Voisins des deux rives… un an après

mai 2022 | PAR Imen, Samantha Rouchard, Twaba
En 2020, les jeunes du centre social de La Gavotte-Peyret à Septèmes-les-Vallons étaient partis à la rencontre des demandeurs d’asile qui vivaient dans le centre d’accueil, de l’autre côté du rond-point de la cité. A l’été 2021, les binômes se sont recréés. Les jeunes ont grandi, certains ont laissé la place aux nouveaux. Les demandeurs d’asile, eux, ont pour la plupart déménagé dans d’autres villes du département, certains ont obtenu leur titre de séjour, d’autres sont toujours en attente de régularisation.

« Moi, quand je demande quelque chose je l’ai tout de suite. Alors qu’eux, ils galèrent »

Mustafa et sa famille vivent aujourd’hui à Salon-de-Provence. En un an, leur situation a évolué. Ils ont obtenu leurs titres de séjour pour dix ans. Ça les rassure. Lorsque que je les ai rencontrés, son épouse, Weida, était sur le point d’accoucher d’un deuxième petit garçon. Ils veulent l’appeler Housman. « Une des figures les plus courageuses et influentes de l’Islam », m’ a expliqué la maman. Mustafa travaille de nuit dans un snack en CDI à Marseille, faire les allers-retours tous les jours lui coûte cher. Mais la famille n’a pas eu d’autre choix que d’accepter la première proposition de logement qui leur a été faite à Salon-de-Provence. Mustafa voudrait retourner vivre sur Marseille pour être plus près de son travail et plus proche de leurs amis. Après son accouchement, Weida souhaite apprendre le français pour pouvoir, ensuite, trouver un emploi. Son rêve ? Devenir infirmière et être une bonne mère pour ses enfants. Par contre, ils n’ont plus de contact avec leur pays, l’Afghanistan, ni de liens avec leurs familles restées là-bas. Je ne sais pas trop pourquoi.

C’était ma première rencontre avec Mustafa et sa famille. Et ce fut une très belle rencontre. A l’école, on nous parle des migrants et de leur traversée de la Méditerranée en bateau. Avec le projet du centre social, on met des visages sur ces demandeurs d’asile. Et Weida porte sur le sien la douceur et la gentillesse. Je trouve que je me plains beaucoup trop. Moi, quand je demande quelque chose je l’ai tout de suite. Alors qu’eux, ils galèrent. On n’a vraiment pas les mêmes conditions de vie. J’espère que grâce à leurs titres de séjour, leur future route sera moins compliquée. On ne sait jamais ce que la vie nous réserve… Car même le plus riche peut devenir le plus pauvre demain. Layine, 15 ans

 

« Difficile de rester actif quand l’esprit est occupé par plein de problèmes »

J’ai rencontré Khalda et Yousri l’an dernier, ils sont originaires du Soudan. Et je suis heureuse de les retrouver cette année. Aujourd’hui, Yousri et son fils de 31 ans vivent toujours au CAES (1). Le père vient souvent au centre social pour passer le temps. Khalda, elle, est partie vivre dans un autre centre d’hébergement, à Avignon. Yousri aime toujours autant les plantes : « Je suis le meilleur des jardiniers », me dit-il en rigolant. Il s’est souvenu que je voulais devenir préparatrice en pharmacie et il m’a répété que dans mon métier, connaître les plantes était une chose importante. « Si tu aimes les fleurs, alors je peux t’apprendre tous leurs secrets », m’a-t-il proposé. Je lui ai dit que je n’avais pas de jardin, mais que j’aimerais en avoir un, un jour. Yousri est âgé et semble fatigué par sa vie actuelle. Ne pas avoir de papiers lui pèse. « Je suis un homme actif dans ma vie. Je l’ai toujours été. Je lis beaucoup, je fais de la musique et je suis passionné de jardinage… Aujourd’hui je me sens empêché par la situation », m’explique-t-il, un peu triste.  Il essaie quand même de passer le temps du mieux qu’il peut. Il apprend le français et passe de longues heures à la bibliothèque. Il vient aussi très souvent au centre social pour participer aux activités. Même si comme il me le dit : « C’est difficile de rester actif quand on a l’esprit occupé par plein de problèmes ». Chaïma, 17 ans

