Fréjus : la stratégie de l’évitement

février 2012
Grand gagnant pour la deuxième année consécutive de notre palmarès régional des villes à fuir, Fréjus (83) avec ses vieux, ses hypers et son maire bouillant (qui a soigneusement négligé le Ravi) réussit toujours à nous surprendre.

ravi_na_frejus.jpg

La salle des sports Sainte-Croix de Fréjus a revêtu son habit de fête. En ce 14 décembre, de longues guirlandes de lumières blanches suspendues au plafond donnent à l’habituel antre du club de volley local des airs de galerie des glaces low-cost. Au fond, un haut sapin a hérité du même déguisement. Pour célébrer le doublé de la cité au classement du Ravi des villes à fuir en Paca ? Pas vraiment, même si Michel Perrault, le directeur de cabinet du maire UMP Elie Brun, dans un court entretien nous a lâché : « Eh bien, on est contents. C’est la constance. » Avant de se reprendre : « bien sûr que ça ne nous réjouit pas. » Et le sherpa de convenir d’un rendez-vous qu’il n’honorera jamais.

Non, tout ce faste, c’est pour le repas de Noël des anciens du CCAS (1). Huit cents «  seniors » endimanchés ont péniblement trouvé une place dans la kyrielle de tables alignées comme un régiment. Seul critère pour être invité : habiter Fréjus depuis cinq ans au moins (ici, on prend son temps pour l’intégration). Slalomant entre les tables et les cannes des anciens, l’adjointe aux affaires sociales, Michèle Guillermin, peine à organiser l’assemblée. Tout doit être parfait. Seules les fausses notes sur scène de quelques collégiens parmi la cinquantaine d’ados rameutée pour faire baisser la moyenne d’âge sont tolérées avant d’être bien vite remplacées par un orchestre de baluche.

A Fréjus, les vieux, on les chouchoute. Aucun des convives n’a déboursé un centime pour venir fêter Noël. La plupart n’a même pas payé l’essence. « On est venu en autocar [spécialement prévu pour l’occasion, NDLR], annonce une mémé dynamique. Le chauffeur ne roulait pas trop vite, c’était parfait. » Le repas bien que classique se veut lui aussi au top. Foie gras, biche sauce grand veneur, plateau de fromages, bûche, le tout largement arrosé de vin. L’abondance du breuvage a incité les organisateurs à convier les pompiers qui traduisent : « Parfois, avec l’alcool, les vieux en fin de journée, ils font des petits malaises : il vaut mieux être présents. » Ah, le binge drinking (2) !

« Pour avoir une subvention, ça marche au piston »

Toute cette joyeuse sauterie est donc payée par le contribuable fréjussien. Un des hommes du feu, décidément loquace, commente : « Ah ben c’est la politique. Il faut bien soigner son électorat. Ici, ils votent tous pour lui ! » Elie Brun, pourtant en terrain conquis, ne viendra pas cracher son discours dans les enceintes balbutiantes. C’est Michèle Guillermin qui s’y colle pour saluer le travail des nombreux agents mobilisés pour l’occasion.

La débauche de moyens interroge l’opposition PS dont la chef de file Elsa di Méo vient de publier une lettre ouverte au maire lui demandant de réduire les dépenses qu’occasionnent les vœux du maire et « par souci de transparence » de révéler la somme dépensée pour une telle manifestation. D’autres acteurs de la cité confirment l’opulence des buffets et contestent plus généralement la gestion des deniers publics. La responsable d’une association culturelle résume : « Ici, pour avoir une subvention, ça marche au piston : il faut être membre du conseil municipal ou y avoir de bonnes relations. Sinon, on n’a rien. Nous, on ne fait pas partie de ce cercle. On peine à avoir ne serait-ce qu’une salle pour nos manifestations. Le tout est régi par la peur. Aucune association n’ose le dénoncer ouvertement. C’est d’ailleurs pour préserver le peu qu’on a que je ne souhaite pas être nommée dans votre journal. » Comme le montrent les statistiques du Cress (3) Paca et de l’Insee (utilisées dans le volet « fraternité » de notre classement), le nombre d’associations par habitant reste très faible à Fréjus. Et pourtant, entre 2001 et 2007, les aides à la vie associative ont crû de 33 % selon la cour régionale des comptes. Pas de quoi visiblement susciter les vocations.

