« Rien n'est pire que la routine ! »

novembre 2017 | PAR Michel Gairaud, Rafi Hamal
Écoutez l'émission:
Entretien en partenariat avec Radio Grenouille
Jean-François Chougnet, président du Mucem et membre du comité artistique de MP 2018, invité de la Grande Tchatche

Marseille Provence 2018 sera-t-elle une capitale de la culture au rabais ?
L’idée n’est surtout pas d’écraser une petite larme et de faire un rappel nostalgique. Il s’agit d’essayer de rebâtir à épisode régulier, comme l’a fait Lille après 2004, des projets collectifs. Pas avec la même échelle que MP 2013, bien entendu, car une capitale européenne, on n’en fait qu’une fois dans la même ville.

MP 2018 est présidé par un ancien du Medef !
Oui mais personne n’est parfait et Raymond Vidil a ses qualités aussi ! C’est peut-être très spécifiquement marseillais mais quand on travaille avec les partenaires du monde économique, c’est beaucoup le cas au Mucem, on n’est pas, ici, dans des relations de marchandisation.

L’injonction à se tourner vers le privé est-elle soutenable pour les petites structures culturelles déstabilisées par la baisse des subventions publiques, la suppression des contrats aidés ?
Je partage le constat. Et on a beaucoup de mal à faire comprendre aux décideurs l’extrême fragilité de l’économie culturelle. Ils ont parfois l’envie d’appliquer de vieux schémas gestionnaires alors qu’ils ne marchent pas. Et s’ils marchaient, ils seraient dévastateurs ! L’idée qu’il y a trop d’offre culturelle me hérisse. C’est peut-être dérangeant, c’est vrai, pour un élu, un fonctionnaire d’une collectivité territoriale ou de la Drac, de voir arriver les projets par centaines alors qu’ils n’ont qu’un budget limité. Mais c’est la contrepartie de leur métier. Vouloir rationaliser tout çà, faire fusionner les uns avec les autres, cela ne marche pas.

Les retombées économiques des grands événements culturels, comme MP 2013, sont-elles vraiment prouvées ?
Quand on teste un médicament on en donne à 10 000 personnes et aucune substance à 10 000 autres puis on étudie la différence. Alors que vous ne pouvez pas construire un deuxième Marseille pour voir ce qui se passerait s’il n’y avait pas de culture. Scientifiquement les études sur les retombées économiques ne sont donc pas irréprochables. Mais il y a toujours trois effets : celui, direct, de l’argent investi et du public touché. Ensuite, il y a un effet de structuration, avec des équipements culturels. A Marseille cela a été particulièrement le cas. Reste enfin l’effet d’image : sa quantification est très mal aisée. Elle ne se voit qu’à très long terme. Le meilleur investissement de l’économie culturelle dans l’histoire de l’humanité ce sont les pyramides d’Égypte. Et probablement le ministère des finances des pharaons ne devait pas être très content…

Le comité artistique de MP 2018 rassemble les 15 grosses structures culturelles du département. Au risque d’une position hégémonique ?
Elles se sont interdites par une charte, un point sur lequel j’ai beaucoup insisté car c’est un peu la leçon de 2013, d’être à la fois juge et parti. Pour parler vulgairement, si vous êtes dans un comité d’orientation vous ne pouvez pas vous servir. C’est un mécanisme sain.

Que pensez-vous de la thèse d’une capitale culturelle cheval de Troie d’une gentrification de Marseille ?
J’ai vu La fête est finie, de Nicolas Burlaud et son film est plutôt plaisant. Le gros reproche c’est que la capitale de la culture a été un rouleau compresseur pour gentrifier, embourgeoiser la ville. J’ai posé à Nicolas cette question : « ne croyez vous pas qu’une partie des Marseillais serait favorable, quand on voit l’état de certains quartiers, à un tout petit coefficient de gentrification ? » Et j’ai bien aimé sa réponse : « vu sous cet angle, ce n’est pas faux. »

