Une fable qui mange du lion
C’est le voyage d’un conte oriental du IIIème siècle avant J-C., celui de Kalîla et Dimna, sur l’exercice du pourvoir. Au fil des siècles, les histoires des deux petits chacals ont traversé la Perse et la Méditerranée, ont changé de forme à chaque traduction ou réécriture. À Paris, le conte a notamment inspiré quelques fables à Jean de La Fontaine. Et quand il arrive au festival d’Aix-en-Provence en 2016, il prend une forme particulièrement moderne.
Cette dernière version, partant du texte arabe, a été adaptée en opéra par Fady Jomar, écrivain syrien réfugié en Europe après avoir été emprisonné par le régime de Bachar el-Assad. Sous sa plume, le lion de la fable se mue en dictateur (1) et Chatraba, le nouveau personnage central, est un chantre de la liberté d’expression.
Le film lui, réalisé par David Daurier et Jean-Marie Montangerand, a été tourné pendant près de trois mois au collège du Jas de Bouffan auprès des enfants de sixième et cinquième d’enseignement adapté. Dans le cadre d’une action éducative en partenariat avec le festival d’Aix, les élèves ont travaillé pendant plus de six mois pour se repérer au milieu de ces histoires internationales. Le monde arabe qu’ils y découvrent sort de leurs frontières familiales habituelles du Maghreb grâce aux musiciens et acteurs libanais, syriens, palestiniens, turcs…
Au fil du film, on voit surtout les enfants découvrir le monde de l’opéra par le biais de la langue arabe, qu’ils utilisent en classe cette fois-ci. Les élèves étaient « ébahis et contents » d’avoir pu dialoguer avec l’écrivain syrien exilé, rapporte affectueusement Krystel, professeure au Jas de Bouffan, qui assure également que l’expérience les a même « aidés à éclaircir quelques domaines à leur échelle ». Audrey, ancienne professeure de l’une des classes, atteste aussi que ces élèves « un peu timides » sont « fiers » d’avoir participé au projet. Ils y ont gagné une « revalorisation personnelle » estime enfin Krystel.
Le Gyptis diffuse le 8 mai « Les yeux de la parole » à la séance de 20h, suivie d’un débat avec les réalisateurs. Une occasion (presque) unique de découvrir ce film dont la morale reste en suspens…
1. « el-Assad » signifie « le Lion » en arabe, et « Bachar » signifie « porteur de bonnes nouvelles ».