Quartiers populaires et passage à l’urne

avril 2012
A l’aube d’un nouveau quinquennat, petite balade dans les quartiers populaires de la région pour prendre le pouls . Au programme : lassitude, merditude et incertitude…

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Le grand écran d’un snack de la cité Monclar d’Avignon (84) diffuse en boucle les images du tueur de Toulouse retranché dans son appartement. Hacen, 22 ans, et ses potes n’y croient pas : « A un mois des élections on nous sort ce gars-là, venu de nulle part ! Tout ça pour faire du bourrage de crâne et faire grimper le FN ! » Hacen votera le 22 avril prochain « parce qu’il le faut bien. Moi j’ai ma carte au PS, vous voulez la voir ? C’est ma deuxième présidentielle et il faut que les choses changent. » Ses potes le charrient : « D’où tu crois que ça va changer ? Ils s’en foutent de nous, on n’est rien pour eux. » Eux n’iront pas voter, pas l’envie, pas la foi ou pas le droit.

Hacen lui, suivra peut-être les traces de Mohamed Zaidat, la cinquantaine, fils de Harkis et enfant du quartier qui a choisi l’engagement associatif d’abord (club de foot des cinq continents, épicerie solidaire…) puis politique ; au PS et depuis 2008, auprès d’Europe écologie les Verts dont il est un des candidats pressentis pour les législatives (1ère circo du Vaucluse). Concernant la présidentielle, il regrette qu’Eva Joly ne fasse pas plus d’émules auprès des habitants des quartiers : « Son programme semble mal compris alors que le vivre mieux et surtout le vivre ensemble trouveraient leur place dans les quartiers populaires. »

La main dans l’urne ?

Bien sûr, comme à chaque élection on craint l’abstention, légion dans les quartiers populaires. En 2007, le 15ème arrondissement (quartier nord) de Marseille enregistrait 20 % d’abstention au 1er tour et guère moins (19,23 %) au 2d. « Elle est liée à la souffrance de chacun et aux problèmes du quotidien qui les inquiètent bien plus que le sort de la France ou de l’Europe soulevé dans les débats », explique Samia Ghali, maire PS de ce secteur. Parmi ces abstentionnistes, il y a tous les déçus de 2007, qu’on a poussé aux urnes pour éviter un nouveau 21 avril. François, 25 ans, qui a grandi dans la cité Berthe à La Seyne-sur-Mer (83) est de ceux-là : « Les grands m’ont forcé à voter y a cinq ans, parce que soit-disant ça devait changer les choses ! Vous avez vu le résultat, c’est pire qu’avant ! » Pourtant, Chérif Lounes, fondateur et administrateur de l’Association des familles musulmanes de Provence (AFMP), basée à Aix (13), reste confiant : « La prise de conscience est quand même là, elle va de pair avec la déception du pouvoir en place. Et pour la première fois, on pousse les gens à aller voter pendant les prêches. » 

Même si la lassitude se fait sentir… « C’est tout à fait le mot, mais vous pouvez mettre un «s » à lassitude car on en a vraiment ras le bol ! » Hakim « de Montclar », 37 ans, rejoindra l’isoloir « parce qu’il faut le faire de toute façon ». Son ami Marouale, 33 ans, tient quand même à parler de l’hypocrisie des politiques : « Ici, on est juste un appât d’avant élections, les politiques, on ne les voit qu’à ce moment-là, sinon personne ne se préoccupe de savoir si on a du travail, des logements… Précisez que ce n’est pas un petit jeune de 14 ans qui vous dit ça, mais un père de famille, marié et qui s’inquiète pour l’avenir de ses enfants. Notez-le, c’est important ! » Marouale n’est pas encore français et ne peut pas faire entendre sa voix électorale : « Mais j’aimerais bien ! », lance-t-il.

Les pieds dans la merde !

