« Le ventre encore fécond »

novembre 2021 | PAR Edwy Plenel
Edwy Plenel, le directeur de publication de Mediapart, partant d'une Une tirée des archives du Ravi, analyse les mécanismes qui favorisent le retour de l'extrême droite, de Le Pen à Zemmour.

Edwy Plenel

Directeur de publication de Mediapart

le Ravi n°117, avril 2014. Des gueules de bois électorales, c’est presque la norme en Paca. Les municipales en 2014 marquent un record en offrant huit mairies à l’extrême droite sous la bannière du FN. Et pour compléter le tableau, cumulards et barons locaux triomphent. De l’air !

« En épilogue de La Résistible Ascension d’Arturo Ui, satire de l’avènement du nazisme hitlérien, le dramaturge allemand Bertolt Brecht mettait en garde les générations futures : « Le ventre est encore fécond d’où a surgi la bête immonde. » Quand, en 1984, j’ai publié L’effet Le Pen, où j’affirmais, à rebours des vulgates médiatiques et politiques, ma conviction que l’émergence électorale de l’extrême droite serait durable pour des raisons spécifiquement françaises, je ne pensais pas devoir constater, trente-sept ans plus tard, la validité de cette prédiction, au-delà de l’imaginable.

Sous d’autres modalités et avec d’autres visages, les idéologies de l’inégalité naturelle qui sont le propre de cette famille politique ont désormais table ouverte, monopolisant le débat public, imposant leurs obsessions essentialistes, diffusant sans frein leur virulence raciste, au point de sérieusement imaginer être au pouvoir d’ici quelques mois. L’introduction du livre de 1984 s’intitulait « un certain état de la France ». En 2021, il nous faut regarder en face cette France pétainiste et maurrassienne qui, inexorablement, fait retour tandis que les forces qui devraient s’y opposer semblent paralysées, tétanisées et divisées.

« Des spectres du passé assombrissant notre présent afin de prendre possession du futur… »

D’où vient cette extrême droite qui revêt aujourd’hui les atours d’un éditorialiste porté, depuis tant d’années, par le cœur du système médiatico-politique, ses relais et ses réseaux, ses intérêts et ses clientèles ? Comment une telle mutation a-t-elle été possible ? Pourquoi ce qui semblait intolérable il y a quarante ans est aujourd’hui admis, célébré, consacré et reconnu ? Que s’est-il passé pour que le racisme le plus crasse, le sexisme le plus débridé, l’islamophobie la plus assumée, la xénophobie la plus grossière, l’homophobie la plus ordinaire, sans compter l’antisémitisme le plus ancien, aient ainsi réussi à faire retour, tels des spectres du passé assombrissant notre présent afin de prendre possession du futur ?

La réponse ne tient pas à l’extrême droite elle-même, que ses représentants se nomment Zemmour ou Le Pen. Elle se trouve du côté de tout ce qui n’a cessé de lui faire la courte échelle en acceptant son agenda, en relayant ses obsessions, en surenchérissant à ses exigences. Depuis quatre décennies, à gauche comme à droite, les politiques de gouvernement ont emprunté le chemin ouvert sous la présidence de Mitterrand, résumé par la formule de Fabius : de bonnes questions, mais de mauvaises réponses. Immigration, islam : ces deux mots n’ont cessé d’être le refrain épousé par des gouvernants qui, en adoptant les priorités de l’extrême droite, prétendaient la combattre.

Au final, ils n’ont fait que la renforcer, la cautionner et la créditer. La seule digue solide contre ces idéologies meurtrières de l’inégalité des humains, des origines, des civilisations, des cultures ou des nations, c’est l’édification d’un imaginaire concurrent, d’égalité et de fraternité, celui d’une République vraiment démocratique et sociale. L’inverse du renoncement dont nous payons chèrement le prix. Et dont le Ravi reste l’antidote. »

Pour fêter le 18e anniversaire du Ravi, de grands témoins commentent des Unes marquantes ou des rubriques emblématiques dans le 200ème numéro du régional pas pareil qui ne baisse jamais les bras…