse locale de son ghetto et du regard un peu condescendant que peuvent avoir les rédactions parisiennes. En faisant un journalisme de qualité. » Signe que le site vise plutôt juste : notre confrère s’est fait menacer suite à ses enquêtes sur la prolifération de l’extrême droite dans le Vieux Lyon ! Et de faire la part belle à l’enquête, aux mouvements sociaux…
Petite évolution, toutefois. Si, jusqu’à présent, Rue89 était adepte de la gratuité, le site s’essaye depuis quelque temps au payant : « On est dans une logique « freemium », précise notre confrère. L’essentiel des contenus est gratuit sauf certaines enquêtes qui sont, elles, accessibles sur abonnement. Mais c’est moins une volonté de devenir un site payant qu’un moyen de nous soutenir. On tire encore nos ressources principalement de la pub, de la formation et d’événements que l’on organise comme le salon des vins nature. »
A contrario, Médiacités, comme Mediapart, fait le pari du tout payant. A la base, des anciens des pages « Régions » de l’Express : « Quand le magazine a été racheté par Patrick Drahi, le patron de SFR, on a voulu savoir ce qu’il voulait faire et on lui a proposé de développer les pages « Régions », se souvient Nicolas Barriquand. Ce dont il n’avait absolument pas envie. Alors, on s’est inscrit dans le plan de départs volontaires et on s’est retrouvé en se disant qu’on voulait prolonger ce que l’on faisait jusque-là. » En l’occurrence, un travail d’enquête exigeant sur des sujets certes locaux mais dont l’intérêt dépasse la zone géographique.
« On a d’abord lancé Lille puis Lyon, Toulouse et Nantes. » Mais pas Marseille : « D’abord parce que, dans l’équipe, on n’avait personne qui venait de la cité phocéenne ou qui la connaissait bien. Et puis, comme il y a Marsactu, même si leur temporalité n’est pas tout à fait la même que la nôtre, pas besoin d’aller se positionner sur le même créneau. »
D’autant qu’à l’instar de nos confrères marseillais, Médiacités bénéficie de l’appui de Médiapart : « Si l’on a pu démarrer grâce à nos indemnités, on a rapidement lancé une opération de crowdfunding qui nous a permis de réunir 25 000 euros. Puis on a ouvert notre capital et, grâce à une levée de fonds participative, récolté plus de 400 000 euros, les lecteurs ayant donné entre 500 et 5000 euros intégrant, eux, la société des amis de Médiacités. Mais nous, les fondateurs, on garde la majorité du capital. Et la maîtrise éditoriale. »
De fait, pour être à l’équilibre, il faudrait au moins « 3000 lecteurs par ville ». Pour l’heure, le site en compte, en tout et pour tout, 2000. Autant dire qu’il y a de la marge. Mais, comme le notent nos confrères lyonnais, avec des figures comme Laurent Wauquiez ou Gérard Collomb, ce n’est pas la matière qui manque. Au point d’ailleurs qu’en marge de la rencontre organisée par Acrimed, une de nos collègues de Radio Canut se demandait si on ne pourrait pas faire une « battle » entre Lyon et Marseille pour savoir qui, des deux villes, avait le maire le plus « pourri »…