Autre indicateur

qui a permis de sacrer Fréjus à la tête du classement de la « fraternité », le nombre de petits commerces par habitant reste faible. Un constat statistique qui étonne le président de l’Association Fréjus centre des commerçants regroupant une centaine de professionnels : « c’est pas du tout l’impression que j’en ai, répond Jean-Yves Grolleau. Fréjus est une ville de quartiers et il y a des commerçants partout. » Toutefois, la concurrence des hypers et des supers est rude. Un arrêt de bus vient ainsi d’être installé à même le parking de l’un d’eux. Jean-Yves Grolleau, par ailleurs patron de « Mine 2 rien », une boutique de déco et de bijoux fantaisie admet cette difficulté. « C’est ça qui nous fait chier, lâche-t-il. Il y a encore un projet de village de marques au Muy. Nous allons nous mobiliser pour faire en sorte que ça ne se fasse pas. »

« La stabilité a du bon »

Grolleau ne comprend pas vraiment le classement obtenu par Fréjus : « Ville à fuir ? C’est grave de dire ça, on y est plutôt bien ! » Il a d’ailleurs un argument massue : «  Dans mon magasin, j’ai des femmes de conseillers municipaux de Saint-Raphaël qui viennent. Quand on connaît la rivalité entre les deux villes, ce n’est pas rien. » Dans les conversations, la référence à la voisine plus huppée (non évaluée par le Ravi) est constante. Finalement, l’herbe est moins verte chez le voisin explique la présidente de la section de la Ligue des droits de l’homme qui couvre les deux villes. Pour Isabelle Le Buzulier, « on rencontre moins de problèmes qu’à Saint-Raph’ : malgré ces défauts, Elie Brun est plus républicain que Georges Ginesta ».

Un républicain qui boude pourtant les conseils municipaux : cinq dans l’année et tous en journée depuis que la gauche s’est décidée à batailler contre sa gestion. L’héritier de la droite chrétienne de François Léotard mène sa barque à sa guise et n’entend pas être dérangé. Michèle Guillermin est ainsi au conseil depuis 1977 et le premier mandat Léotard : « La stabilité a du bon. Ça permet d’éviter de reprendre des dossiers à zéro. » L’élue décrit une ville où « les difficultés sociales sont plus importantes qu’à Saint-Raphaël ». On lui expose dès lors quelques statistiques recensées par le Ravi. Les médecins de secteur 1 sont peu nombreux et les bénéficiaires de la couverture maladie universelle peinent à trouver un docteur. « Les médecins rechignent sur la CMU, c’est vrai, reconnaît Guillermin, mais on essaie de les convaincre. » Le manque de logements sociaux et le délai de trente mois pour en obtenir un ? « Il faudrait que j’ai les statistiques avec moi. Rappelez-moi vendredi » Un rendez-vous qu’une représentante de la mairie se chargera d’annuler peu de temps après : « Pas le temps. »

La municipalité a donc choisi de ne pas répondre au Ravi. L’an dernier déjà, les discussions avaient été houleuses et Elie Brun avait menacé, selon son cabinet, de nous « exploser ». Le maire, décidément tout puissant, n’aime pas être dérangé. Le malaise créé l’été dernier par sa vive altercation avec des touristes est tenace. Ceux-ci avaient eu le malheur de pique-niquer quelques mètres devant une plage privée appartenant à sa femme. « Des gens comme vous n’ont rien à faire ici », avait martelé l’édile hors de lui. Peu de temps après, ce sont les gros bras de la plage qui les viraient manu militari. La mère de famille blessée et son appareil photo piétiné avaient fait le miel des caméras de TMC en reportage avec la police municipale. Les vigiles ont été condamnés quand le procureur refusait de poursuivre le maire, en estimant suffisantes les excuses qu’il a présentées à la famille.

Une drôle d’histoire qui conforte le Ravi : Fréjus n’est pas très accueillante… sauf peut-être si l’on a les moyens de se payer une plage privée.

Jean-Marie Leforestier

Pour en savoir plus sur notre palmarès régional des villes à fuir, c’est ici.

Imprimer