L'action pour "lever le doute" sur la légitimité

décembre 2019 | PAR Manu Riondé
A Toulouse, l'association Tactikollectif joue un rôle de tête de réseau pour les associations de quartier. Et a fait de l'émergence de la parole citoyenne un axe central de ses activités de soutien.

« Nous, les habitants, on sait ce qu’il nous faut. On n’a pas besoin de mille réunions. Il faut juste nous laisser la place et l’espace pour le faire. » Mercredi 23 octobre, dans la salle Ernest Renan du quartier des Izards, au nord de Toulouse, Yamina Aissa Abdi a su résumer en quelques mots cet enjeu majeur des luttes : « laisser la place » aux concerné.e.s. Et pour ce faire, commencer par leur donner la parole. La responsable d’Izards attitude, association créée en 2013, intervenait dans une table-ronde ouvrant la 16ème édition du festival Origines Contrôlées, organisé par le Tactikollectif. Ce soir-là, aux côtés de Mohamed Mechmache de Pas sans nous et du collectif ACLEFEU, de Tayeb Cherfi du Tactikollectif et de Frédérique Kaba de la Fondation Abbé Pierre (Fap), Yamina a pris la parole pour dire la situation de ces « quartiers durs, à l’abandon, où il faut s’entraider ».

Affirmer la légitimité des habitants

Créé en 1997, à la suite de l’association Vitécri (1982), matrice de l’aventure du groupe Zebda, le Tactikollectif (1) fait office de tête de réseau pour les associations de quartier toulousaines. « Dans notre histoire associative, cette préoccupation de l’émergence de la parole est venue très vite, explique Salah Amokrane, son coordinateur général. L’idée est que les personnes concernées par les sujets de débat public doivent pouvoir donner leur point de vue et leur version des faits. On ne prétend pas détenir la vérité, on n’est pas sectaire, mais on veut se faire entendre. Et il s’agit d’affirmer cette légitimité non seulement aux yeux des pouvoirs publics et des institutions mais aussi des personnes elles-mêmes. Vu les rapports de domination sociale, c’est un enjeu important de renforcer les gens. »

Désormais lesté d’une longue expérience de terrain (organisation d’événements culturels, de rencontres, investigation du champ politique, participation à des collectifs, etc.) le « Tacti » a fait le choix d’en faire profiter des structures émergentes. « On s’appuie sur notre expérience, notre poids et notre notoriété pour essayer de lever ces doutes que les gens ont sur leur légitimité, à cause de l’autocensure et de l’institutionnalisation des rapports, résume Salah. Concrètement, au départ, ce travail d’accompagnement passe toujours par la technique, un peu comme un écrivain public… Il faut répondre aux besoins élémentaires. » Déposer des statuts, entamer un dialogue avec les institutions, monter un dossier, etc. Le Tactikollectif travaille régulièrement avec la Fap. « On la sollicite notamment pour être présente dans cette fonction d’accompagnement, de soutien, de mise en relation. On fait de l’intermédiation, pour aider une petite association à se rendre à une réunion avec la mairie, par exemple. On vient avec les bonnes clefs, les bons codes. » Acteur connu, le Tactikollectif peut aussi apporter « une forme de garantie. Au besoin, on peut être un interlocuteur juridique et/ou moral. Parce que, de fait, on a du crédit et du poids ».

Se coltiner le réel

Fournissant un appui au montage de microprojets, comme la relance d’un club de boxe dans le quartier, l’association veut aussi faciliter les liens et les partages d’expériences entre organisations. « En 2016, le Tactikollectif nous a mis en contact avec d’autres acteurs, notamment Zouina Medour du Blanc-Mesnil, en Seine-Saint-Denis et les parents du Petit-Bard à Montpellier, raconte Yamina de Izards attitude. Ces programmes de rencontre, financés par la Fap, ont compté pour nous. Le voyage à Paris a été une vraie bouffée d’oxygène… » Trois ans plus tard, le lien perdure : le 28 septembre dernier, les mêmes étaient aux Izards pour une journée d’échange en vue de préparer les 3èmes États Généraux de l’Éducation dans les Quartiers Populaires prévus à Stains (Seine-Saint-Denis) les 29 et 30 novembre. Entre temps, Izards attitude a récupéré un petit local et s’est affirmée comme une association pivot du quartier.

« L’idée majeure c’est de faire passer le message qu’il n’y a pas mieux que toi pour prendre cette initiative puisque tu en as envie, résume Salah Amokrane. Tu peux le faire ; tu es légitime ; une fois que tu l’as fait, tu es encore plus légitime. Et tu dois l’être aux yeux des gens qui sont concernés en démontrant ton utilité, il ne faut pas faire les choses “pour de faux”… »

Se coltiner le réel, un leitmotiv : « Là où on a eu un rôle important, rajoute-t-il, c’est que quand tu fais une exposition, que tu te présentes aux élections ou que tu lances un journal, tu montres que c’est possible. Il y a ce côté inspirant : le plus efficace, ce n’est pas de dire mais de faire. »

« Faire » en partant toujours de la base, comme l’a souligné Frédérique Kaba, directrice des missions sociales de la Fondation Abbé Pierre, le 23 octobre à Toulouse : « Tricoter des solutions avec les habitants, c’est accepter de faire un pas de côté par rapport à certains dispositifs existants. Pour nous c’est essentiel : il s’agit de repartir du diagnostic et des compétences des habitants. »

1. Le Tactikollectif est le porteur associatif du média en ligne Chouf Tolosa (www.chouftolosa.info) dont l’auteur de cet article est un co-coordinateur.