Au pays des cigales, BFM TV se veut fourmi

février 2022 | PAR Frédéric Legrand
Après que plusieurs télés locales de Paca ont mis la clé sous la porte, BFM-TV s'est installée au soleil pour tenter le pari de l'info de proximité, financée par un mix publicité et argent public. La partie s'annonce serrée...

Ça y est. La Provence et la Côte-d’Azur ont elles aussi leur chaîne tout-info locale adossée à un grand groupe national. Depuis l’été 2021, BFM-TV a ouvert des chaînes à Marseille, Toulon et Nice, après Paris, Lille, et Lyon. Objectif affiché : toucher une audience plus jeune et active que celle des antennes locales de la chaîne publique France 3. Sur ses premières locales, BFM revendique presque 50 % de téléspectateurs de moins de 50 ans, là où l’âge moyen sur France 3 tourne autour de 62 ans. L’équation est cruciale pour une chaîne privée, puisqu’il s’agit d’attirer des annonceurs, et donc un public cible de consommateurs le plus large possible.

Argent public

Car la vie n’est pas facile pour les télés locales : en s’installant en Paca, BFM-TV reprend une partie des fréquences, des équipements et des équipes de chaînes comme Azur TV, Provence Azur et sa prédécesseuse La Chaîne Marseille (LCM). Des chaînes qui avaient fini par devoir chercher des repreneurs, faute d’un modèle économique assez solide. Le problème est assez profond pour avoir nécessité en 2010 un rapport commandé par le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) sur « les conditions de réussite de la télévision locale en France ». Les experts mandatés par le CSA avaient été clairs : le marché publicitaire local est difficile à mobiliser, et il semble difficile de se passer d’un soutien financier des collectivités locales. Des chaînes comme Azur TV en avaient quasiment fait leur modèle économique, passant des contrats d’objectifs et de moyens (COM) avec le Conseil régional dirigé par Christian Estrosi, pour produire des contenus promotionnels. Jusqu’à faire reposer les deux tiers de son budget prévisionnel sur des fonds régionaux, comme l’avait calculé à l’époque Marsactu. Quand Renaud Muselier, prenant la suite d’Estrosi, avait coupé le robinet, la chaîne avait dû mettre la clé sous la porte.

Selon le CSA, cette fragilité est commune à toutes les télés locales privées : dans son rapport de 2010, elle évalue le budget annuel moyen pour une chaîne couvrant l’équivalent de la population de Marseille à 1,7 millions d’euros, pour un chiffre d’affaires publicitaire moyen de seulement… 400 000 euros. Qu’en est-il pour BFM TV, qui arrive avec un réseau national, et une image de marque puissante ? « Localement, le marché publicitaire est très concurrencé par le digital, avec Google et Facebook qui en représentent 30 %. Mais nous n’avons pas d’autres chaînes concurrentes donc nous venons en complément d’autres supports », assurait en juin Philippe Antoine, directeur des rédactions régionales de BFM. Première étape : BFM a noué avec La Provence des partenariats pour que les commerciaux du quotidien puissent vendre des opérations « packagées » dans les deux médias. Côté télé, les supports sont variés : de la pastille de quelques secondes au format magazine de trois minutes. « Ce sont ces formats qui séduisent le plus les annonceurs locaux », assuraient les dirigeants de BFM TV en juin, revendiquant à l’époque déjà une dizaine de partenariats, allant de 4 000 à 15 000 € chacun selon le format et la durée des contenus. L’équivalent de contrats de diffusion à 7 spots par jour, durant trois semaines, selon les documents commerciaux de la chaîne.

Publicité cachée

Ces formats publicitaires, qui les réalise ? En région, BFM semble avancer sur deux pieds. D’un côté un traitement journalistique professionnel et carré, qui respecte les principes du contradictoire et d’une expression pluraliste, dans les clous des exigences de pluralisme rappelées par le CSA. De l’autre, des contenus commerciaux ou partenariaux qui logiquement ne défendent qu’un seul point de vue, mais qui ne s’assument pas comme de la communication commerciale. Parmi les premiers « formats magazines » diffusés ainsi par BFM Provence, un reportage de trois minutes chantant les louanges de « Veolia qui s’engage pour la transition écologique du territoire » en voulant transformer sa décharge de Septèmes-les-Vallons en « pôle écologique de référence ». Alors qu’à aucun moment ne figure de mention « Publi-reportage » ou « Partenariat », et qu’on peut donc légitimement penser qu’il s’agit d’un format informatif, aucun mot sur l’opposition de plusieurs riverains, qui réclament purement et simplement la fermeture de la décharge. Ni sur l’opposition unanime du conseil municipal de Marseille à la poursuite de cette activité, qui génère un important trafic de poids lourds dans les quartiers nord.

Un reporter des locales de BFM peut-il faire un jour un quasi publi-reportage sur la fédération des chasseurs du Var, et quelques jours plus tard couvrir la manifestation de riverains contre ce même annonceur pour le compte du JT ? La charte de déontologie de la chaîne semble l’interdire : dans son article 22, elle précise que « les services audiovisuels d’Altice Media [maison-mère de BFM] s’engagent à ce que les émissions d’information politique et générale qu’elles diffusent soient réalisées dans des conditions qui garantissent une information indépendante de toute pression extérieure ou intérêt politique, économique, culturel ». « Nous séparons systématiquement les activités commerciales du travail de la rédaction, assure la direction de BFM TV dans une réponse écrite. Ce qui relève du partenariat est différencié du contenu éditorial : les contenus éditoriaux ne sont pas présents à l’antenne de la même façon que les contenus commerciaux, et nous travaillons à améliorer encore cette distinction. »

Pour ce qu’il en est des collectivités locales, la situation semble plus claire : les magazines réalisés par BFM TV pour la ville de Nice ou la région Paca bénéficient dès leur ouverture d’un – fugace mais visible – carton mentionnant leur partenariat. Et contrairement à Azur et Provence TV, BFM n’a pas signé avec ces collectivités de contrats d’objectifs et de moyens qui l’aurait liée sur plusieurs années. « Nous privilégions la communication institutionnelle, cadrée, affichée et délimitée pour éviter toute entorse à la liberté éditoriale, affirme la direction de BFM. Nous cherchons à atteindre l’équilibre financier le plus vite possible à travers le développement de la publicité pour que les rédactions restent indépendantes. » Après avoir lancé ses premières chaînes locales en 2016, BFM assure que celles-ci « ne sont pas loin de l’équilibre financier ». Pour leurs sœurs du Sud, rendez-vous en 2028 ?

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