 

« La culture d’origine, on a grandi avec. Mais chez moi, c’est un sujet dont on ne parle pas »

Yousri est quelqu’un de vraiment différent de moi. J’ai appris beaucoup de choses sur lui. On a pu discuter en anglais et se comprendre. Il vient du Soudan. C’est un homme cultivé qui aime lire, principalement des livres qui traitent de politique, d’histoire ou de science-fiction. Moi j’ai 18 ans, je suis né à Marseille et je suis en fac d’économie. J’adore le sport, les films et la musique. Ma famille est aussi une famille qui a connu la migration. La culture d’origine, on a grandi avec. Mais chez moi, c’est un sujet dont on ne parle pas. Je sais que ma mère est arrivée à l’âge de 26 ans. Mais je n’ai jamais posé plus de questions. Yousri n’est plus très jeune, mais il se demande quand même s’il va pouvoir travailler, ici en France. Il a exercé plusieurs métiers dans sa vie, en lien avec le commerce international, qui lui ont permis de voyager un peu partout dans le monde. Il a vécu en Angleterre, en Autriche et en Suisse. Ça lui a permis de connaître différentes cultures. Il m’a conseillé d’en faire autant. Je voudrais travailler dans le secteur bancaire. Il m’a donné des conseils. Et a insisté sur l’importance de savoir parler plusieurs langues et de saisir les opportunités qui s’offrent à moi, notamment à l’international. C’était un entretien enrichissant. Il m’a surtout dit une phrase très importante : « Il faut que tu ailles vers la chance et ne pas attendre qu’elle vienne vers toi. » Je vais essayer de l’écouter. Rachid, 18 ans

 

« En allant à la rencontre des autres, on grandit plus vite et on devient plus ouvert d’esprit »

Rachid sait ce qu’il veut dans la vie. Et c’est une personne qui sait écouter. Il fait aussi beaucoup de sport. Et c’est rare de rencontrer un jeune qui prend soin de sa santé et qui a une bonne hygiène de vie. J’espère que sur sa route, il va faire les bonnes rencontres qui vont lui donner toute la motivation dont il a besoin. Depuis un an, je trouve que tous ces jeunes ont progressé. Ils ont plus confiance en eux. Ils ont beaucoup appris. Leurs caractères sont en construction. En allant à la rencontre des autres, on grandit plus vite et on devient plus ouvert d’esprit. Ces rencontres sont très importantes autant pour eux que pour nous. Yousri, demandeur d’asile originaire du Soudan

 

« Je me demande comment il a réussi à tenir aussi longtemps en Afghanistan »

J’ai rencontré Ahmad à Cavaillon dans le centre pour demandeurs d’asile où il vit depuis quelques mois. Il a une petite chambre à lui, avec un matelas, un joli tapis, un frigo et de quoi cuisiner. Il m’a offert une tasse de thé au gingembre auquel il a ajouté du miel. Il m’a parlé de l’Afghanistan, de sa famille, du travail qu’il exerçait dans son pays. Il était chauffeur-livreur dans une société de gaz. Un métier dangereux, à ce que j’ai compris. Son parcours m’a ému. Plus il me racontait et plus j’imaginais sa vie en Afghanistan, et je me demandais comment il avait réussi à tenir, là-bas, aussi longtemps. J’avais déjà entendu parler des talibans, je savais que c’était des tueurs, mais je ne savais pas l’impact qu’ils pouvaient avoir sur le quotidien des gens. Aujourd’hui, Ahmad est soulagé car il vient d’obtenir son titre de séjour de quatre ans. Il est heureux de vivre à Cavaillon, car la nature y est plus présente qu’à Septèmes-les-Vallons. Il m’a montré le potager qu’il a créé dans le jardin du centre. Ahmad veut suivre une formation de jardinier-paysagiste. Il a l’air apaisé et ça se voit. Il a perdu énormément de poids depuis l’an dernier. Et même si sa famille lui manque, il a enfin retrouvé le sourire.

