Le FN au milieu du Pontet
Même si le FN y progresse depuis 2012, rares étaient ceux qui s’attendaient à voir Joris Hébrard, kiné beau gosse de 31 ans, prendre les rênes du Pontet. Il s’est emparé de cette cité-dortoir de 15 000 habitants du Vaucluse, dotée du plus grand centre commercial d’Europe, en devançant en mars dernier l’UMP de 7 voix (sur 7600 votants). Mais après une campagne délétère, tous les jeux ne sont pas encore faits. Plusieurs recours (1) ont été formulés suite à l’élection, et le tribunal administratif de Nîmes a tranché, le 16 octobre 2014, en annulant le scrutin. De nouvelles élections pourraient donc être organisées si le maire FN perd son appel devant le conseil d’Etat.
En attendant cette décision, Joris Hébrard ne s’est pas gêné pour faire parler de lui (ce reportage a été publié en septembre 2014 dans le Ravi et donc réalisé avant l’officialisation de l’annulation des élections). Première décision très médiatisée : augmenter son indemnité de 44 %. Peu après, il annonce qu’il supprimera dès la rentrée la gratuité de la cantine scolaire pour les foyers les plus défavorisés. Les parents d’une soixantaine d’enfants, « pour [les] responsabiliser », devront payer 1,57 euro par repas. Une économie de 30 000 euros sur un budget de près de 50 millions… Les ex-candidats taxent l’équipe municipale d’incompétence notoire (deux décisions ont déjà été retoquées par la préfecture, dont celle concernant l’indemnité du maire) : « Ils n’ont jamais rien géré », accuse Miliani Makhechouche, candidat PS défait au 1er tour.
Chasse aux épiciers…
Un autre arrêté, moins médiatisé, a obligé les commerces de vente à emporter (tous tenus par des Turcs ou des Maghrébins) à fermer à 22 heures pendant l’été, en plein ramadan… « Je ne comprends pas, s’indigne Rachid El Mokaddam qui tient une petite épicerie en centre-ville. Je n’ai jamais reçu de plaintes et en plus je ne vends pas d’alcool. Ce n’est pas bon pour mon chiffre d’affaire… » Le directeur de cabinet du maire, Xavier Magnin (2), qu’on taxe de tenir réellement la mairie, se justifie : « Nous ne sommes pas contre les commerçants, ni qui que ce soit. Il y a eu plusieurs plaintes pour tapage nocturne. Certains établissements fermaient tard dans la nuit, musique à fond. C’est intolérable, le maire est là pour faire respecter l’ordre. »
La sécurité avant tout, en témoigne les 80 000 euros investis (dont 40 000 euros de la réserve parlementaire de Marion Maréchal-Le Pen, députée FN du Vaucluse) pour recruter plus d’agents et moderniser la police. « La mairie donne simplement des gages à son électorat », s’indigne Miliani Makhechouche. Et ça a l’air de marcher. Marina Bernard, jeune maman de 21 ans attend le bus avec une de ses copines : « J’ai voté FN et je ne regrette pas. J’habite au-dessus d’une épicerie, ils se battent, parfois avec des couteaux… » La stigmatisation des étrangers ? « Oui, peut-être mais on n’a rien sans rien ! »
… et battue aux fonctionnaires
En centre-ville, Pierre, le patron d’un restaurant, ne cache pas aussi son enthousiasme, plus intéressé : « Je ne vous dirai pas mes convictions mais pour le commerce, depuis l’élection, ça marche bien. Ils nous ont mis un écran géant pour la coupe du monde. » Pour Nora, une des serveuses d’origine kabyle, c’est aussi une bonne chose : « l’ancien maire, tout le monde en avait sa claque. Hébrard il est jeune, il est sympa. L’histoire des cantines ? Il y a trop de profiteurs, tout n’est pas gratuit. » Un autre commerçant du centre-ville est moins catégorique : « pas mal de gens qui ont voté FN commencent à regretter. L’histoire des cantines a laissé des traces, on s’attaque à des gamins ! » Chez la communauté maghrébine, on attend de voir. « On était forcément inquiet au début, tout le monde en parlait mais pour l’instant rien de spécial à signaler », commente Arbai Abdellah, président de l’association de la mosquée marocaine.
Prudent, Joris Hébrard a tout de même commencé à mettre en place le logiciel frontiste. Le social risque d’en prendre un coup. « On nous a clairement fait comprendre qu’on ne servait à rien », explique Marie Juidias, directrice de l’Avenir St Louisien depuis 17 ans, seule association qui fait office de centre social. Confirmation par Xavier Magnin, le directeur de cabinet : « sur l’associatif, on va prendre le temps de tout réévaluer. Mais concernant le social, il existe déjà un CCAS, c’est suffisant. Pourquoi le contribuable devrait payer l’alphabétisation de certaines personnes ? » « Ces mêmes personnes sont des contribuables pontétiens », lui répond Marie Juidias.
A la mairie, en interne, on s’inquiète aussi. Une fonctionnaire de catégorie C, préférant rester anonyme, affirme que l’ambiance est délétère : « Certains sont traités de fainéants. Ils cherchent à provoquer des départs volontaires. Nous sommes incités à nous surveiller les uns les autres et certains jouent le jeu… » Trois élus, dont l’ancien premier adjoint, ont déjà démissionné, disposant visiblement de très peu de marge de manœuvre. « Nous prévoyons de revenir à des effectifs équivalent pour les villes de mêmes strates et donc de supprimer 100 à 150 postes, explique Xavier Magnin. Certains travaillent, d’autres moins, d’autres pas du tout. » Avant de conclure : « Tout ce que nous faisons est légal. On assume le changement, le fait de ne pas faire comme les autres, c’est notre programme. » Au cas où tout le monde ne l’aurait pas compris…