« L'État seul ne peut pas tout »

janvier 2022 | PAR Le groupe Petits frères de Marseille
Plutôt qu'un plan « grand âge et autonomie » promis par Emmanuel Macron, la majorité présidentielle se contente de créer une cinquième branche "autonomie" de la sécurité sociale. Au risque de délaisser les plus fragiles. Une décision défendue par la députée des quartiers Nord de Marseille, Alexandra Louis (LREM, Agir), tout en reconnaissant la nécessité d’accompagner et d’en faire plus.

A la rentrée, Jean Castex, le premier ministre, a annoncé un « plan grand âge et autonomie ». Il a finalement été abandonné. Pour quelles raisons ?

Ça n’est pas le plan qui a été abandonné, c’est la loi cadre. Cela fait une décennie au moins que l’on parle d’un plan grand âge sur l’autonomie. C’est un enjeu parce qu’on vit mieux plus longtemps. Mais on n’a pas pu le faire pour des questions de calendrier, parce qu’on n’a que cinq ans et beaucoup d’impératifs.

Pour autant, on n’a pas laissé tomber le plan grand âge. On a créé la cinquième branche de la sécurité sociale sur l’autonomie – ce qui est quand même une avancée historique – avec un financement propre et qui pose les jalons de ce que l’on va pouvoir faire dans les années à venir. Deux aspects ont été abordés dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), comme dans le Ségur de la santé. D’abord l’aide à domicile, des métiers de cœur mais très mal payés, avec beaucoup de difficultés sociales, de charge mentale. Ils ont connu une augmentation salariale dans le cadre du Ségur de la santé, au même titre que l’indemnité des aidants familiaux, dont il faudrait aussi revaloriser les parcours dans le cadre de la réforme des retraites.

Dans le plan grand âge, il y a aussi le sujet des Ephad, dont il faut repenser le modèle parce que les personnes y entrent de plus en plus tard et de moins en moins autonomes, avec un besoin d’accompagnement médicalisé. Il y a eu une hausse des rémunérations dans le cadre du Ségur de la santé, mais comme pour l’aide à domicile il faut revaloriser les métiers, notamment sur les conditions de travail.

Dans la consultation citoyenne menée par le ministère chargé de l’autonomie cette année, une majorité de Français a répondu qu’il « faut aller progressivement vers l’abandon des EHPAD ». Qu’auriez vous répondu à cette question ?

Il ne faut pas imposer un modèle. Il faut aussi réfléchir dès maintenant à l’habitat des cinquante prochaines années, à l’adapter à l’évolution ou aux accidents de la vie. L’habitat inclusif ainsi que l’habitat intergénérationnel se développent aussi et c’est intéressant. Je trouve aussi, c’est une réflexion très personnelle, qu’il faut plutôt investir dans des petites structures à taille humaine, plutôt que dans les grandes. Tout en maintenant les liens de proximité, avec l’extérieur.

Dans les hébergement temporaires [Centre d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS), foyers, appartements d’accueil…] les services à la personne – aide à l’accès aux droits, à la santé – sont le plus souvent quasi inexistants. Pourquoi cette mise à l’écart d’une population déjà très précaire ?

Il y a plusieurs sujets dans ce que vous évoquez. Il y a d’abord ceux qui sont en dehors des radars. Ce sont les aides qui peuvent exister et que parfois on ne connaît pas. Ça a été discuté à l’Assemblée nationale, il faut faire en sorte qu’elles soient systématisées, que vous ne soyez pas obligé de faire des démarches. Il faut arriver à mieux identifier et coordonner. On l’a mis en place sur le « revenu jeune », qui est un peu comme la « garantie jeune », avec un vrai accompagnement. On va voir ce que ça peut donner. Mais ça n’est pas tout le temps facile à mettre en place parce que les personnes ne sont pas toujours dans les tuyaux administratifs.

La question interroge le manque d’accompagnement dans les CHRS et foyers…

Il y a des réflexions, notamment pour améliorer la prise en charge. Parfois il faut aussi repenser les modèles. La crise sanitaire nous a aussi appris que la santé est une priorité. Notamment parce que c’est un droit qui permet d’avoir accès à d’autres droits. Je le vois sur les sujets sur lesquels je travaille : lutte contre les violences, les femmes isolées, la précarité, les mineurs en difficulté. La santé est un bon accès, une bonne façon de raccrocher quelqu’un dans notre société. C’est pour ça qu’il faut mettre les moyens sur la santé de proximité et aussi sur le aller vers.