Moi, je suis au lycée Pro, en classe de Mit (Moteur Installation Thermique). J’ai obtenu mon CAP cette année. Et là j’entre en Bac Pro. Je suis l’aîné de trois frères. Mon plus grand rêve serait d’aller vivre à Miami. Et plus tard j’aimerais créer mon entreprise de clim et de chauffage. Sabri, 18 ans

 

« Par rapport à l’an dernier, ils ont l’air plus heureux »

J’ai remarqué que par rapport à l’an dernier, Ahmad et Azimi avaient l’air plus heureux, souriants et apaisés. Ils vivent à Cavaillon, aujourd’hui. Azimi a une chambre à lui. Sur son lit est posé un ours en peluche. On l’a un peu taquiné avec ça. Il m’a répondu en souriant que c’était le cadeau d’une amie. Il parle beaucoup mieux français que l’an dernier. Il a appris tout seul sur internet et en allant à la bibliothèque. Pas facile ! Il veut encore améliorer la langue avant de chercher du travail. En attendant, il passe le temps en jouant au foot. Il fait aussi de la boxe : « Ça m’aide à me vider la tête et à déstresser », m’a-t-il dit. Moi, je suis en terminale. Dans ma vie future, j’aimerais exercer le métier d’ingénieur. J’habite à Marseille, j’ai deux sœurs et un frère. Et j’aime le rap. Marwan, 16 ans

 

« Sans papiers, leur situation est compliquée »

Ïa et ses parents sont originaires du Mali. Ils sont en France depuis 2019. Pour ma part, c’était la première fois que je les rencontrais. J’avoue que j’étais un peu gênée de devoir aller chez eux et de leur poser des questions. Je suis timide et j’avais peur de les déranger. Mais au final, eux aussi étaient intimidés. Depuis un an, leur vie a changé. Ils n’habitent plus à Septèmes-les-Vallons mais dans le centre-ville de Marseille. Ils ne dorment plus à l’hôtel mais dans un appartement où Ïa a sa propre chambre. C’est bien pour elle, car elle peut faire ses devoirs au calme. Elle est inscrite dans une école du quartier, elle entre en CM1 cette année. Et le plus important, c’est qu’elle a réussi à se faire des copines, ça a été plutôt facile pour elle de s’intégrer d’après ce qu’elle m’a dit. Elles sont allées à la plage ensemble cet été. Doussou, la maman d’Ïa les a accompagnées. Mais ses camarades d’école ne savent rien de son histoire, ni d’où elle vient, ni même le long trajet qu’elle a dû parcourir pour venir jusqu’à nous. Sa maman ne parle pas français, c’est Ïa qui lui traduit tout. Pour passer le temps, elle fait de la couture, elle crée ses propres vêtements. Le jour de notre visite, elle avait une très belle robe qu’elle avait fabriquée elle-même. Mamadou, le père d’Ïa, est heureux d’avoir déménagé sur Marseille, il aime bien le marché aux puces et se balader sur le Vieux-Port. Mais il lui tarde de pouvoir travailler pour subvenir aux besoins de sa famille. Car sans papiers, leur situation est compliquée.

Ma famille aussi vient d’ailleurs. Mes parents sont d’origine algérienne. Mon père est né au bled, mais je ne sais pas pour quelles raisons il est venu en France. Je ne lui ai jamais posé la question. Ïa a quatre frères restés au Mali. Moi j’ai quatre sœurs qui vivent ici, je suis celle du milieu. J’ai eu mon brevet et je suis en seconde aujourd’hui. Je vis à Salon-de-Provence. Plus tard, je voudrais travailler avec les personnes âgées. La situation de cette famille me touche beaucoup. Ça me fait de la peine de savoir qu’ils ont du mal à payer leurs factures et à acheter les fournitures scolaires d’Ïa. Nérimen, 17 ans

 

« Grâce à ce projet, mes préjugés se sont effacés »

Ali vit aujourd’hui au Centre d’accueil des demandeurs d’asile (Cada) de Miramas. Sa situation a beaucoup évolué depuis l’année dernière. Ça donne de l’espoir car en un an tout peut arriver ! Ali a trouvé un travail, il vit dans un appartement et non plus une chambre d’hôtel et l’obtention de son titre de séjour est en bonne voie. Quelques jours plus tôt, il était à Paris, pour passer son entretien à l’Ofpra (Office français de protection des réfugiés et apatrides), dans l’espoir d’obtenir enfin ses papiers définitifs. Son parcours est motivant pour les autres. Comme quoi si à chaque étape on leur en donne les moyens, toutes les personnes que nous avons rencontrées peuvent réussir. Pour certains ça prendra plus de temps, mais ils peuvent y arriver.

