« La solution ne tombera pas d’en haut ! »

décembre 2016 | PAR Michel Gairaud, Rafi Hamal
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Entretien en partenariat avec Radio Grenouille
Mohamed Bensaada, Alain Fourest, Mathieu Laurentin, militants, invités de la Grande Tchatche
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Votre réaction face à l’état d’urgence et au climat sécuritaire, illustré par la garde à vue de militants marseillais d’Attac ?

Mathieu Laurentin : En amont de la COP 21, Attac et d’autres associations ont réquisitionné 196 chaises dans les banques, autant que les pays qui ont siégé pendant le sommet sur le climat. C’est une manière symbolique de dire que l’argent pour la transition énergétique et sociale est bien là, planqué dans les banques et les paradis fiscaux. Le 15 janvier, la police est venue nous (Mathieu Laurentin et Antoine Richard) chercher à la maison à 9 heures. Et nous avons été placés en garde à vue jusqu’à 17 heures suite à une plainte de la BNP. Mais on s’y attendait car cela fait partie de la désobéissance civile. Il peut y avoir un procès. Toutes les chaises ont été montées à Montreuil pour un contre-sommet afin que les militants altermondialistes puissent rappeler les dégâts de l’évasion fiscale…

Alain Fourest : Adhérent de la Ligue des droits de l’Homme, je suis contre la prolongation de l’état d’urgence même si l’opinion publique semble l’apprécier. Elle génère une réduction dramatique de nos libertés. L’état d’urgence devrait être décrété pour l’emploi. A Marseille, le vrai problème c’est le chômage. Le différentiel qui se creuse entre les quartiers de la ville est extrêmement grave. J’accuse les responsables politiques, Jean-Claude Gaudin en premier lieu, d’être redevables du taux de chômage des jeunes dans les banlieues. La moitié des emplois à Marseille sont publics. L’État avait décidé qu’il fallait employer positivement, de façon ségrégative, les personnes issues des quartiers pour réduire ce différentiel. Cela n’a pas été fait ! Et puisqu’on parle de la BNP, demandons-nous si elle a pour objectif, elle aussi, de créer un minimum d’emplois dans les quartiers…

Mohamed Bensaada : L’état d’urgence participe de la théâtralité de l’élection de 2017. Tous les outils légaux, en termes de justice et de police, étaient présents pour répondre au terrorisme. Mais un « super François Hollande » s’est paré des attributs du grand guerrier à l’image de ce qu’a fait Bush en 2001. C’est inefficace et cela favorise la discrimination au faciès : j’ai déjà été contrôlé trois fois ! L’État d’urgence a-t-il pour objectif de répondre à une menace ou bien d’emmerder la population la plus basanée de ce pays ? Concernant l’idée de discrimination positive pour l’emploi, même si le principe me pose toujours problème, je suis forcé de l’approuver tellement la société est verrouillée, cadenassée. Il faut tout essayer pour ramener un semblant d’égalité. Un membre du Collectif des quartiers populaires de Marseille, après de brillantes études est le seul de sa promotion, dont il était pourtant major, à ne pas avoir décroché un emploi !

L’abstention a battu à nouveau des records aux dernières régionales, notamment dans les quartiers populaires. Tous les politiques sont-ils à rejeter ?

M. B. : Au-delà des personnes, c’est la représentation dans le conscient et l’inconscient collectif qu’il faudrait changer ! Dans les quartiers populaires, il y a des tas de militants qui auraient pu accéder à des responsabilités, à commencer par les exécutifs municipaux, et contribuer ainsi à changer la situation. Nous n’assistons pas à une lutte des classes ou des races mais à une lutte des places : une fois que les élus ont accédé à une fonction, ils ne veulent plus la quitter. Cela pose la question de la professionnalisation de la politique, du cumul des mandats…

A. F. : On ne peut pas se réjouir de la déliquescence des partis politiques. Ils sont indispensables à la démocratie. Mais à Marseille, Jean-Claude Gaudin a été élu avec moins de 20 % dans son arrondissement. Le système électoral marseillais est totalement pervers. Un petit groupe d’amis autour du maire tient la mairie, la majorité, l’agglomération et maintenant la métropole. Souvent, les responsables politiques ne sont plus dignes de confiance. Dans les quartiers, la plupart des habitants en savent plus des réalités et des problèmes les concernant que leurs élus. C’est un vrai drame. Résultat : des centaines de milliers de personnes en ont ras-le-bol et ne votent plus.

M. L. : Je me suis abstenu aux élections régionales et c’était, je le reconnais, une position difficile à tenir lorsqu’une Marion Maréchal-Le Pen veut s’en prendre au Planning familial. Mais j’assume la politique du pire car le chantage au vote devient insupportable surtout après avoir été mis autant en porte-à-faux par François Hollande. Un jour, peut-être, je retournerai aux urnes si les règles du jeu politique changent, celles qui font que plus personne n’a confiance dans les candidats. Cela rejoint les longs débats sur une 6ème République.

Comment expliquer que seule l’extrême droite semble tirer profit de la situation ? Le FN lance maintenant en France des collectifs « Banlieue patriote »…

A. F. : Personne ne peut croire sérieusement que le FN et son idéologie inégalitaire va redonner un peu de dignité aux habitants de ces quartiers même si certains se laissent piéger. Le problème c’est qu’il n’y a pas de vraies alternatives. Dans les quartiers Nord de Marseille, où j’ai vécu, j’ai vu le Parti communiste se retirer peu à peu, le Parti socialiste utiliser le clientélisme à tour de bras. La déliquescence des appareils politiques rend réceptifs des gens aux discours démagogiques ou racistes. Et le FN s’emploie à souffler sur le feu pour aggraver les conflits. Pour le combattre, un rejet frontal ne suffit plus. Il faut informer sur les faux semblants du FN, un parti pompe à fric financé par la Russie.

M. B. : La grande majorité des gens des quartiers ne votent pas, le FN y reste ultra minoritaire. Stéphane Ravier a été élu parce que les mandats précédents ont été calamiteux en termes de clientélisme, de népotisme, de discrimination, de tout ce qui a éloigné et écœuré les gens de la politique. Le FN, qui refait la même chose concernant le clientélisme, est pour l’instant entravé par l’état de droit mais ils en changeront les règles dès qu’ils le pourront. Sous le costume du sénateur-maire FN, il y a toujours une chemise brune. Lorsque je lui ai dit « M. Ravier, je pense français, j’aime français, je mange en français, je rêve en français donc je ne suis pas moins français que vous », son ultime argument a été de répondre « oui mais moi je suis gaulois ». Pour eux, il y a Français et Français de papier. C’est pour ça que je suis totalement dévasté par cette histoire de déchéance de nationalité où Hollande joue le jeu du FN.

M. L. : Nous sommes un peu piégés car le fonctionnement de la 5ème République privilégiait déjà jusqu’ici deux partis, le PS et Les Républicains (ex-UMP), les seuls à pouvoir être élus, et que maintenant ils sont rejoints par le FN. C’est un échec pour la gauche du PS sur lequel nous devons nous interroger. Mais ce que fait chacun, au jour le jour, dans nos collectifs et associations a autant d’impact que le bulletin de vote qu’on met tous les 4-5 ans dans une urne. La solution ne tombera pas d’en haut : elle viendra par un travail quotidien et local pour inventer d’autres pratiques. Il faut aussi que les militants, notamment altermondialistes, sortent de l’entre-soi et travaillent plus avec les acteurs des quartiers populaires.

Propos recueillis par Michel Gairaud et Rafi Hamal, mis en forme par Guillaume Miraillet