« Tiens, y’a des gens cette fois »

février 2012
Des militants anti-nucléaires qui envahissent l’assemblée plénière du conseil général du Vaucluse, c'était fin janvier dernier : le Ravi était présent et en fait ici le récit. Dans le numéro de mars, notre "contrôle technique de la démocratie" nous emmène à Gap dans les Hautes Alpes...

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9h23 Ambiance bon enfant dans l’hémicycle du conseil général du Vaucluse – l’ancien Hôtel Desmarets de Mondevergues superbement rénové –, une réplique miniature de l’Assemblée nationale. Olivier Florens, vice-président Europe Écologie Les Verts aux faux airs de Roger Lanfranchi, le « mielleux » des Quatre saisons d’Espigoule, joue de « l’air mandoline » à une journaliste qui s’adresse à lui du haut du balcon réservé à la presse et au public.

9h28 Jacques Bompard, conseiller général Ligue du Sud et maire (ex-FN, ex-MNR et ex-MPF) d’Orange, qui est venu sans sa femme Marie-Claude, également élue départementale, arrive en remontant ostensiblement sa braguette. L’ancien lieutenant de Jean-Marie Le Pen rejoint Jean-Michel Ferrand, député UMP de Carpentras, qui discute le bout de gras avec Patrick Bassot, unique conseiller général FN de France depuis l’annulation de l’élection de Jean-Paul Dispard à Brignoles (83). À son arrivée, Alain Dufaut, sénateur et chef de file de l’opposition UMP départementale, s’incruste dans le petit groupe. L’entente entre la droite et l’extrême-droite locales est visiblement très cordiale. Au point de faire tomber le cordon sanitaire lors des législatives de juin ?

9h40 Grand, visage couperosé façon Michel Vauzelle rehaussé de lunettes, mèche grise courte et costard-cravate sombre de circonstance, Claude Haut, président PS du conseil général depuis 2001, agite une petite clochette. Après avoir rappelé quelques indisciplinés à l’ordre, le sénateur (depuis 1995) ouvre la séance en présentant ses vœux à l’assemblée : « Je souhaite que cette nouvelle année soit agréable à toutes et à tous. Elle le sera peut-être plus à certains qu’à d’autres. » Conclusion prudente : « L’important, c’est de retrouver l’équilibre perdu. »

9h42 Coup de théâtre. Du balcon, un quinqua grisonnant, bedonnant et mal rasé interpelle les élus : « pétition de 7500 signatures », « courriels et courriers restés sans réponse », « enfants atteints de leucémies », etc. Autour de Jean Revest, porte-parole du collectif antinucléaire 84, une vingtaine de militants se sont rapprochés de la rambarde et brandissent des affichettes hostiles à l’atome ou des photos de victimes de Tchernobyl. Dans la fosse qui proteste, deux francs-tireurs déploient une banderole noire « nucléaire = cancers » derrière Claude Haut. C’est la révolution !

9h43 Furibard, Claude Haut tonne : « Je suspends la séance ! » Et quitte l’hémicycle. À l’exception d’André Castelli, conseiller général d’Avignon-Est, Front de gauche tendance PCF, et d’Olivier Florens, tous les élus le suivent. Des dossiers affichant l’hélice du nucléaire s’étalent sur les bureaux. En sortant, Alain Dufaut sermonne les médias, venus également en nombre pour l’occasion : « Ne filmez pas, vous les encouragez ! » Nos confrères résistent courageusement et attaquent immédiatement les interviews.

9h44 L’absence d’auditoire n’arrête pas Jean Revest, qui poursuit : « Vous êtes complices d’un crime organisé par un petit quarteron de lobbyistes », « nous ne voulons pas être pris en otage », « c’est un problème sanitaire », « il y a 1,5 million de m3 de déchets dont on ne sait pas quoi faire », « nous sommes au cœur du triangle de la mort Tricastin-Marcoule-Cadarache », etc. Les antinucléaires réclament des analyses des nappes phréatiques d’une centaine de communes du département et du Rhône, contaminés respectivement selon eux par du tritium suite à l’accident du Tricastin de 2008 et par le plutonium des déchets militaires depuis 2003, ainsi que le vote d’une motion demandant l’arrêt des quatre réacteurs du Tricastin et la sortie immédiate du nucléaire. C’est comme si c’était fait…

9h50 « Le pouvoir est vacant, qu’attendons-nous pour le prendre ? », lance un dangereux provocateur. Les rires fusent.

