Moi, Jean-Claude Mas, « Et pour quelques dollars de plus »

mars 2012
Le patron de PIP (Poly implants prothèses), au cœur du scandale sanitaire des prothèses mammaires défectueuses, a été interpellé par la gendarmerie, le 26 janvier, dans sa maison de Six-Fours (83), puis mis en examen pour « blessures involontaires ». le Ravi, qui laisse traîner ses oreilles partout, publie l’interrogatoire lors de sa garde à vue (1).

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Gendarme n° 1 : Monsieur Mas, veuillez décliner votre identité, profession et, brièvement, votre parcours professionnel.

Jean-Claude Mas (tout en collier de barbe, serein et sourire en coin) : Mas Jean-Claude, né en 1939 à Tarbes. J’ai décroché mon bac en 1960 avant de passer deux ans sur les bancs de la fac. Mais je ne me sentais déjà pas à ma place. Je m’imaginais le destin des plus grands… et je ne me trompais pas. J’ai d’abord fait un tas de petits boulots : épicier, refourgueur d’assurance vie en porte-à-porte, pinard, cognac, appareils médicaux… Bref, tout ce qui me passait sous le bras. Ah… j’étais doué, moi et mon bagout, si vous saviez. J’ai aussi été visiteur médical pendant 10 ans avant de me faire lourder. C’est comme ça que j’ai appris les bases de l’arnaque. Mais je n’avais toujours pas trouvé ma voie. Puis arrive 1982, l’année qui a changé ma vie. Celle où j’ai rencontré ma compagne Dominique Lucciardi. Elle était à la tête d’une entreprise nommée MAP. « Cette société travaillait avec le Dr Arion, chirurgien esthétique, plastique et chimiste. C’est lui qui a mis au point le gel PIP. Je le vendais depuis fin 1982. A l’époque, il n’y avait pas de règlementation, donc pas de problème. (2) » Cet Arion… C’est mon Yoda à moi, le maître qui m’a permis de réaliser mon dessein. Paix à son âme, il est mort en 2004. Bref, ça marchait du feu de dieu, c’était la période gros seins, le style Jane Birkin ne valait plus un kopek. Fort de cette expérience, j’ai lancé PIP en 1991 à la Seyne-sur-Mer (83) pour vendre un maximum de faux tétés à travers le monde et me faire des couilles en or. PIP deviendra le troisième producteur mondial de prothèses mammaires. Sans mauvais jeu de mots, ça vous en bouche un coin hein ?

« Vous n’avez pas connu la guerre vous… »

Gendarme n° 2 : C’est justement ça qui nous intéresse… Comment produisiez-vous vos prothèses et comment se fait-il que les autorités sanitaires aient mis aussi longtemps à vous coincer ?

JCM : Ah, ces cons de l’Afssaps (3) ! Il a fallu que trois chirurgiens marseillais zélés leur mettent la puce à l’oreille pour qu’ils me choppent. Mais je les ai quand-même niqués bien longtemps. Ecoutez : c’est simple. J’avais mon laboratoire à l’usine et nous y faisions notre petite cuisine. Je déclarais mes prothèses confectionnées avec du gel homologué, mais j’utilisais en fait un tas de trucs prévus pour l’industrie comme de l’additif pour carburant. Je suis un « génie, un Géo Trouvetou (4) », sur la fin, ma recette me permettait d’économiser 10 euros par implant. Vous n’avez pas connu la guerre vous… Bon en 99, les premières emmerdes sont arrivées : des plaintes de ces pimbêches américaines pour rupture de prothèse. Si bien qu’après une visite à l’usine, les autorités américaines ont interdit PIP sur leur sol. Résultat, 30 % de chiffre en moins. Là-dessus se rajoute l’obligation européenne de faire certifier ces produits par un organisme indépendant. J’ai choisi des allemands : TÜV Rheinland. Alors, pendant six mois, je leur ai fourni des vraies prothèses avec du gel homologué. Avant de revenir à ma mixture géniale. Ces cons de Schleu me prévenaient dix jours avant chaque inspection. Ce qui nous laissait le temps de cacher la came, à l’extérieur du bâtiment, dans des bidons cachés dans un transformateur EDF, dans le camion de l’usine… (5) Pendant ce temps-là, on relançait la fabrication de prothèses normales. Il fallait voir ça, tous mes employés qui s’affairaient, c’était l’effervescence, la vie… J’avais monté une double compta, si bien que quand ils voulaient jeter un œil aux comptes, j’avais sorti ma clé usb avec des fausses factures de gel homologué (6). Tout ça pour dire qu’en 2003, un fonds d’investissement américain est arrivé au capital de PIP, dont j’ai présidé le conseil d’administration deux ans après : 300 000 euros par an les mecs… mon apogée.

« Elles portent plainte pour le fric »

Gendarme n°3 : Mais vous vous rendez compte quand même ? Tout ça pour le fric ! « Le fait que PIP fassent des milliers de victimes, vous en pensez quoi ? » (7)

JCM : « Rien. (8) » Non mais après tout on me reproche quoi ? De créer de la richesse ? De faire travailler 120 employés au moment où tout le monde crève la dalle ? Partout dans le monde, il y a des gonzesses prêtes à compenser le vide dans leur caboche par un peu de gel dans une enveloppe. Je ne suis pas responsable de leur connerie. Ces bourgeoises qui portent plaintes ne sont « que des femmes fragiles ou qui font ça pour le fric (9) » A côté du sang contaminé ou du Mediator, excusez-moi, je fais office d’amateur… « Je n’ai jamais eu un problème de sommeil en trente ans. (2) » « Je n’ai jamais eu d’accident grave depuis que j’utilise du PIP, il n’y a jamais eu de décès. (2) » Et puis même si ça arrive, si des cas de cancers se déclarent, je leur souhaite bien du courage pour prouver que ça vient de chez moi… (9) Mais je ne suis pas fou, je sais qu’on va essayer de me plumer. Alors j’ai commencé à organiser mon insolvabilité (10) via un montage au Luxembourg. Je ne vous en dis pas trop mais bientôt, je passerai pour un pauvre. Et je n’aurai plus qu’à attendre ma mort sur la Côte avant d’aller retrouver, là haut, mon harem, toutes celles que j’ai poly-implanté !

Fin de la transcription

Clément Chassot

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