« La dénonciation de la corruption ne suffit pas »

août 2013 | PAR Sébastien Boistel
Séverine Tessier, fondatrice d'Anticor, invitée de la Grande Tchatche

Comment est née Anticor ?
L’association est née au lendemain du 21 avril 2002, une élection présidentielle marquée par une forte abstention et la présence au second tour de Jean-Marie Le Pen. Cette année-là, on avait donc le « choix » entre un candidat discrédité par les affaires et un autre ayant fait du « tous pourris » son fonds de commerce. Avec des élus mais aussi des personnalités comme le juge Eric Halphen, on a lancé un appel à la résistance en faveur de la lutte contre la corruption et d’une démocratie digne de ce nom.

A cette époque, vous étiez élue, membre du PS. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Est-ce à dire que le combat d’Anticor n’est pas possible « de l’intérieur » ?
J’étais élue à Clichy-la-Garenne, dans les Hauts-de-Seine, une ville tristement célèbre pour ses affaires de corruption, où Didier Shuller prépare son retour. J’ai été adhérente du PS, faisant partie des refondateurs, aux côtés d’Arnaud Montebourg, favorable à la mise en place d’une sixième République. J’ai été aussi candidate aux régionales sur une liste EELV où j’ai été rétrogradée en position inéligible parce que je refusais de soutenir Jean-Paul Huchon, du fait de sa condamnation pour prise illégale d’intérêt… De fait, la politique est tellement chronophage que j’ai préféré consacrer toute mon énergie à Anticor. Mais notre action vise autant à lutter de l’intérieur que de l’extérieur.

En une décennie, Anticor s’est développée. Mais le rejet de la politique aussi. Est-ce un échec ?
D’élection en élection, les sondages montrent la désillusion des citoyens à l’égard de la politique et la perception négative qu’ils ont des élus. En onze ans, Anticor a réussi à se faire entendre. Mais, dans le même temps, la corruption s’est développée, les lobbies sont partout, les pratiques d’influence se sont généralisées, sans parler du mélange des genres, de l’affairisme… D’une certaine manière, c’est un échec. Mais cela signifie surtout que la dénonciation de la corruption ne suffit pas. Comme la transparence… Il faut mettre en place de véritables contre-pouvoir, ce que j’appelle un « service après-vote » pour que les citoyens aient une part active dans les décisions des élus et dans le contrôle de celles-ci. En particulier dans le domaine de l’octroi d’argent public, notamment aux entreprises ou aux associations. Et ce, tout au long du mandat. La démocratie ne saurait se réduire à signer un chèque en blanc tous les cinq ans. Le problème, c’est qu’on a gadgétisé la participation citoyenne. Au point qu’aujourd’hui, c’est à se demander si on est encore en démocratie. Avec la décentralisation, se sont constituées des baronnies locales. Une décentralisation qui a été menée par un certain… Gaston Deferre.

C’est ce qui a motivé votre installation en région Paca ?
Au regard d’un critère aussi simple que celui du nombre de condamnations, sur le terrain de la corruption, Paca arrive largement en tête, avec le Nord-Pas-de-Calais et l’Île-de-France. Il y a dans la région des spécificités : l’importance des réseaux d’influence, la proximité des mafias (italienne et russe, notamment) ainsi que des pratiques politiques qui mêlent clientélisme et clanisme… Dès que l’on touche à l’urbanisme, au foncier, aux marchés publics, on retrouve souvent une collusion entre milieux d’affaire (notamment les banques), entrepreneurs privés et élus locaux. Paca est une région pivot pour appréhender le clientélisme et la corruption. Mais aussi la résistance à ces phénomènes. Si je me suis installée en région Paca, c’est donc aussi pour développer le réseau Anticor, d’autant qu’il y a des passerelles à mettre en œuvre avec l’Italie où l’on trouve des réseaux anti-mafia très influents.

Avez-vous subi des pressions ?
Oui. Des avertissements. Voilà pourquoi Anticor est un collectif. Il est vital que tout ne repose pas sur une seule personne…

Y a-t-il ici une prime à la casserole ?
C’est un mythe. La réélection d’élus qui ont été condamnés est avant tout liée à une forte abstention et à un score important des extrêmes. La carte de la corruption épouse celle de l’abstention et du vote pour les extrêmes, à commencer par l’extrême-droite. In fine, quel que soit l’endroit où l’on se trouve, les mêmes causes produisant les mêmes effets, on a toujours affaire aux mêmes pratiques. Ce qui est propre à Paca, c’est peut-être la banalisation de la corruption, du clientélisme et des scandales. A ce titre, la presse locale joue un rôle. Car si une presse indépendante devrait contribuer à plus de transparence, de contrôle et à la dénonciation des scandales, on sait que la presse locale, du fait de son financement, de ses annonceurs mais aussi des réseaux d’influence, sert avant tout les pouvoirs en place. Au-delà du cas « Tapie », c’est un problème structurel.

Le PS est sous le feu des projecteurs. Y a-t-il une différence entre une corruption de gauche et de droite ?
D’un côté il y a un clientélisme à vocation sociale et de l’autre de l’affairisme, mais la différence est minime.

Quid des lois sur la transparence ou le cumul des mandats ?
En France, à chaque scandale, on fait une loi. Sans se soucier de son application ni des moyens nécessaires à sa mise en œuvre. Or, les moyens de contrôle sont notoirement insuffisants. Vous avez des préfets qui ne font plus de contrôles de légalité, des tribunaux totalement inertes, sans parler de la question des conflits d’intérêt notamment du côté des chambres consulaires. Quant aux chambres régionales des comptes, elles manquent de moyens et n’ont pas compétence pour sanctionner. D’où la nécessité d’un contrôle exercé par les citoyens.

Demander à des élus de s’engager sur la probité à l’heure où le clientélisme bat son plein, pour cause de campagne électorale, n’est-ce pas illusoire ?
Le système électif tel qu’il est pose un réel problème. Le pouvoir du politique n’a pas assez de limites. D’où l’intérêt de réintroduire une dose de tirage au sort. De notre côté, nous avons mis en place une charte pour des élus qui s’engagent, par exemple, à refuser le cumul des mandats. Et lorsqu’ils ne respectent pas leur engagement, nous les attaquons en justice.

Est-ce à dire que vous soutenez certains candidats aux élections ?
Non. Toutefois, nous rappelons qui a signé la charte Anticor, qui a été condamné ou poursuivi. Qui cumule et qui ne cumule pas. De fait, à chaque fois qu’on l’estime nécessaire, on se rappelle au bon souvenir des élus.

Est-ce que vous continuez à aller voter ?
Oui, mais à chaque élection, je me pose la question de l’utilité de le faire. En essayant, à chaque fois, de voter pour le moins pire…

Propos recueillis par Sébastien Boistel