Alors que les portes du J1, ancienne vitrine de MP 2013, sont le plus souvent fermées, les terrasses du port restent ouvertes même le dimanche. Ce flamboyant centre commercial n’est-il pas le véritable héritage de la capitale culturelle ?
Vous tirez le trait, à moi de le faire dans l’autre sens ! Le parcours du public depuis le Mucem jusqu’aux terrasses du port n’est pas semé que d’une marchandisation à outrance. Mais ce risque existe à Marseille comme dans tous les pays du monde. Il faut y être attentif, trouver des gardes fous. Il a fallu quand même des vrais visionnaires pour imposer de la culture dans Euroméditerranée, au départ un simple programme immobilier d’affaires. J’espère que cette idée là continuera d’exister. Recréer un vrai centre ville à Marseille avec des outils culturels, ce n’est vraiment pas une démarche si habituelle…

Le Mucem, sur lequel la cour des comptes avait publié un rapport au vitriol, a-t-il trouvé son public ?
La fréquentation s’est stabilisée à 1,5 millions de visites par an, dont entre 500 à 600 000 visites pour les expositions. Et il ne faut pas séparer les choses. Le Mucem c’est plusieurs piliers : l’architecture de Ricciotti, unique et formidable ; le fort Saint Jean avec la réappropriation par le public d’un lieu qui avait toujours été fermé. Et c’est l’offre culturelle, les expos, mais aussi des conférences, des concerts…

A votre nomination, vous ne vouliez pas que le Mucem devienne un musée pour touristes. Objectif atteint ?
La fréquentation dans le site et les expos n’est pas différente sociologiquement, contrairement à ce que la cour des comptes laissait entendre. Il n’y a pas d’un côté un public populaire et touristique qui viendrait juste humer l’air du large derrière le béton fibré ultra performant et, de l’autre, un public d’exposition. 50 % des visiteurs proviennent de Paca dont 30 % de Marseille, seulement 17 % sont des touristes étrangers, 23 % l’été. Au Louvre on a 80 % de fréquentation étrangère…

Mais tous les marseillais franchissent-ils vos portes ?
Les quartiers suds sont surreprésentés par rapports aux quartiers nord. On le sait ! Sans faire du Bourdieu, il est clair que les barrières de départ sont éducatives, culturelles, sociales. Même si nous faisons un peu mieux que la moyenne nationale en matière de mixité sociale, on a encore énormément de boulot ! C’est un axe important. Toute une équipe du Mucem est dédié à ce travail.

La programmation du Mucem, à la fois un musée d’art et de société, avec des thèmes sur le foot, la photo, ne déstabilise-t-elle pas parfois ?
Si cela déstabilise, ce n’est pas pour me déplaire. J’assume. L’effet d’inattendu n’est pas un mauvais élément pour une institution culturelle. Rien n’est pire que la routine ! Le Mucem fonctionne sur trois piliers : des expositions qui explorent l’histoire et le présent méditerranéen, d’autres sur les mythologies contemporaines comme actuellement celle sur le roman photo, et enfin celles qui croisent les beaux arts et les arts populaires. Après Picasso, nous préparons en 2019 une exposition autour de Jean Dubuffet…

Un mot sur le premier budget de la culture de Françoise Nyssen ?
Il est en légère augmentation sauf pour l’audiovisuel public et, par les temps qui courent, c’est un bon résultat. Mais bien sûr que j’ai la nostalgie des années Lang ! Si je disais l’inverse, je serais un gros menteur. En même temps j’essaye de limiter l’effet vieux con, le « c’était mieux avant ». En euro constant, le budget de la culture est aujourd’hui tout à fait comparable à celui de 1981. Mais les marges d’innovation, d’action, l’aide aux structures intermédiaires, aux petites compagnies, sont devenues plus faibles. On parle de l’Etat mais avec les collectivités territoriales le raisonnement est le même. Le vrai débat politique n’est pas sur le montant de l’argent investi par les pouvoirs publics mais sur l’institutionnalisation du phénomène culturel…

Propos recueillis par Michel Gairaud et Rafi Hamal