À Martigues, l’humain d’abord ?

septembre 2021 | PAR Sébastien Boistel
La gestion de l’organisme HLM, la Semivim, interroge. En interne comme à l’extérieur. Enquête.

À Martigues, le logement social, ça ne manque pas ! La ville dirigée par Gaby Charroux dispose de son propre organisme, présidé par le maire (PCF) en personne, la Semivim. Le slogan ? « Notre patrimoine, d’abord l’humain ». À croire le journal municipal de septembre, d’après une « enquête », les locataires (757 répondants sur 2 900 logements) seraient « satisfaits et impliqués ».

Reste qu’à la Résidence des 4 vents, l’amicale des locataires bataille depuis des années (Cf le Ravi n°127 & n°153). « À la base, c’était sur les charges liées aux premières réhabilitations. Se sont greffées des problématiques de logements insalubres voire indécents : infiltrations, moisissures mais aussi punaises de lit ou amiante », détaille Me Latimier qui accompagne une vingtaine de locataires. Certains avaient bloqué les charges. Pas de quoi ravir la municipalité qui a entamé – en vain – les procédures d’expulsion.

Face à la fronde et assurant dans La Provence que « notre intérêt n’est pas de profiter de nos locataires », Patricia Baptiste, alors « conseillère technique du président » de la Semivim, avait lâché il y a quelques années : « De l’amiante ? Y a-t-il des preuves ? » Étonnant de la part d’une ancienne de la CNL (Confédération nationale du logement, longtemps classée proche du PCF). Car les preuves ne manquent pas. Comme les éléments laissant à penser que le désamiantage n’aurait pas été fait dans les règles de l’art.

Risques psycho-sociaux

En attendant que la justice ne se prononce, l’histoire a laissé des traces. Aux municipales, Charroux a refusé d’ouvrir sa liste à la France Insoumise, du fait de la présence d’une locataire des 4 vents ! « Elle a porté plainte contre moi dans un conflit lié à la réhabilitation des 4 vents. Comment voulez-vous que j’ai sur ma liste quelqu’un qui a intenté une action contre moi ? », a-t-il expliqué en février 2020 lors d’une conférence de presse.

En janvier 2020, une altercation en marge du conseil municipal s’est terminée sur le parking de la mairie avec cinq jours d’ITT (Incapacité totale de travail) pour la responsable d’une association de locataires. Et c’est sur le parking de l’organisme qu’une cadre s’est faite agresser en juin 2020.

La Semivim sentirait-elle le soufre ? Fin 2019, l’opposant LR Jean-Luc Di Maria rend public le « bilan d’étape » sur la Semivim d’un cabinet pour qui « l’entreprise n’est plus manageable », au point de mettre « en danger la santé des salariés, de l’entreprise mais également menace le président dûment informé de harcèlements dont il pourrait être tenu responsable au titre de son mandat social ».

Comme le rapport de 2018 sur les « risques psycho-sociaux », le cabinet pointe en particulier la directrice du patrimoine Patricia Baptiste : « La Semivim n’est pas appréhendée comme une entreprise normale mais comme un outil électoral. C’est ce que Mme Baptiste a revendiqué publiquement, se présentant comme “la conseillère du maire” en charge de “surveiller la direction” et fixer le cap en lieu et place du directeur », celle-ci « se posant comme prioritairement et exclusivement au service du maire, faisant peu de cas du devenir des locataires et salariés ».

Contre-feux immédiats de la municipalité. Pourtant, le cabinet se fait prophétique. Listant une « dizaine de cas » ayant « donné lieu à un signalement à la médecine du travail » et faisant état d’une directrice « ostracisée », d’une autre « en burn-out », on peut lire : « À court terme, l’équipe de direction peut être décimée. » Dont acte. Suite au départ du dernier directeur dans la foulée de la fuite de l’audit, Gaby Charroux est désormais PDG, son ex-directrice de cabinet (et ancienne maire démissionnaire de Mitry-Mory) étant, elle, « secrétaire générale ». En conseil, fin 2019, le maire n’en clame pas moins : « Le personnel est en aussi bonne forme que la société ! »

Pas simple d’y voir clair. Les comptes 2020 n’ont toujours pas été rendus publics. Et le commissaire aux comptes a été dans « l’impossibilité de certifier » ceux de 2019, la Semivim ayant « rencontré de grosses difficultés dans son fonctionnement quotidien, consécutives à la migration de son système d’information et à l’absence de direction financière ». Le cabinet d’expertise comptable a donc opté pour une « « solution en mode dégradé” : reprendre l’ensemble des flux de l’exercice 2019 dans un tableau Excel  !

