"C'est la politique de la préhistoire"

janvier 2011 | PAR Michel Gairaud, Rafi Hamal
Écoutez l'émission:
Entretien en partenariat avec Radio Grenouille
Christophe Masse, conseiller municipal (PS) de Marseille, invité de la Grande Tchatche

Êtes-vous un héritier en politique ?
Lorsque j’ai été élu parlementaire, mon père, Marius, ne m’a pas cédé son mandat. On cède les fauteuils dans les dynasties, on s’y passe le pouvoir de père en fils. En politique, il y a une élection. On la gagne ou on la perd. J’ai souvent gagné, j’ai aussi perdu.

S’appeler Masse, c’est devenu un poids, un anachronisme en 2011 ?
C’est un avantage de s’appeler Masse. Mais les méthodes de travail ont changé. Je ne peux pas me contenter de me revendiquer du bon bilan de Jean, mon grand-père, ou de Marius. A moi d’apporter, au 21ème siècle, avec d’autres méthodes, dispositifs, une plus-value.

Une même famille aux commandes au même endroit si longtemps, n’est-ce pas malsain ? On prête aux Masse une solide tradition clientéliste…
Les militants PS de mon canton ont jugé que j’étais le mieux placé… Mais qu’est-ce que le clientélisme ? Si c’est passer régulièrement dans des quartiers parfois difficiles, y faire des permanences, parfois dans une arrière-salle de bar, pour aider les électeurs à résoudre leurs problèmes, alors oui je suis clientéliste ! Si c’est dire « viens me voir pour avoir un emploi », alors je ne le suis pas. D’abord, parce qu’il n’y a plus d’emplois, ensuite parce qu’on ne peut plus au 21ème siècle obtenir de passe-droits…

Pourquoi ne pas vous présenter ailleurs pour changer d’air ?
Je suis né dans un quartier, j’y habite, je ne peux pas concevoir de m’engager ailleurs même si on me dit : « Pars à Cassis, à la Ciotat, là-bas cela va bien se passer, tu vas être élu maire. » Je ne suis pas un nomade de la politique. J’en connais certains qui ont déjà fait le tour des cantons de Marseille et qui cherchent toujours une piste d’atterrissage.

Valérie Boyer a gagné aux législatives en disant qu’elle n’était pas, comme vous, une professionnelle de la politique…
Je suis contre le cumul des mandats tout en pensant qu’il faut revendiquer d’être des professionnels de la politique. Avec les contraintes que connaissent aujourd’hui les élus, les compétences juridiques, techniques, comptables, sociales qui sont requises, on ne peut plus être député ou maire le soir, de 18 à 20 heures, quand on a fini son boulot.

Avec la mise en examen d’Alexandre Guérini, est-ce que cela va vous plomber d’avoir Jean-Noël à vos côtés ?
Certainement pas. Je m’attache aux faits. Jean-Noël Guérini est très attristé. Qui ne serait pas affecté par le fait que son frère passe Noël en prison ? Personne. Maintenant, le président du Conseil général assume avec professionnalisme ses responsabilités. Il démontre sa capacité à rebondir sans se lamenter. Pour le reste, évitons de tomber dans le délit de patronyme.

Les affaires judiciaires ont-elles un impact négatif au PS et dans les collectivités qu’il dirige ?
Nous avons de la chance de détenir trois exécutifs sur quatre à Marseille, le département, la région, la communauté urbaine. Trois hommes honnêtes avec trois caractères différents. Ils ont chacun des ambitions, des projets, de lourdes responsabilités et vivent leur exécutif de diverses manières.

Avec le système de co-gestion entre MPM, PS, et la ville, UMP, Marseille est-elle vraiment gérée ?
Je suis justement partagé sur cette gouvernance partagée. J’ai un peu l’impression que cela est parfois un frein. Néanmoins, depuis deux ans dans la communauté urbaine, nous apprenons un peu à vivre… en communauté. Hormis les guéguerres marseillo-marseillaises entre élus PS et UMP au sein de MPM, nous parvenons à travailler ensemble pour mutualiser des projets. Ce que j’expérimente en tant que co-président de la commission voirie circulation au côté du maire UMP de Cassis. Il y a deux temps : celui du combat, de la concurrence politique, et puis celui de la gestion où il faut que les meilleurs soient au bon poste. A la communauté urbaine, on a une bonne gestion, des compétences, des talents.

Êtes-vous favorable à une grande métropole ?
Nous voulons plutôt une métropole de grands projets, c’est-à-dire d’abord mettre en place une méthode, sur des projets structurants pour, petit à petit, emmener les maires à créer une aire métropolitaine.

Avec Marseille Provence 2013 et la culture, cette méthode ne semble pas évidente…
Avec Aix-en-Provence, nous faisons face à un problème de féodalité de territoire, à la politique de la préhistoire. Je voudrais qu’on ouvre les yeux sur l’avenir. L’aire métropolitaine passera inexorablement par Marseille et Aix que Gaudin ou Joissains le veuillent ou pas. Cela prendra simplement plus de temps avec une personne qui freine, à Aix, des quatre fers pour des questions de suprématie locale…

Pourquoi Dominique Strauss-Khan, que vous soutenez depuis longtemps, est-il votre candidat aux primaires socialistes ?
Avec lui, je trouve que se dessine l’esprit d’un socialisme du 21ème siècle. Il faut que nous brisions certains tabous. On ne peut plus, à gauche, être autistes sur des sujets importants comme la sécurité, le respect, la famille, l’éducation. Nous nous sommes volontairement tirés une balle dans le pied en disant ce sont des thèmes de droite ou d’extrême droite. Non, ce sont des questions de société qu’il faut aborder avec des réponses de gauche. Il faut aussi bien parler de répression que de la toute indispensable prévention. De façon que nous puissions vivre dans une société, non pas la plus juste, mais la plus apaisée possible.

Vous cédez à la tentation blairiste ?
Non, à la tentation d’une social-démocratie à la française. On ne peut pas freiner tout ce qui touche à la liberté d’entreprise. Par exemple des Jacques Saadé (PDG de la CMA-CGM qui inaugure son nouveau siège social, la tour la plus haute de la région), une grosse fortune, il en faudrait 50 sur Marseille ! Des têtes d’affiche, c’est ça qui crée de l’emploi, du dynamisme, de la croissance.

Parmi les tabous, est-ce qu’il faut briser celui de la retraite à 60 ans ?
Personne ne reviendra en arrière, ni Strauss-Khan, ni Aubry, ni Royal. Depuis des années, à chaque alternance on n’a vu aucun gouvernement revenir sur de grandes réformes.

Quitte à convaincre des électeurs que la seule alternative c’est Marine Le Pen puisque les autres font la même chose ?
Le regain de forme du Front national n’a qu’une seule cause : les mensonges de Sarkozy, ses propositions non tenues en terme de sécurité entre autre. Les gens qui votent FN se disent qu’ils ont été dupés, qu’on laisse des quartiers très difficiles avec le trafic de drogue, les voitures volées, les agressions qui se multiplient.

Faut-il être plus sécuritaire que Sarkozy pour séduire les électeurs ?
Il faut être plus efficace mais pas dans les discours : sur le terrain.