Prison : la télé contre la culture

février 2012
En perdant au profit du privé la location des téléviseurs, les associations socioculturelles derrière les barreaux sont à sec, obligées de licencier. Et de réduire les activités pour les détenus.

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En prison, les détenus vont-ils bientôt devoir choisir entre la culture et la télé ? Aussi inepte que le sempiternel « fromage ou dessert », c’est ce qui semble pourtant se profiler. D’après une note du 17 février 2011 de la direction de l’administration pénitentiaire relative à l’« harmonisation des prestations TV aux personnes détenues », les associations socio-culturelles et sportives intervenant en prison perdent au profit du privé la location des téléviseurs, dont le prix est désormais de huit euros par mois et par cellule dans toutes les prisons publiques depuis le 1er janvier (et à partir de l’an prochain dans les prisons gérées par le privé). Alors que, jusque-là, les prix oscillaient d’un établissement à un autre (allant jusqu’à une quarantaine d’euros comme aux Baumettes ou à Nice), c’est, a priori, une bonne nouvelle.

A l’origine de cette décision ? Le combat mené par un ancien détenu, François Korber, qui, depuis des années, avec son association « Robin des lois », lutte pour la gratuité du petit écran derrière les barreaux. Il a même reçu le soutien de Robert Badinter – le garde des Sceaux à l’origine de l’introduction des téléviseurs en détention – et sa lutte a failli aboutir fin 2011 avec un amendement déposé par le PS lors du vote du budget, malheureusement retoqué à quelques voix près.

Problème : si, jusqu’à présent, les associations socio-culturelles et sportives intervenant en détention tiraient une part significative de leur financement de la location des téléviseurs, l’attribution au privé de cette prestation les met dans le rouge. Il faut dire que cette gestion aura été émaillée par quelques scandales. Comme à Fleury-Merogis où l’association s’était retrouvée avec une cagnotte de 800 000 euros ! Ou à Varennes-le-Grand où le surveillant qui gérait la dite-association avait détourné près de 90 000 euros.

Reste qu’aux Baumettes, l’association socio-culturelle vient de licencier la quasi-totalité de ses salariés et va devoir réduire drastiquement le nombre des activités proposées. Son président, Alain Trouilloud est furieux : « C’est un véritable diktat ! Sans aucune consultation ni concertation, on nous a supprimé 80 % de notre budget. Alors que, d’une certaine manière, on compensait le manque de moyens de l’administration pénitentiaire. Par exemple, en ayant équipé entièrement les salles de musculation de la prison ou en s’occupant de l’arbre de Noël… On va donc devoir solliciter des subventions aux collectivités, tout en sachant déjà que les caisses sont vides. Alors, en attendant, on doit réduire le nombre d’activités. »

Fini le sport ou, pour les détenus, la musique. Sont maintenues en revanche la calligraphie, la poterie ainsi que Radio Baumettes et le festival « Les Baumettes se font la belle ». Et Alain Trouilloud d’ajouter : « Organiser un concert en prison, tout le monde peut y arriver. Mais faire en sorte qu’il y ait du monde en face, c’est une autre paire de manches. Ce qui compte le plus en détention, ce sont les activités au quotidien. » D’autant que la loi pénitentiaire a instauré une « obligation d’activité » pour les détenus. Or, ce qui se passe aux Baumettes est loin d’être un cas isolé. A la prison d’Aix-Luynes aussi, l’association socio-culturelle est au bord du gouffre.

« Je suis sincèrement désolé pour les associations qui faisaient bien leur boulot, déplore François Korber. J’ai moi-même été surpris de la précipitation et l’opacité dans laquelle l’administration pénitentiaire a pris cette décision, sans un mot sur la question du financement. En même temps, on ne pouvait laisser perdurer un système qui voyait les détenus, par la location de leur télé, payer pour des activités auxquelles, trop souvent, ils n’avaient pas accès. Et ce n’est pas à ces associations de pallier les manques de l’administration pénitentiaire. » Reste que, parmi les solutions envisagées, certains établissements seraient prêts à faire payer aux détenus une cotisation pour financer les activités auxquels ils sont tenus, par la loi, de participer…

En attendant, dans l’histoire, deux acteurs se frottent les mains. Canal Plus qui, pour 11 millions d’euros, va fournir le bouquet satellite de huit chaînes. Et Régie Vidéo Systèmes, une petite SARL d’Antibes travaillant déjà pour le ministère de la Défense qui fournira l’ensemble des télés du parc pénitentiaire hexagonal. Un marché de près de 7 millions d’euros.

Sébastien Boistel

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