« Il y a un sentiment d’abandon de la République »

décembre 2018 | PAR Michel Gairaud
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Entretien en partenariat avec Radio Grenouille
Marc Vuillemot, maire de la Seyne-sur-Mer et président de l’association « Villes et banlieues », invité de la Grande Tchatche.

le Ravi : Avant de s’adresser aux français, le 10 décembre en pleine crise, Macron a réuni 37 personnes (présidents des assemblées, dirigeants syndicaux…) dont 9 représentants du territoire. Vous en étiez. Comment avez-vous perçu le président ?

Marc Vuillemot : J’ai senti un homme très préoccupé, qui avait en même temps besoin d’être à l’écoute. Jusqu’alors, nous avions été, en tant qu’élus locaux, singulièrement méprisés par cette nouvelle forme du pouvoir très vertical. J’ai l’impression qu’il a senti qu’il fallait en finir avec ce mode de relation, pour s’appuyer sur les communes afin d’organiser une concertation citoyenne.

Pour tenter de renouer avec le pays, Macron a annoncé un tour de France des maires. Sont-ils vraiment à l’écoute des citoyens ?

Voilà un gouvernement qui n’a eu de cesse de minorer le rôle des communes, de réduire leurs compétences, de les inciter, voire les forcer, à la coopération intercommunale et qui, aujourd’hui, se rappelle que les positions avancées de la République, au plus près des citoyens, eh bien ce sont les élus locaux ! S’il en a le tempérament et s’il le souhaite, un maire peut trouver les formes de la relation à ses concitoyens. Nous sommes d’ailleurs le réceptacle de beaucoup de récriminations, y compris sur des sujets qui ne relèvent pas de la compétence communale…

Les mesures annoncées par l’Élysée n’arrivent-elles pas trop tard ?

C’est insuffisant, presque mensonger. Il s’agit d’une politique libérale et ce n’est pas ce que nos concitoyens attendent. Il y a autre chose à faire : augmenter l’ensemble des salaires, le point d’indice des fonctionnaires… J’observe que l’on a refusé de prendre l’argent là où on pouvait, en rétablissant par exemple l’impôt de solidarité sur la fortune. En attendant, il va falloir trouver les moyens de ces petits cadeaux, et il est fort probable que cela tende vers une fragilisation accrue du service public, alors qu’il est l’un des moyens de la régulation des inégalités.

Votre regard sur les gilets jaunes ?

Il faut se pencher sur les modalités de leur participation au débat : leur mouvement est un bel exercice pratique de démocratie réelle et concrète. Ces personnes sont dans une situation de détresse. Plus encore, il y a un sentiment d’abandon de la République, supposée protéger tous ses enfants.

Les taxes et les impôts, faut-il tout jeter ?

Il est important de distinguer la taxe de l’impôt : l’impôt est l’outil de la solidarité nationale. La taxe, elle, est identique pour tout le monde. Celle sur l’essence pèse autant pour un cadre supérieur que pour celui qui doit prendre sa voiture afin d’aller trouver un emploi. Sans l’impôt, on ne peut pas faire vivre l’édifice républicain.

L’écologie semble être sortie du champ. L’urgence sociale peut-elle primer sur l’urgence environnementale ?

Les gilets jaunes n’expriment pas un refus de contribuer à la transition écologique mais plutôt celui de l’accroissement permanent des inégalités. Ces deux urgences doivent absolument aller de pair : la « transition » dont il est question au ministère est à la fois « écologique » et « solidaire ». Mais un intitulé ne suffit pas.

Vous avez reçu des lycéens en lutte. Partagez-vous leurs revendications ?

Il faut parfaire le dispositif Parcoursup avec ce sentiment de ségrégation territoriale qui en émane. Quant à la réforme du baccalauréat, elle va générer des inégalités, notamment concernant l’accès à certaines options. A la vue des images humiliantes des adolescents agenouillés [par les forces de l’ordre à Mantes-la-Jolie], croyez-moi j’en avais gros sur la patate. Ce n’est pas pensable de faire comme çà.

