« Faites entrer l’accusé ! »

avril 2012
En juin prochain, tous les députés des deux départements alpins de Paca pourraient être de gauche ! En attendant de voir si le pronostic se réalise, le Ravi a testé le conseil municipal de Gap (05) que préside Roger Didier, un maire UMP. Dans notre numéro d'avril, actuellement chez les marchands de journaux, notre "contrôle technique de la démocratie" nous emmène dans les travées d'une assemblée plénière du conseil général des Bouches-du-Rhône...

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18h15 À l’entrée de l’ancienne maison communale (18e), trois-quatre policiers nationaux font le pied de grue. À l’étage, dans la salle d’époque aux magnifiques boiserie, mais un peu étroite – des adjoints sont obligés de s’entasser derrière le maire –, traînent également deux RG.

18h21 Sans plus de salamalecs, Roger Didier, maire (ex-PRG devenu UMP) depuis 2007, annonce : « Avant de commencer, il y a une demande de parole dans le public. » Georges Ghiol, du collectif Eau secours Gapençais, s’avance. « Tout à l’heure vous ferez votre choix, mais nous n’arrêterons pas notre combat pour le retour de la distribution de l’eau en régie communale », prévient le septuagénaire en tendant au conseiller général une pétition (lire aussi page 8). Le maire, fils d’Émile, ancien premier magistrat (1947-1971) et sénateur (1971-1980) de la ville, l’attrape et ouvre la séance : « Comme on dit, Zouzou, vous avez la parole. » Zoubida Eyraud-Yaagoub débute l’appel.

18h32 Costume sombre sur chemise rose et cravate violette, visage à la Bernard Blier et nervosité de Louis de Funès, Roger Didier pousse un coup de gueule contre le dernier classement de l’association des paralysés de France sur l’accessibilité des communes : « Malgré nos efforts, nous restons 71e ! » Mais 27e ville à fuir de Paca sur 29 dans le classement 2012 du Ravi !

18h41 Jérôme Mazet, la petite quarantaine dégarnie, attaque « le rapport 2011 sur l’Agenda 21 » d’une voix légèrement précieuse.

18h59 L’écologie ne fait pas recette : les discussions se multiplient.

19h14 Débat d’orientation budgétaire 2012, premier gros dossier du jour. Roger Didier s’y colle à l’aide d’un vidéoprojecteur. Sans surprise, le conseiller général attaque par la crise et les efforts auxquels devront consentir les collectivités locales, parle de « péréquation horizontale ». « C’est une position du Kamasutra ? », rigole un confrère.

19h32 Le fils d’Émile conclut sa présentation tout en finesse : « Nous proposons une augmentation de la fiscalité communale de 0 % ! » Crinière blanche, Jean-Claude Eyraud, opposant Front de Gauche tendance Fédération pour une alternative sociale et écologique (Fase), attaque pour l’opposition.

19h50 Jean-Pierre Jaubert (PS), un retraité fluet en pull marron, prend la suite de son colistier de 2008. Sa voix faible et lente est soporifique. Le maire chausse nerveusement ses demi-lunes, regarde par-dessus, les enlève ; Robert Vincent, élu délégué à la commune de Romette, se lisse les sourcils puis se gratte l’oreille gauche.

20h08 « Je voudrais vous lire un petit mot du syndicat CGT que j’ai depuis peu », annonce l’ex-PRG, mystérieux. Et d’enchaîner, triomphal : « Nous vous remercions de prendre en compte les avancements et promotions de grades. Cette année, ils ont été considérablement plus élevés que demandé. » Malgré les apparences, il n’y a aucune cogestion à la marseillaise à Gap. Explication : l’été dernier, le personnel s’est mis en grève pour protester contre une RGPP (Révision générale des politiques publiques) municipale. Un audit sur les risques psychosociaux a suivi à la rentrée. Roger Didier, qui vient d’être attaqué par son opposition sur l’absence de mesures dans ses orientations budgétaires, a visiblement acheté la paix sociale tout en se réservant un joli effet d’annonce…

20h21 Un jeune trentenaire entre, deux télécommandes à la main, éteint le vidéoprojecteur, remonte l’écran et ressort.

