« Nous sommes face à un choix de société »

mai 2016 | PAR Michel Gairaud
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Entretien en partenariat avec Radio Grenouille
Ingebord Bonte (CGT), Alain Barlatier (FSU), Alain Comba (FO) et Jean-Marc Robert (Solidaires), invités de la Grande Tchatche

Manifs « saute-moutons », grèves tournantes, blocages, le mouvement social contre la loi travail cherche toujours son mode d’action…

Jean Marc Robert (Solidaires) : La situation des salariés et des familles n’est pas rose. En Paca, en comptant tout le monde, 27 % des actifs sont privés d’emploi. Donc demander aux gens de partir en grève illimitée n’est pas toujours faisable. Au fur et à mesure cependant, le mouvement s’amplifie et s’installe dans la durée. L’intérêt, c’est que le peuple continue à montrer sa désapprobation. Même si c’est irrégulier, il faut continuer.

Pourquoi les syndicats n’ont pas réuni autant de monde que lors des grands défilés contre la réforme des retraites en 1995 par exemple ?

Alain Comba (FO) : La période économique est difficile, cela freine la possibilité de mobiliser. Mais il faut arriver à convaincre et à recueillir le sentiment des salariés. Cette loi remet en cause des tas de choses dans le code du travail, elle limite le pouvoir des syndicats dans les entreprises, elle est mauvaise pour l’économie… Et elle n’a même pas été négociée ! La moindre des choses aurait été d’inviter toutes les organisations à se mettre dès le départ autour d’une table…

Que répondez-vous aux médias qui affirment que la CGT se « radicalise » après avoir tourné le dos au « syndicalisme rassemblé » ?

Ingeborg Bonte (CGT) : On ne se radicalise pas, on essaie juste d’avoir la réponse nécessaire pour faire bouger les choses. Face à un gouvernement qui se dit de gauche et qui fait pire que ce que la droite aurait rêvé de faire, on est obligé de réagir. Après, chaque organisation prend ses responsabilités. C’est surtout l’unité des travailleurs qui est aujourd’hui en construction. Ils ont conscience que ce n’est pas juste une question de loi : nous sommes vraiment face à un choix de société dont les travailleurs ne veulent pas.

Des mouvements comme Nuit Debout sont-ils une chance pour le syndicalisme ou bien expriment-ils des attentes auxquelles ne répondent pas les syndicats ?

Alain Barlatier (FSU) : Il y a vraiment une aspiration au débat dans la société qui ne trouve pas de réponse d’un point de vue institutionnel. Nuit Debout vient de là et nous ne pouvons qu’encourager ce phénomène – que l’on a vu surgir en Espagne, en Grèce, dans les pays arabes – en participant à ces assemblées. Mais ça nous pose aussi en effet des questions. Car si ces personnes sont favorables au fait syndical, elles ne se ne retrouvent pas forcément dans les syndicats… Elles cherchent une voix. Notre objectif est de favoriser une convergence vers ces nouvelles expressions.

Vos organisations doivent-elles se réinventer pour conquérir les nombreux déserts syndicaux qui demeurent en France ?

A. C. (FO) : Je suis d’abord mandaté pour défendre les intérêts particuliers des salariés mais comme je suis pour la démocratie, ces mouvements spontanés ne me gênent pas. Des déserts syndicaux ? Mais quel est le fada qui peut croire que c’est facile de se syndiquer ? Un exemple : une camarade d’une banque est venue me voir hier. Elle a un deuil dans sa famille. Qu’a fait son supérieur ? Il a essayé de l’enquiller par des moyens dégueulasses. Avec le syndicalisme, tu joues souvent ta vie de salarié ! Et personne ne te donne de médaille.

Il y avait beaucoup de lycéens et d’étudiants au début des mobilisations contre la loi El Khomri. Comment expliquer qu’ils aient été ensuite moins nombreux ?

A. B. (FSU) : Ce mouvement a beau être le plus important depuis la réforme des retraites de 2010, il a tout de même ses limites. Et l’une d’entre elles, c’est que la jeunesse ne s’y est pas retrouvée, comme elle a pu le faire en 2006 lors de la contestation du CPE. Les étudiants ne sont pas très nombreux, les lycéens l’ont été à un moment donné mais ça n’a pas tenu… Un des enjeux, ce n’est pas de syndiquer les jeunes, mais au moins de discuter avec eux.

Le service d’ordre de la CGT n’a-t-il pas été trop musclé avec les jeunes et ceux qui expriment parfois avec violence leur colère aux marges des défilés ?

I. B. (CGT) : On trouve dans les cortèges une toute petite minorité violente dans laquelle il n’y a d’ailleurs pas que des jeunes. La CGT a toujours veillé à ce que les manifestants partent et rentrent tranquillement. Donc quand on se prend des pierres, on essaie d’écarter ceux qui les lancent pour qu’il n’arrive rien aux travailleurs qui défilent. En aucun cas, nous n’avons commis d’agression, nous avons toujours agi pour nous protéger.

Alors qu’on parle beaucoup des casseurs, Solidaires a choisi de faire parler les « cassés » face à la multiplication des violences policières.

J-M. R. (Solidaires) : La violence policière a fait un blessé chez nous : quelqu’un s’est pris un fumigène dans la gorge. On a aussi eu le pare-brise de notre camion fissuré par un tir tendu à hauteur d’homme qui aurait pu faire un mort… Cette surdimension de la réaction policière témoigne de la nervosité des forces de l’ordre. Elle exprime surtout le désarroi du gouvernement qui ne sait plus comment procéder face à une colère aujourd’hui unanime. Dans les manifestations, il n’y a pas que des syndiqués. Il y a aussi des gens de la rue qui veulent marquer leur désapprobation contre cette loi complètement rétrograde socialement et catastrophique économiquement.

Alors que le président et son Premier ministre disent ne pas vouloir céder, comment on sort de cette situation ?

A. B. (FSU) : La façon d’en sortir, c’est que le gouvernement convienne qu’il n’y pas de majorité autour de ce projet de loi dans ce pays. Ni dans l’opinion publique, ni chez les salariés, ni à l’assemblée. Un tel entêtement suscite nécessairement des réactions de la part des principaux intéressés. Il faut donc un recul du gouvernement et l’ouverture de discussions.

J-M. R. (Solidaires) : A la limite, vu comme il a été bafoué, peu importe le calendrier parlementaire ! On a connu d’autres cas de figure avec des lois qui avaient été votées mais qui n’ont jamais été décrétées.

Pourquoi la question de la hiérarchie des normes cristallise-t-elle le débat ?

A. C. (FO) : Si on enlève les accords de branche, qu’est-ce qu’il se passe ? Vous laissez les salariés de l’entreprise tous seuls face à leur employeur pour négocier un accord d’entreprise. Prenons l’exemple des heures supplémentaires. Au lieu de les majorer à 25 %, certaines entreprises vont les négocier à 5 %. Que fera alors l’employeur de l’entreprise concurrente ? Il descendra aussi à 5 % ! Et si on continue comme ça, on va nous faire travailler plus sans nous payer…

I. B. (CGT) : Dans la loi Macron, il y avait déjà l’idée que le salarié pouvait négocier son contrat directement avec son employeur. On oublie donc pourquoi en 1906 a été mis en place le code du travail. C’était pour protéger le salarié car on savait qu’il n’avait rien pour se défendre ! Il y a encore des pays où existent ces conditions de travail sans aucune protection pour les travailleurs. Personne ne les envie et économiquement, tout n’y est pas non plus merveilleux !

Propos recueillis par Michel Gairaud et mis en forme par Louis Tanca