Le plan met de côté les autres formes de logement permettant autant le maintien à domicile que la vie collective (pensions de familles, habitat participatif, intergénérationnel, etc.). Pour quelles raisons ? N’y-a-t-il pas là un manque d’ambition ?

Ça existe. Mais quand les sujets sont pilotés au niveau local, ce sont des décisions qui dépendent aussi des collectivités territoriales, des associations, de l’Agence régionale de la santé (ARS). Aujourd’hui, dans le débat public, tout le monde est d’accord pour favoriser ce qui est de proximité. Après, à mettre en œuvre, on remet en cause beaucoup d’habitudes aussi, les choses prennent du temps.

Ces formes alternatives semblent peu poussées institutionnellement…

Le Premier ministre en a parlé, mais ce n’est pas l’État qui décide de la forme des structures au niveau local.

Mais si l’État poussait vers ces formes alternatives, est-ce que les collectivités locales ne seraient pas obligées de les privilégier ?

L’État ne fait pas ce qu’il veut avec les collectivités territoriales. Je l’ai vu sur d’autres sujets, comme sur le logement. On peut dire des choses, mais on négocie. Et l’indépendance des collectivités territoriales est aussi une bonne chose.

Au-delà de la question du logement, la vraie misère est très souvent silencieuse. Le non accès aux droits et à la dignité provient aussi de la honte d’aller demander une aide. Que proposent le gouvernement et la majorité pour lutter contre une situation inacceptable pour un pays riche comme la France ?

La France est un pays exceptionnel, où il y a de la solidarité, de la fraternité. C’est dans notre devise républicaine et c’est un principe qui doit régir toute action publique. On aide non pas parce qu’on a pitié mais parce que chacun d’entre nous contribue à la société, a sa place dans la société. Après, il y des personnes avec qui il faut certainement faire plus. Mais l’accompagnement ça n’est pas juste donner une aide, c’est faire avec, faire ensemble.

Pour Emmanuel Macron, les aides sociales coûtent pourtant « un pognon de dingue » au regard des résultats…

Aujourd’hui, il y a beaucoup d’argent mobilisé. La phrase d’Emmanuel Macron est ancienne et il s’est passé beaucoup de choses depuis. On a mobilisé beaucoup d’argent sur les questions de santé, beaucoup sur l’accompagnement social, beaucoup aussi sur les jeunes… Si on veut faire en sorte d’avoir des personnes qui s’en sortent mieux, il faut aussi penser aux plus jeunes. Parce que plus tôt vous prenez en charge, non pas seulement les difficultés mais que vous allez aussi chercher les potentiels, et mieux c’est.

Nous, nous nous intéressons à une population totalement opposée, les personnes âgées isolées et en grande précarité…

La précarité commence souvent jeune. Chez les personnes précaires, combien viennent de l’aide sociale à l’enfance ? Et pour les personnes âgées, les personnes précaires, les personnes handicapées, il y a des choses à développer et on l’a fait. Et c’est le même système, c’est une logique d’accompagnement, de main dans la main, et de valorisation de la personne. La volonté de développer les maisons de santé, de prolonger l’autonomie à domicile et de mettre les moyens aussi, de permettre aux gens de garder leur liberté et de pouvoir mieux vivre, c’est une question de qualité de vie, ça aussi c’est mis en place. Mais ensuite sur l’accompagnement, il faut expérimenter des choses et il faut aussi le faire au niveau local. Ce sur quoi j’insiste, c’est que seul l’État ne peut pas tout.

Concernant l’accès aux droits, une tendance est la dématérialisation complète des relations aux impôts, à la sécurité sociale, à la CAF, etc. C’est une catastrophe pour les plus fragiles. Que propose le gouvernement pour ces personnes ?

Il faut distinguer trois sortes de population : ceux qui s’en sortent très bien ; ceux que l’on peut former ; ceux qu’on n’arrivera pas à former, comme ma grand-mère de 85 ans. Mais j’ai aussi vu des jeunes qui vont sur Tiktok être complètement perdus pour remplir un formulaire CAF. Il y a donc déjà un sujet avec les plus jeunes. Pour ceux qu’on n’arrivera pas à former, il faut garder le contact humain. Il y a les maisons France Services, il y a des Bus aussi, des systèmes qui permettent d’accompagner. L’intelligence artificielle nous offrira aussi à l’avenir des solutions. Après bien sûr qu’il faut garder le contact humain.

Propos recueillis par le groupe des Petits Frères de Marseille