« Ne menons pas que des batailles défensives ! »

mai 2018 | PAR Michel Gairaud, Rafi Hamal
Écoutez l'émission:
Entretien en partenariat avec Radio Grenouille
Jérémy Bacchi, secrétaire départemental du PCF 13, invité de la Grande Tchatche

Avec la « convergence » entre syndicats et mouvements politiques n’y-a-t-il pas un risque de confusion ?
J’ai rendu mes mandats syndicaux depuis mon élection en tant que secrétaire départemental. C’est fini le temps où la CGT était la courroie de transmission du PCF. Mais, aujourd’hui, des organisations syndicales font le constat qu’en l’absence de perspectives politiques crédibles, réalisables pour l’ensemble des travailleurs, les luttes syndicales qu’ils organisent dans les entreprises sont parfois en proie à des difficultés faute d’espoir et de perspectives. Chacun doit jouer son rôle en toute indépendance. Les organisations syndicales d’un côté et, de l’autre, les partis politiques. Ceux-ci ne doivent pas simplement soutenir les luttes mais aussi assurer un apport idéologique en faisant des propositions.

Qu’est-ce qui se joue politiquement autour des cheminots ?
Le gouvernement a fait de la question de la SNCF un véritable symbole parce qu’il considère que c’est l’un des derniers gros bastions de résistance sociale et syndicale dans ce pays. Mais les symboles peuvent être extrêmement dangereux pour ceux qui les manient : ils peuvent se retourner contre eux… Si nous gagnons avec les cheminots, nous serons aussi en capacité d’aller chercher le progrès social, et pas simplement de mener des batailles défensives pour défendre des acquis qui datent déjà de nombreuses années.

Est-il possible, comme c’est parfois le cas avec mai 68, de regarder ailleurs que dans le rétroviseur ?
La résignation naît aussi de l’accumulation de défaites… ou de celle de batailles uniquement défensives. Au point d’avoir l’impression, par moment, que nos organisations de progrès se transforment en organisations conservatrices. Ma manière de dire ça est un peu provocante ! Mais dans une société où vous avez près de six millions de chômeurs, neuf millions de Français qui vivent en-dessous du seuil de pauvreté, le statu quo n’est pas acceptable. L’essence même d’une organisation politique comme la nôtre, d’une organisation révolutionnaire, c’est de transformer le réel. Il s’agit effectivement de parer les mauvais coups que veulent nous faire les gouvernements successifs mais, en même temps, d’être en capacité de proposer un nouveau modèle de société.

Les Insoumis ne font-ils pas de l’ombre au groupe communiste à l’Assemblée nationale ?
Malgré tout, le groupe communiste à l’Assemblée nationale est beaucoup plus visible par rapport à la précédente mandature avec onze députés dont huit nouveaux, ainsi qu’un rajeunissement certain. Il y a Pierre Dharréville, le député de la 13ème circonscription des Bouches-du-Rhône, mais aussi Elsa Faucillon, jeune députée de Gennevilliers, Fabien Roussel, Sébastien Jumel, et d’autres parlementaires qui font un véritable travail de fond. Certes, on n’est pas aussi visibles que la France insoumise. Mais ce n’est pas faute de vouloir passer sur les grands médias nationaux ! C’est un déni de démocratie du service public de refuser une invitation au PCF comme l’a encore fait, en mai, France 2 pour L’Emission politique.

Vos élus ne devraient-ils pas tomber un peu plus leur cravate pour mieux se faire entendre ?
André Chassaigne, le président du groupe PCF, est un homme de terrain, capable, en plus de tomber la cravate, de mettre des bottes dans sa circonscription du Puy-de-Dôme. Il y a bien sûr des réflexions à avoir sur l’utilité du « buzz ». Mais lorsque la recherche de coup médiatique se substitue au fond et, finalement, à l’argumentation des organisations, c’est parfois dommageable.

Même si les Bouches-du-Rhône restent l’un des départements où le PCF est le mieux implanté en France, les maires communistes prennent de l’âge, des villes ont été perdues. Comment redynamiser ?
Je n’ai pas accepté ce poste de secrétaire fédéral pour gérer l’existant. Et je suis convaincu que le PCF est en capacité de porter les aspirations du plus grand nombre. J’ai, y compris pour les municipales de 2020, de grandes ambitions. Je ne me résigne pas, par exemple, à la perte d’Aubagne. Ça a été dramatique pour le parti, mais beaucoup plus encore pour l’ensemble des Aubagnais-e-s avec la fermeture de la MJC, la chasse aux organisations syndicales, des choix municipaux de plus en plus contestables – on parle aujourd’hui de revenir sur la gratuité des transports en commun alors qu’il faudrait les développer pour lutter contre les émissions de gaz à effet de serre ! Il y a des choix derrière les organisations politiques. Et ils impactent frontalement les populations qui ont à les subir.