Selon le sondage ViaVoice/Libération daté du 5 février et « réalisé auprès des classes populaires », le chômage arrive en tête des préoccupations (71 %), le pouvoir d’achat en deuxième position (48 %), suivi de la santé (28 %) et de l’insécurité (22 %). Le logement, semble l’oublié des statistiques… Pourtant Fatou l’aurait bien mis en première position car même si elle a un emploi pour nourrir ses six enfants, son logement situé dans une des tours Germinal de La Seyne-sur-Mer vouées à la démolition n’est plus supportable. « Au lieu de vider les immeubles un à un, pour les détruire, les bailleurs sociaux ont laissé deux-trois locataires seuls dans des tours de plus de 16 étages, sans ascenseur, sans chauffage et dont les appartements abandonnés sont squattés », nous explique une animatrice du quartier. Fatou attend un relogement depuis 2009, elle vient de subir une césarienne et doit grimper tous les jours ses quinze étages à pied : « Par contre j’ai reçu la taxe d’habitation en temps et en heure! », ironise-t-elle. Fatou ira voter Hollande « parce qu’il est de gauche ».

Un PS qui selon Viavoice/Libération remporterait l’adhésion des classes populaires : 47 % pour Hollande contre seulement 23 % pour Sarkozy. Des chiffres qui semblent dire : fini les cinq ans d’amuse-gueules du Fouquet’s, on retourne consommer le Flamby d’chez Aldi ! Mais Mélenchon suit de près : 17 % d’intentions de vote, un score plus élevé que chez l’ensemble des Français (15 %). Samia Ghali l’a constaté dans les quartiers nord : « Il remporte l’adhésion des jeunes, on ne peut pas le nier ! » Pour Joël Dutto, élu PCF de la mairie du 13/14 de Marseille, « Mélenchon c’est celui qui parle comme nous, on comprend ce qu’il dit. Ça tient du contenu bien sûr mais aussi de la façon dont il a amené ses idées, il est venu combler un vide. » Cherif Lounes avait d’ailleurs choisi début mars le Front de gauche comme premier invité des rencontres citoyennes qu’il organise au sein de l’AFMP avant la présidentielle : « Le mouvement de la Bastille, c’est une façon de montrer que le peuple est là, qu’il existe. Le Front de gauche est dans une dynamique généreuse et solidaire dont les quartiers ont besoin et qui s’oppose aux thèses extrémistes du FN qui ne peuvent conduire qu’à l’impasse. »

On allait oublier Marine, qui doit se frotter les mains d’une telle aubaine djihadiste à quelques semaines du scrutin ! Le même sondage la classe deux points au-dessus de Mélenchon avec 19 % d’intentions de vote. Ce qui réjouit Frédéric Boccaletti, conseiller régional et secrétaire départemental du FN 83 : « Ça me rassure, car contrairement aux médias et aux politiques, la classe populaire comprend notre discours ! Avant, nous touchions essentiellement les classes moyennes, désormais avec Marine nous touchons aussi les classes populaires. » Plus surprenant qu’un frontiste qui s’enorgueillit de faire fleurir ses idées d’extrême droite dans les quartiers, il y a Somia, jeune Algérienne de 29 ans, enseignante de formation en attente de naturalisation qui vit dans la cité Berthe (83) et qui valide certains propos de Marine Le Pen : « Elle a raison, on ne peut pas accueillir toute la merde du monde, y a un moment où il faut dire stop ! » « Le dernier arrivé ferme la porte au suivant pour protéger ses acquis, c’est courant », note Chérif Lounes. Selon le sociologue Michel Kokoreff, présent le 2 avril à l’Estaque pour un débat sur l’engagement politique dans les quartiers populaires (1), il n’y a pas de quoi paniquer : « La lepénisation des esprits est consommée. Ce qui explique que cette personne peut donner raison à Marine Le Pen, qu’elle puisse en tant qu’individu avoir une opinion, peut être contradictoire avec son statut, son origine, et aussi nos attentes. Cette parole se dit volontiers en public, mais va rarement jusqu’aux urnes. » Yallah !

Samantha Rouchard

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