Avant de participer à ce projet, je n’avais jamais rencontré de migrants, j’en avais juste entendu parler à la télé. « Voisins des deux rives » est vraiment un projet super car ça nous permet de rencontrer des gens venus d’ailleurs, ça nous sensibilise à leur sort, ça nous fait grandir et mûrir plus vite. Kheltoum, 18 ans

Avant j’avais des préjugés, je me disais que les migrants étaient différents de nous. Aujourd’hui grâce à ce projet, mes préjugés se sont effacés. Ça nous a ouvert les yeux. Les demandeurs d’asile sont des humains comme nous. Marwa, 18 ans

(1) Centre d’accueil et d’évaluation des situations

Quelques mots pour Arbaa Sahel...

« On peut laisser “Salam” au début de la lettre. Moi je trouve que c’est bien. Au bled, tout le monde se dit Salam. Ça montre qu’on les considère comme des frères », suggère Imen, 15 ans. Ce matin d’août, dans l’appart’hôtel du centre de vacances varois qu’ils occupent pour la semaine, le groupe de jeunes du centre social Les Musardises (Marseille, 15ème) rédige une lettre qu’ils vont envoyer aux Marocains d’Arbaa Sahel pour garder le lien. « On devait partir au Maroc pour aider les jeunes de l’association Tamount Sahel à réaliser un jardin partagé pour alimenter les écoles du coin. Mais à cause du Covid, on est coincés en France. Ça fait deux ans que notre voyage est annulé », se désole Jawed, 18 ans. « C’est sympa ici, mais le Maroc c’est mieux ! », insiste Merwan, 17 ans.

L’an dernier, les jeunes du centre social ont envoyé une vidéo aux jeunes marocains : « On a filmé notre quartier, notre jardin partagé. Et toutes celles et ceux qui participent au projet se sont présentés. On a aussi réalisé des interviews de deux habitants qui ont vu évoluer le quartier. Celle du président d’une association de locataires et celle d’une employée du centre social qui est née et a grandi là », précise Jawed. L’objectif était pour les jeunes du centre de connaître mieux leur environnement et de donner envie aux Marocains de venir leur rendre visite.

Dans leur missive,  les jeunes s’excusent de ne pas avoir pu venir mais ils hésitent à mettre des photos d’eux pour accompagner leur courrier. « On a peur que ça leur fasse de la peine s’ils voient que l’on est quand même dans un centre de vacances et que l’on s’amuse alors qu’eux n’ont peut-être pas de séjour de remplacement », s’inquiète Sonia Khelil, responsable secteur jeunes du centre social des Musardises. « On n’a pas envie qu’ils nous voient plonger dans la piscine alors qu’ils n’ont rien », ajoute Tawba, 17 ans.

Il y a deux ans, Yasmine, 18 ans, elle, a eu la chance de participer à un autre projet J2R « Citoyens d’ici et d’ailleurs », autour de la danse urbaine, en Tunisie. « C’était une bonne expérience. Mélanger nos cultures nous a enrichis », note-t-elle. Mais là aussi Covid oblige, les jeunes tunisiens n’ont pas pu faire le voyage jusqu’en France.

Cette année encore, chacun est triste de ne pas aller au Maroc, « de ne pas voir comment on vit là-bas… », souligne Imen. En attendant que la crise sanitaire ne soit plus qu’un mauvais souvenir, les jeunes des Musardises terminent leur lettre : « Faites-nous part de votre quotidien, de vous personnellement et de votre cadre de vie car il est bien différent du nôtre. En espérant que de notre côté on en saura plus sur vous pour créer des liens plus forts, chers camarades marocains ! »