La maison des possibles

janvier 2022 | PAR Jean-François Poupelin, Le groupe Petits frères de Marseille
Inaugurée en 2012 près de la gare Saint-Charles à Marseille, la pension de famille Labadié des Petits Frères des Pauvres accueille des personnes en grande précarité, parfois anciens SDF. Un projet ouvert sur le quartier qui permet aux résidents de se stabiliser et de retrouver de la sécurité dans leur vie.

Ce que l’on voit en premier, grâce à trois ouvertures, en entrant dans la salle commune dans l’immeuble de la rue des Héros de la pension de famille Labadié des Petits frères des pauvres, dans le premier arrondissement de Marseille, ce sont la terrasse en bois et le jardin en hauteur. « Une chance, pour Muriel Gloux, la directrice depuis l’ouverture en 2012. Ça permet au projet d’être ouvert sur le quartier et de favoriser le lien social. »

Si un jardin partagé va y être relancé, l’endroit sert d’abord aux habitants de l’immeuble. Philippe a installé son sac de boxe sous l’auvent de la cabane du jardin, André et Jeannot y cultivent leur passion pour le jardinage, Marie-Christine y nourrit les chats. « Souvent, je dis qu’une pension de famille c’est avant tout de permettre à des personnes qui ont eu des périodes de vie difficile d’obtenir un logement, de s’y stabiliser et d’être accompagnées », poursuit l’ancienne éducatrice.

La pension de famille Labadié accueille 27 résidents, dont 22 sur ses deux sites, place Labadié et rue des Héros, situés à une vingtaine de mètres l’un de l’autre derrière la gare Saint-Charles (1). Des hommes et des femmes de plus de 50 ans, à parité, parfois sans domicile et le plus souvent en grande précarité. Comme toutes les pensions qui ont été institutionnalisées en 2002, les bâtiments comprennent, outre les logements individuels avec cuisine et sanitaires, une salle commune et un bureau pour les salariés. Un petit groupe de bénévoles propose également des activités tout au long de la semaine, du partage d’un café au cinéclub.

Expérimentation sociale

A Labadié, les Petits frères expérimentent aussi. Rue des Héros, huit des dix-huit appartements sont occupés par des locataires de droit commun. Aussi exceptionnels que ses extérieurs, la pension bénéficie aussi d’une infirmière, d’un travailleur social pour l’accompagnement administratif et de deux animatrices. La première est chargée des activités des résidents, la seconde s’occupe du projet de jardin partagé et de faire le lien entre les personnes accompagnées et les autres locataires (2). « Même si ça peut être angoissant, le fait d’avoir un logement qui sécurise les lendemains et l’avenir, est une plus value. Le petit loyer permet aussi d’avoir une situation financière stable, explique Muriel Gloux. Des liens d’entraide et de solidarité s’installent aussi. La mise en place des soins et de l’accompagnement permet d’acquérir un équilibre, comme le fait d’avoir du temps. »

Des effets qu’Ali Bouafia, un septuagénaire d’origine algérienne accompagné à domicile par les Petits frères des pauvres, illustre par l’exemple de Jeannot, un ancien militaire, arrivé dans la pension il y a quatre ans : « Je l’ai rencontré deux ou trois fois [avant]. Il était complètement désespéré, même psychologiquement. [Aujourd’hui], il continue à faire des bêtises, mais il est utile et il est vraiment bien. » Paysagiste dans une association d’insertion, peintre amateur, Jeannot n’a en tout cas aucune envie de quitter la pension. « Ce qui me plaît c’est la tranquillité et les activités. Ici, j’ai oublié mes troubles post-traumatiques », assure le jardinier. Et d’insister : « Même si on me disait qu’ailleurs je ne paierais pas de loyer, je partirais pas ! »

Un cheminement qu’a aussi suivi Philippe Truffier. A 49 ans, cet ancien légionnaire au chômage, fan de l’OM et du chanteur Jul, explique avoir « arrêté l’alcool et les médicaments » depuis son installation il y a un an dans son studio meublé du 2e étage de la rue des Héros. Un appartement désormais envahi par ses appareils de musculation. Comme beaucoup, il y apprécie l’ambiance familiale. Son voisin Vincent Gargiulo, 82 ans, est devenu son ami : chacun matin, il va frapper à sa porte pour prendre des nouvelles. « Ce qui me plaît, c’est les moment qu’on n’a plus chez nous. Parfois, il y a des engueulades, mais ça se remet toujours », sourit l’ancien militaire.

Ambiance familiale

Une figure qu’utilise volontiers Marie-Christine Haeussermann, la « madame chat » de la rue des Héros, selon son expression. « J’ai perdu mon fils unique il y a quelques années et je me refusais d’être heureuse au moment des fêtes, raconte cette blonde d’une soixantaine d’années. Ici j’ai trouvé quelque chose,  un repas de noël, un petit cadeau, une ambiance aussi. Je me suis fait servir comme une princesse. J’ai revécu un Noël, et ça c’est important, où je ne me sentais pas trop seule. Ça m’a réconcilié avec moi-même. »

Pourtant, l’installation, la vie collective n’est pas toujours simple. L’accompagnement des Petits frères des pauvres non plus. Marie-Christine : « Avant j’étais indépendante, j’avais mon appartement et je vivais bien. Quand j’entendais parler des Petits frères, on parlait simplement de charité, de caritatif, il y avait une connotation péjorative. » D’autres renâclent un peu aux quelques règles de vie de la pension, ou s’agacent du bruit des autres locataires.

Sourire de Muriel Gloux : « Il y a peu de règles. A part l’autorisation pour héberger des gens, on demande juste le respect des biens et des personnes. » Et fin novembre, une rencontre avec tous les voisins de l’immeuble a permis de discuter et de se rencontrer.

1. Cinq autres personnes accompagnées sont logées dans des appartements en diffus.

2. Salariée des Petits frères, cette dernière ne fait pas partie de l’équipe de la pension.