Jeux interdits
Prêt à tout ! Après avoir essayé les premiers test Covid (Cf le Ravi n°185), privé de ces lieux de culte que sont les salles de concert, on appelle le docteur Vincent Estorel du collectif Do3me pour lui proposer de jouer les cobayes lors des concerts « tests » qui doivent se tenir au Dôme à Marseille. L’écouvillon ? Même pas peur. Dernier test ? Négatif. La programmation ? On est prêt à se fader Jul. Royal : c’est finalement IAM qui sont annoncés !
Le médecin douche notre enthousiasme : « Pour écarter tout risque de co-morbidité en cas de contamination, il faut avoir 40 ans maximum afin de participer. » Le praticien, rompu à l’art d’intervenir dans les médias, rassure : « En tant que journaliste, vous pourrez couvrir l’événement. » Mais demain, c’est loin. L’horloge tourne et Vincent Estorel ne répond plus à nos appels. Une de ses collègues fait savoir que les dates des concerts ne sont pas fixées : « La validation du protocole prend du temps. » Montpellier va peut-être coiffer Marseille au poteau puisque doivent y être organisés deux concerts test, « debout, sans distanciation physique mais en respectant les autres consignes sanitaires ».
Or, des concerts debout, sans distanciation mais en respectant les consignes sanitaires, ce n’est pas du tout une nouveauté ! Et pas qu’à la Plaine, à la faveur d’un bœuf entre potes, d’une répétition de la chorale La Lutte enchantée, du passage d’une fanfare ou de la prestation d’un « big band » dominical qui fait se dandiner un public plutôt familial avant de plier les gaules à 18 heures.
« Boums » improvisées
Jeux dangereux car, il y a peu, un guitariste et un batteur se sont fait verbaliser alors qu’ils jouaient dans les escaliers du cours Julien. Là où, auparavant, le « happening » de la rappeuse Kenny Arkana n’a duré que quelques minutes. Il y a aussi les manifestations en soutien aux free parties réprimées qui se sont transformées en technoparade. Et les « boums » improvisées dans l’arrière-salle de bars « clandé ».
Si des salles optent pour les concerts en streaming, d’autres ont décidé, envers et contre tout, de maintenir des concerts en vrai ! Ça ne marche pas toujours. Comme ce samedi où, un amateur s’étant pointé à la dernière minute pour une écoute radiophonique suivie d’une performance musicale, est refoulé : « La jauge a été atteinte. Ils ont fermé les portes et n’acceptent plus personne. » L’info – qui, loin des réseaux sociaux, passe via une newsletter ou le bouche-à-oreille – a peut-être un peu trop circulé. Ambiance étrange, dixit Marie, une habituée : « On était serré comme des sardines. Pas l’idéal pour se concentrer. Et un voisin s’est mis en tête de prendre en photo les gens dans la cour. On ne pouvait donc pas sortir. »
Quinze jours plus tôt, nous avons plus de chance. Suffit d’arriver à l’heure. L’entrée est à prix libre, le lieu guère plus grand que le salon d’un grand appartement avec une cour par laquelle se fait l’entrée quand le rideau de fer est baissé. Dans un coin, un bar avec cacahuètes et gel hydro-alcoolique. A côté duquel s’installe l’artiste, étonnant bidouilleur aux allures d’ingénieur informaticien.
Une heure durant, face à quelques dizaines d’amateurs de musique expérimentale, il s’échine à triturer les fils qui, entre ordinateur et console, s’emmêlent pour produire des vagues de son entre fin du monde et lendemain de cuite. Et de conclure son set en s’excusant : « Pardon pour la techno parfois un peu facile… » Notre guitariste de voisine ne peut s’empêcher de pouffer…
Quelques semaines plus tard, c’est un multi-instrumentiste de talent qui officie au même endroit. Quand il ne se risque pas à un parlé-chanté aussi absurde que désopilant, il passe d’un saxo criard à la guitare qu’il maltraite cordialement, qu’elle soit électrique ou slide. Le set dure une petite demi-heure. Sophie préfère partager sa joie que sa frustration : « C’est mon premier concert depuis un an. Il n’y a pas longtemps, en entendant à nouveau un accord de guitare, je me suis mise à pleurer ! »
Même son de cloche du batteur d’un des meilleurs groupes de noise du coin : « C’est hyper-frustrant pour tout le monde. Au point d’ailleurs que, pour la campagne de soutien participatif d’une salle de répétition, il a été proposé, comme contrepartie à ceux qui donnent, de pouvoir assister à une de nos répétitions. Comme un show-case. Tout le monde est en manque. »
Face à la peur généralisée
Ce dont a parfaitement conscience Damien, un des organisateurs : « On en a tous marre. Et l’on sent que ça répond à un vrai besoin. D’ailleurs, l’été dernier, avec les autres petits lieux, on avait commencé à s’organiser pour interpeler la nouvelle majorité. Et bim, nouveau confinement ! Lors du premier, on n’a rien fait. Mais depuis, on a repris. Et on fait partie des rares à ne pas s’être arrêtés. Notre chance, c’est d’être un peu à l’écart. Et on se fait encore plus discret que d’ordinaire. Rideau de fer baissé, passage par la cage d’escalier à côté, musique à peine amplifiée, information circulant par le bouche-à-oreille… On a toujours été plus ou moins dans la clandestinité. C’est donc une forme de résistance face au climat de peur généralisée. »
Ce qui ne veut pas dire que tous ne sont que des têtes brûlées. Une semaine plus tard, nouveau concert à l’autre bout de la ville. L’info circule par mail via un document partagé où il est même possible de s’inscrire pour coucher sur place ! Mais Marlène, ce soir-là, passe son tour : « Je suis cas-contact de cas-contact. Je préfère donc faire attention et ne pas prendre le risque de contaminer mon entourage. »
Pour Lulu, une des musiciennes, « cela faisait un an que je n’avais pas joué ce projet. Là j’ai un EP qui sort et ne pas jouer à cette occasion est encore plus frustrant. Du coup, me retrouver devant un public m’a reboostée. Ça a réalimenté la machine et m’a rappelé à quel point c’est essentiel. » Tout en gardant une certaine distance : « Quand on est dans le milieu underground, on est habitué à être à la marge. Le confinement a renforcé cette situation. Mais, même si on est habitué à la débrouille, il ne faudrait pas que cela accentue l’entre-soi. Et ne pas exclure encore davantage les plus fragiles ! »
La solution, c’est peut-être celle trouvée par ce trio – guitare sèche, violoncelle et flûte traversière – qui s’est installé sur les bancs d’un des jardins publics de la cité phocéenne pour un concert de soutien à une imprimerie anarchiste dont l’information a circulé par flyer. De quoi ravir, à la veille du carnaval de la Plaine, autant les habitués des petites salles souterraines marseillaises que les familles venues se balader ou fêter un anniversaire en plein air.
L’époque incite à être inventif. Comme ce salon de tatouage-librairie plutôt rock qui a décidé d’organiser des « vide-dressing » avec DJ ou joueur de ukulélé. Après tout, il y a de la musique dans les supermarchés !
N.B. : Nous n’indiquons volontairement pas l’identité des artistes ni ne donnons des indications précises sur les lieux afin de ne pas les mettre en difficulté.