20h35 « Subventions » (délibérations 4 à 15). Jean-Claude Eyraud part en guerre contre une pratique largement partagée en France : la présence des élus présidents d’association lors du vote des financements. Roger Didier ironise puis cède. Mais il reproche d’abord à son opposant d’avoir instrumentalisé une association de « commerce équitable et pas d’idées » qui aurait proposé les « documents de propagande » de Jean-Claude Eyraud. Et il justifie ainsi sa décision de retirer à cette association ses subventions. Un joyeux ballet s’installe au fil des délibérations, avec le massif Francis Zampa, élu de la majorité, en portier.

20h42 Pierre Vollaire, adjoint à l’économie, se lève : « Je vais sortir sinon je vais me faire arrêter. »

20h44 Roger Didier : « Faites entrer l’accusé ! »

21h00 Georges Ghiol sort un sandwich et l’attaque.

21h04 Toujours pour des raisons de forme, Jean-Claude Eyraud poursuit sa guérilla contre une « subvention exceptionnelle de 30 000 euros » accordée aux Rapaces, le club de hockey local (niveau élite), la « convention d’objectifs » qui l’accompagne et la désignation du directeur général de l’administration au poste de directeur du Quattro, une salle de spectacle municipale. Le maire réagit peu, sauf pour excuser son adjoint aux sports, « retenu »… au Quattro par une soirée organisée par… Les Rapaces ! Les subventions sont bien utilisées…

21h15 Jean-Claude Eyraud sort, le visage fermé.

21h21 Moitié de l’ordre du jour. Main devant la bouche et regard dans le vide, Roger Didier pousse un énorme soupir.

21h35 De retour, Jean-Claude Eyraud remonte immédiatement au front. Nouveau coup de mou du conseiller général, qui se masse les yeux, se prend le front. Avant de questionner, un peu las : « Bien, est-ce qu’il y a d’autres demandes d’information ? »

21h48 Délibération 28. Bénédicte Ferotin, une quadra joviale du groupe PS, prend le relais du candidat aux législatives.

22h03 L’ordre du jour défile, l’ambiance se réchauffe. « Il fait froid », se plaint pourtant la socialiste en touchant le radiateur installé derrière sa rangée.

22h10 « Nous passons à un dossier important, annonce le maire. Le renouvellement du mode de gestion du service public de distribution d’eau potable » (délibération 40). En quelques phrases, Jean-Pierre Martin, adjoint aux travaux, justifie, sans surprise, « le maintient de l’affermage. » Parole à l’opposition.

22h19 Pendant que Danielle Lange-Mallet (PS) conclut son courroux en réclamant un « vote à bulletin secret », ce que le fils d’Émile s’empresse d’accepter, Jean-Claude Eyraud fait distribuer à sa colistière son intervention, six pages dactylographiées et pointues, en particulier sur le « bilan du tandem ville de Gap/Veolia » et le travail (très orienté) du bureau d’études qui a audité le contrat (lire page 8).

22h30 Quelques grognements d’impatience se font entendre, y compris dans les rangs du PS. Des extras commencent à installer un buffet dans l’arrière-salle.

22h32 Au tour de Bénédicte Ferotin qui dénonce : « Lors de notre débat du 27 janvier, le bureau d’études a essayé de nous intimider : "si vous choisissez la régie, vous menacez les emplois de l’agence d’Avignon." J’ai trouvé ça d’une grande maladresse. » Voire carrément illégal.

22h34 Les réponses de Roger Didier sont presque toutes ponctuées d’exclamations du public. Rires, commentaires acerbes, etc.

22h50 Jean-Claude Eyraud en remet une couche, au grand dam de la majorité.

23h00 Distribution des bulletins de vote.

23h11 Comptage.

23h16 Résultats : 28 pour une nouvelle délégation de service public, 8 contre et 3 abstentions. Les militants d’Eau Secours Gapençais quittent la salle.

23h27 Habitude ? Campagne électorale oblige ? Jean-Claude Eyraud a toujours la niaque alors que les premiers élus de la majorité bâillent ou que quelques nouveaux « accusés » profitent du vote d’une subvention pour filer (définitivement) vers le buffet.

23h41 Dernière délibération, « relevé des décisions d’attribution des marchés à procédure adapté. » Roger Didier commence à les énumérer une par une, avant de se reprendre : « Je vais pas toutes les lire ! »  Et de lever la séance, soulagé : « Aller vite, un petit morceau et on va se coucher. »

Jean-François Poupelin

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