Sortie de route pour les auto-écoles
« Les auto-écoles en ligne ne suivent pas leurs élèves ! », fustige Nelly Rose. A la tête de sa petite école de conduite varoise, elle s’insurge contre ces nouveaux mastodontes, sur le marché depuis 2014. Favorisés par la loi Macron, ils se calquent sur le modèle « uber » pour promouvoir un permis facile, connecté et low-cost. Au risque de faire de l’ombre aux auto-écoles traditionnelles et de devenir la bête noire des syndicats tels que la CNPA, présidée par Nelly Rose en Paca, l’Unic et l’Unidec (1). Tous dénoncent « une concurrence déloyale ». Au nom de la sauvegarde d’une profession et de la qualité de formation des élèves, près de 70 000 par an en Paca, 1 million en France (2).
LePermisLibre, LaBonneAllure, Ornikar se développent notamment dans la région. Pour un forfait entre 600 et 800 €, les élèves s’entraînent au code puis à la conduite sur une plate-forme qui les met en relation avec des moniteurs, la plupart indépendants, près de chez eux. Seule difficulté : passer les examens en candidat libre. Mais face à un permis classique de 1000 € (3), au minimum, le choix est vite fait. Une différence tarifaire justifiée par l’exemption des salaires, des loyers et charges associées, permise par le format « en ligne ».
En marche pour l’e-conduite
« La seule chose qui attire les jeunes, c’est le prix », se désole Jo Grech, vice-président marseillais de l’Unic. Les syndicats s’inquiètent aussi pour le salariat et le respect de la réglementation, menacés par l’ubérisation et l’auto-entreprise. « On demande à ce que les écoles en ligne aient au minimum un local (par département où les permis sont passés, Ndlr) et un contrat de travail avec leurs moniteurs », poursuit-il. Conditions normalement nécessaires à l’enseignement de la conduite.
« Si on n’était pas en règle, on nous aurait interdit de travailler depuis longtemps », rétorque Lucas Tournel, jeune co-fondateur du PermisLibre dont la siège est à Lyon. « La loi Macron a simplifié le statut d’indépendant », avoue Cassandra Valmorin à LaBonneAllure. « Elle a allégé les démarches de présentation au permis » confirme le PDG du PermisLibre. En effet, l’examen du code est privatisé, l’inscription au permis dématérialisée, le contrat peut se signer à distance… Et le délai d’attente à l’examen des candidats libres est réduit à deux mois. Coup dur pour les auto-écoles classiques dont le délai, entre deux passages, tarde à diminuer. Il s’élève à 63 jours en moyenne, 62 en Paca. Mais le Vaucluse et les Bouches-du-Rhône restent parmi les pires départements de France : plus de 76 jours d’attente (4).
Pour Nelly Rose et Jo Grech, les changements de la loi Macron se font au détriment d’un « service de proximité, de l’écoute des candidats ». Pourtant, la clientèle semble séduite. Chaque auto-école en ligne compte plus d’un millier d’inscrits et, depuis 2015, les candidatures libres sont en constante augmentation. A contrario, les postulants « classiques » sont à la baisse : « 8 % en moins en 2016 rien que dans le 13 », constate Henri Michel, actuel directeur de l’Ecole de conduite française (ECF) de Marseille. Pour la première fois de sa longue carrière débutée comme moniteur en 1970, alors que « le secteur va mal », il ne cache plus son pessimisme face à « la modernisation numérique » et un nouveau « président qui aime la déstructuration sociale ».
Secteur flashé en fraude
Autre combat du trio syndical : le moniteur indépendant. « Non déclaré », « illégal au regard du code du travail », et dont « la qualité du service fourni ne peut être contrôlée », accusent la CNPA et de l’Unic. L’indépendant, sans lien de subordination, gère sa clientèle, ses plannings, ses prix. « Mais la plateforme a la mainmise sur tout », nuance maître Anaïs Melvini-Scrivano. L’avocate marseillaise, coutumière de ces litiges, relève surtout les cas « d’abus de faiblesse » dont sont victimes les moniteurs indépendants qui, n’étant pas salariés, peinent à « faire valoir leurs droits ». Et, tout en constatant elle aussi que la jurisprudence favorise l’ubérisation, de conclure : « Les auto-écoles traditionnelles sont de mauvaise foi lorsqu’elles dénoncent l’illégalité de leurs concurrentes en ligne, parce qu’elles perdent un marché. Mais au regard ce qu’elles font elles-mêmes, elles sont mal placées pour critiquer ! »
Les contentieux que gèrent l’avocate concernent, en effet, autant les auto-écoles « classiques » que celles en ligne. Le secteur est d’ailleurs bien connu des services de répression des fraudes. En 2015, une enquête relate la récurrence d’un manque de transparence et de pratiques commerciales trompeuses (5). Henri Michel avoue lui-même que seules « 70 % des auto-écoles sont fiables ». Et Odile Leturcq, présidente de l’UFC-Que choisir dans les Bouches-du-Rhône, qui a traité sept litiges depuis janvier rien qu’à Marseille, de déplorer fataliste : « les auto-écoles ne sont souvent pas d’une grande sincérité. C’est la loi du commerce, tant qu’il n’y aura pas de sanctions sévères, l’abus continuera… »
Maïlys Belliot
1. Conseil national des professions de l’Automobile / Union nationale des indépendants de la conduite / Union nationale intersyndicale des enseignants de la conduite
2. Sécurité Routière, 2015
3. UFC-Que Choisir, 2016. Ne comprend pas les heures supplémentaires
4. Tribune des auto-écoles – 04 : 54 jours / 05 : 45 jours / 06 : 59 jours / 13 : 76 jours / 83 : 59 jours / 84 : 79 jours
Enquête publiée dans le Ravi n°152, daté juin 2017