Vous êtes un militant des quartiers populaires où vous vivez au nord de Marseille. Comment réagissez-vous aux annonces d’Emmanuel Macron sur les banlieues ?
Une réaction sur quoi ? Pour l’instant le président Macron n’a rien proposé. En réalité, la seule vraie annonce qu’il a faite, c’est moins d’argent public pour développer les banlieues. Aujourd’hui, dans les quartiers populaires, on souffre avant tout de la désertification du service public et de proximité. Pourtant, le vivre-ensemble n’est possible que s’il y a des lieux de rencontre, d’échanges.

Le président a annoncé la création d’une agence nationale de cohésion des territoires. Un point satisfaisant ?
Compte-t-il ouvrir des postes, des hôpitaux de proximité ? J’en doute fortement. Et lorsque le président déplore la violence dans les quartiers, de qui se moque-t-on ? Car il dit aussi vouloir supprimer 120 000 emplois de fonctionnaires. Mais lesquels ? Les policiers, les infirmiers, les douaniers ? Ceux qui peuvent faire des investigations, des contrôles sur le trafic d’armes, de drogues, dans une ville comme Marseille, sur le port ? C’est du foutage de gueule !

Une alliance communiste-insoumis gouvernant Marseille, ville populaire, est-ce un scénario réaliste ?
A Marseille 25 % de la population vit sous le seuil de pauvreté et pourtant elle a un maire de droite depuis 23 ans. Une unité la plus large possible à gauche pourrait faire changer de bord la ville. Nous, communistes, on y travaillera. Nous allons, dans les jours, qui viennent faire parvenir vingt propositions sur quatre sujets thématiques différents qui doivent servir de base de discussion à l’ensemble des forces de progrès…

L’avenir du PCF va-t-il se jouer, dans six mois, lors du congrès extraordinaire ?
Ce congrès est avant tout extraordinaire à cause de sa conception : plutôt que d’avoir un texte proposé par une direction nationale sortante, on a, pendant un an, consulté l’ensemble des communistes pour faire remonter les contributions. On renverse finalement la pyramide : les orientations ne viennent plus d’en haut mais les militants se les approprient clairement. J’y vois donc plutôt un congrès de la reconquête. Alors que beaucoup disent que les partis sont obsolètes, ils essayent tous d’en structurer un. Bien entendu, dans un monde qui bouge aussi vite, on a besoin de souplesse. Il faut donc inventer des structures, à côté des partis, qui puissent rassembler des citoyen-ne-s. Mais il y a de la place pour le PCF dans un pays où les inégalités sont de plus en plus criantes.

Propos recueillis par Michel Gairaud, Rafi Hamal et mis en forme par Raphaëlle Denis

Portrait

Lorsque Jérémy Bacchi adhère aux Jeunesses communistes, en 2002, il a seulement 16 ans. Fils d’une mère kabyle et d’un père d’origine italienne, depuis les quartiers nord marseillais où il a grandi, il tombe très jeune dans le bain du militantisme. Pour ses 20 ans, il est déjà secrétaire de section du 13ème arrondissement et membre de la direction départementale du PCF. Après des études d’histoire, il entre dans une école d’assistant social.

Embauché dans une entreprise sociale intervenant auprès des handicapés, il adhère à la CGT, à 24 ans, où il devient… délégué syndical. Rien d’étonnant, alors, qu’âgé à peine de trente ans, en 2016, il siège déjà à la direction nationale du PCF et au bureau de la puissante union départementale CGT des Bouches-du-Rhône. Et lorsque Pierre Dharréville est élu, l’an dernier, député à Martigues, c’est presque naturellement qu’il lui succède à la tête de la fédération PCF du « 13 ».

Elle se porte un peu mieux que la fédération locale du PS qui peine à se reconstruire sur un champ de ruines. Mais avec l’arrivée à Marseille du tonitruant Mélenchon, avec l’effritement des bastions du communisme municipal, avec le « à droite toute » du macronisme en marche, l’horizon n’est pas vraiment radieux.

Ses adversaires affirment que, sous ses airs de jeune premier et ses allures de gendre idéal, Jérémy Bacchi est un apparatchik hors d’âge. Mais ses amis comptent sur lui pour insuffler une dynamique nouvelle en 2018, celle d’un bras de fer social de grande ampleur et d’un congrès extraordinaire. Le PCF y joue son avenir.

Imprimer