Macron avait demandé à Borloo un plan Banlieue, aussitôt présenté, aussitôt enterré. La réaction du président de l’association des maires « villes et banlieues » ?

Voilà une autre humiliation que nous avons subie : le 22 mai dernier, le président a balayé d’un revers de main les propositions que nous avions construites pendant plusieurs mois à sa demande ! Je crois, par ailleurs, que la situation actuelle l’a amené à revoir sa lecture. Nous l’espérons en tout cas.

Le couvre-feu pour les mineurs à la Seyne-sur-Mer que vous avez déclaré suite à un règlement de compte meurtrier, ce n’était pas un petit peu « too much » ?

Un couvre-feu pris dans de telles conditions est totalement illégal : c’était un moyen d’interpeller la puissance publique sur l’absolue nécessité de se pencher urgemment sur les difficultés que nous rencontrons. Il faut mettre des mots sur des réalités : il est inexact d’indiquer que tous les quartiers prioritaires sont des zones de non droit. En revanche, il y a des zones de non droit dans ces quartiers.

Les quartiers populaires ont-ils besoin de plus de police de proximité ou de plus d’éducation et d’emplois ?

Il faut les deux concomittamment. Il est par exemple complètement anormal qu’un des quartiers prioritaires de ma commune ne soit toujours pas, onze ans après, considéré comme un réseau d’éducation prioritaire ! Il est également nécessaire d’avoir des éducateurs de rue. A l’inverse, à la Seyne, en l’espace de 5 ans, 50 % des postes d’éducateurs spécialisés ont disparu !

Dans un autre registre, qu’est-ce qui a déclenché votre départ, en octobre dernier, du PS ?

Je me questionnais depuis10 ans. En 2008, peu après le départ de Mélenchon, j’ai voulu m’en aller, mais je ne l’ai pas fait : cela aurait été difficile d’expliquer à mes concitoyens qui venaient de m’élire avec l’étiquette PS, que je m’en étais finalement servi seulement pour l’élection municipale. Mais congrès après congrès, départs après départs, nos idées les moins sociales libérales, les plus socialistes, au sens de Jaurès et d’autres, étaient de plus en plus minoritaires…

Pourquoi avez-vous écrit que la gauche française est toujours la plus bête du monde ?

En 2008 et en 2014 l’équipe qui s’est présentée au suffrage à la Seyne a été celle d’un large rassemblement de la gauche, depuis les radicaux jusqu’au NPA. Mon vœu le plus cher c’est que pour les échéances à venir, à commencer par les élections européennes, on avance un peu dans cette direction notamment face au danger de l’extrême droite qui va croissant. Mais il y a de quoi avoir quelques inquiétudes. Depuis que je suis acteur de la vie politique locale, je ne cesse de plaider pour la nécessité de travailler à des programmes communs. Et peu importe qui les porte !

Comment expliquez-vous l’écart entre vos positions assez frondeuses et une gestion plus consensuelle des rapports locaux, notamment avec l’omnipotent président LR de l’agglomération Toulonnaise, Hubert Falco…

Ce qui doit prévaloir, c’est l’intérêt du territoire : beaucoup d’enjeux en termes de redynamisation économique pour la métropole de Toulon se jouent sur la commune de la Seyne. Il est nécessaire que la puissance politique territoriale et donc métropolitaine puisse en créer les conditions. Il est donc de mon devoir de coopérer avec mes onze autres collègues, malgré nos divergences.

La réparation navale des yachts des très riches contribue à faire revivre votre ville après la blessure de la fermeture des chantiers naval. Que pense l’homme de gauche de cette ruse de l’Histoire ?

Les 150 années de construction navale à la Seyne ont forgé des savoir-faire, à la fois en matière de très haute technologie mais aussi de luttes sociales. Cela fait partie de notre patrimoine historique et humain. Mais ceux qui commandaient des bateaux à l’époque de la grande construction navale, c’était déjà des super-riches, de grands armateurs. Aujourd’hui, ce sont des propriétaires de yachts. Tant mieux si ça apporte du travail…

Propos recueillis par Michel Gairaud et mis en forme par Laura Alliche