Chez les « cocos », ce qui cloche, c’est les PC ? De quoi faire s’étrangler Jalal Samain, le patron de Scepia, le prestataire informatique aixois qui poursuit la Semivim pour « 70 000 euros de factures impayées » : « Notre logiciel est utilisé par près d’une centaine de bailleurs ! On n’a jamais vu ça ! Mais, quand on a présenté notre système qui permet de gérer autant la comptabilité que les quittances ou les factures, on a senti la réticence de certains. Ça s’est confirmé avec le changement de direction. »

Contrôle en cours

Pas de quoi empêcher le rapprochement avec Adestia, une filiale de la Caisse des dépôts et consignations, qui vient d’entrer au capital de la Semivim, la loi Elan obligeant les bailleurs gérant moins de 12 000 logements à se regrouper. « La Semivim se marie ! », claironne fin septembre La Provence. Qui interroge le président, Gaby Charroux, sur la situation au sein de l’organisme : « Les choses se sont aplanies. On redémarre. C’est un soulagement. On a passé deux années compliquées à rattraper les défaillances de la direction sortante. Tout ça s’annonce derrière nous. »

Rassurant, l’édile sait aussi se faire alarmiste. Au lendemain de la venue de Macron à Marseille, il réclame un « plan d’urgence global » notamment sur la… sécurité : « Quand le Président s’exprime sur l’aspect sécuritaire et la situation des quartiers paupérisés, je ne peux que partager son analyse. Il est urgent de remettre de la sécurité dans des quartiers en proie aux trafics. » Un discours qui résonne à Martigues, marqué cet été par un règlement de comptes.

Pourtant, dans les quartiers, Charroux ne manque pas de relais. Le voilà sur les réseaux sociaux aux côtés du président de « Martigues Équilibre », une association qui s’est illustrée avec des distributions alimentaires, Adel Baha. Un proche de la directrice du patrimoine de la Semivim qui y travaille, lui, comme « médiateur ». Il vient de monter une nouvelle structure, « Martigues Evolution ». Et, avec force sponsors (la ville, la Semivim, un promoteur, un constructeur…) organise des tournois de foot, des fêtes de quartier… C’est aussi le nom d’un magazine. Et d’une société de « portage d’affaires ».

Une figure qui, sur les bords de l’étang de Berre, interroge. Malgré nos demandes, le maire a refusé de répondre au Ravi. Peut-être sera-t-il plus prolixe avec l’Ancols, le « gendarme » des bailleurs sociaux, qui nous a confirmé qu’un « contrôle est en cours » à la Semivim. Le rapport devrait sortir courant 2022. Le dernier contrôle date de 2013. Entre temps, la Semivim a connu quelque évolution. Comme la création d’une filiale, la Sopavim, pour gérer le foncier afin que la Métropole ne mette pas la main dessus. Mais, quand cela se traduit par la construction à la Couronne d’une « résidence de prestige » avec vue sur mer pour « quelques privilégiés », dans une ville communiste, même la droite s’en émeut ! Comme chantait Bashung : « Oh Gaby… »

#SOS RAVI !

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Du mercure à la récré !

Autre sujet dont n’a pas voulu parler le maire de Martigues : la pollution. Pourtant, c’est son élu à la santé Patrick Courtin qui soulève le lièvre : d’après Atmosud, il y a depuis mars des pics de mercure près de l’école de Lavéra ! Alors que Kem-One est en train de démanteler les installations utilisant ce composant, l’élu, par ailleurs médecin, interpelle les services de L’État, l’ARS (Agence régionale de la santé) et même le ministère. L’ARS répond que, faute de « seuil » ou de « valeur limite », la surveillance n’a guère qu’un « intérêt environnemental », tout en reconnaissant que « le mercure n’étant pas un élément constitutif normal chez l’homme, il doit être le moins présent possible ». Cet été, le sous-préfet a promis une réunion voire une étude.

Soupir d’un autre élu martégal, Franck Ferraro, par ailleurs délégué chez Kem-One : « J’en ai entendu parler. Les niveaux doivent être moindres que lors des phases de production. Et l’on pourrait produire plus propre. Mais pour ça, il faut investir. Et là, ce n’est pas ce qui se profile… » Kem-One va être revendu à un fonds américain. En tête, la saillie de l’ancien maire PCF de Gardanne, Roger Meï : « Tant que ça fume, ça veut dire qu’il y a du boulot »…

S. B.