9h56 Barbe courte et cheveux mi-longs blonds, un jeune allemand de la communauté Longo Maï de Saint-Martin de Crau met un peu en perspective, et dans un très bon français, l’action du jour : « En France, aucune étude sur le long terme n’a été faite sur les conséquences sanitaires des accidents nucléaires ou de l’impact des installations sur les populations, contrairement à l’Allemagne où il a été démontré qu’autour de plusieurs centrales les cas de leucémie chez les enfants ont crû de 27 %. » Ceci explique cela ?

10h03 Hall de l’hémicycle, ambiance d’état de siège. Les journalistes fourmillent pendant que les employés organisent un service d’ordre à l’entrée de la buvette où se sont retranchés quasiment tous les élus. Jacques Bompard réussit à se faufiler hors de la salle et s’esquive d’un pas rapide, suivi par son fils. Seul à braver le danger, et à avoir répondu aux courriers et courriels des antinucléaires, Olivier Florens déplore : « Je pense qu’on aurait pu les écouter. » Avant de tacler les antinucléaires : « Je suis en charge du dossier. Tous leurs courriers ont eu des réponses de ma part. La demande d’analyse est dans les tuyaux. Ils se sont fait plaisir au risque de braquer Claude Haut ! »

10h05 Retour dans l’amphithéâtre. Jean Revest part faire du lobbying pour décrocher un rendez-vous. D’un coup, les lumières s’éteignent et les portes se ferment. Ses camarades s’amusent : « On veut des bougies ! »

10h11 Retour dans le hall. Une hôtesse d’accueil à ses collègues : « On a été surprises. On s’est dit, “tiens, y’a des gens cette fois”. » Pas de bol…

10h20 Les élus commencent à quitter la buvette et la presse à plier bagages. Claude Toutain, un médecin longiligne aux cheveux blancs de l’UMP (canton d’Avignon-Nord), s’explique : « L’industrie nucléaire est un mal nécessaire. On peut faire des études, comme le demande le collectif, mais de là à dramatiser à mort et proposer le retour à l’âge de pierre, c’est irresponsable. » Du Sarkozy dans le texte…

10h26 Le hall se vide des élus, remplacés par les militants qui viennent d’abandonner le balcon. André Castelli, qui traîne, est pris à partie. Un dialogue s’engage, tendu. Le communiste s’énerve : « Je ne suis pas en désaccord total avec vous, mais je ne crois pas au discours du “on va tous mourir demain.” Et venir me dire à moi que je suis responsable de la mort d’enfants… » Cécile, une brune d’une vingtaine d’années, le coupe : « Ne vous sentez pas agressé. On est tous responsables. » Puis interroge : « Quand est-ce qu’on peut vous rencontrer ? » « Demain, 14h », promet André Castelli en les quittant. D’un pas pressé.

10h37 Seuls restent encore deux-trois journalistes et un trentenaire stylé à lunettes épaisses, adjoint de la directrice de cabinet de Claude Haut. Bredouille, Jean Revest engage la discussion. Yannick Joubrel, voix blanche : « Vous ne demandez pas les bons responsables. Allez à la préfecture, allez les faire chier. Vous faites du terrorisme. » Malgré les protestations de ses camarades, l’écolo garde sa ligne : « Ça n’est pas de ce matin que l’on demande un rendez-vous. Ça ne nous amuse pas, on prend sur notre temps de travail.  » L’adjoint, droit dans ses bottes : « D’autres aussi ne seront pas payés, comme les associations dont vous avez empêché le vote des subventions. » Puis s’esquive en laissant sa carte : « On va relayer votre demande. »

10h43 La petite troupe quitte les lieux. Coincée dans l’embrasure d’une porte, une employée bravache les prévient : « Car vous croyez que vous aurez rendez-vous ? » 

NB : In fine, la séance a eu lieu en début d’après-midi, à huis clos…

Jean-François Poupelin

Le dessin (signé Eric Ferrier) est un portait de Claude Haut, président PS du conseil général du Vaucluse.

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