Construire sa ville

mai 2022 | PAR Karim, mohamed, Samantha Rouchard
Chaque année, au début de l'été et le temps d'un week-end, la Ligue de l'enseignement 13 regroupe sur l'île du Frioul tous les jeunes marseillais des centres sociaux participant au programme J2R pour un parcours citoyen. Le jeu « Ma ville et moi… et nous » interroge les notions de laïcité et de citoyenneté, d'espaces publics et privés. L'occasion pour les jeunes de se concerter pour construire leur ville idéale.

« L’idée de départ c’est que vous posiez vos pièces sur le plateau sans discuter entre vous. Dans un second temps, vous expliquerez vos choix d’emplacements. L’important c’est de s’écouter et de partager. Et à la fin, vous vous concerterez pour construire votre cité idéale », rappelle Karim Rahali, directeur du centre social de l’Estaque et animateur, cet après-midi là, de Ma ville et moi… et nous. Le tapis de jeu est disposé sur une table du réfectoire du centre Léo Lagrange, au Frioul. Il représente un immense espace vierge traversé d’un fleuve, d’une petite rivière et avec dans l’angle, une plage. Dans la mallette, on trouve des maisons en carton et de quoi aménager la cité idéale. C’est Michel Miaille, président de la fédération de la Ligue de l’enseignement de l’Hérault, qui est le concepteur de ce jeu qu’il met à disposition des différentes fédérations. A travers la construction collective d’une ville, cette animation vise à appréhender la différence entre espace public et privé, base de la compréhension de la laïcité.

HLM en bord de mer

La dizaine de jeunes qui participent à l’atelier récupèrent deux à trois bâtisses, des ponts, des arbres, etc. et chacun tente de les disposer sur le plateau. Certains placent, puis déplacent les pièces cartonnées. « Euh, t’es sûr que c’est un hôpital ? Moi je dirais plutôt une prison, non ? », demande un des joueurs perplexe. Karim Rahali précise que quelques-unes des pièces sont neutres et que celle ou celui qui en a en sa possession imagine ce qu’elle ou il veut. Youssef, du centre social Saint-Joseph, réfléchit où placer ce qu’il pense être des barres d’immeuble, son rond-point et son terrain de tennis. « Moi j’ai le siège social de la Ligue de l’enseignement », sourit Myriam, joueuse et animatrice du centre social Vallée de l’Huveaune. « Vous pouvez me dire si mon immeuble est bien placé, là ? », interroge un des participants. « Sois patient, on attend que tout le monde ait terminé et on verra ce qu’il manque », rappelle Karim Rahali. Myriam a situé La Ligue dans ce qu’elle considère le centre-ville du plateau : « Comme ça elle est accessible à tout le monde », précise-t-elle. Youssef a positionné les barres HLM en bord de mer « histoire d’avoir une autre vue quand on regarde par la fenêtre » et juste à côté, la mairie « pour qu’on puisse faire de belles photos pendant les mariages », souligne-t-il. L’assemblée valide.

Ahmed a placé une entreprise entourée d’un grand jardin en périphérie. « L’espace vert c’est pour le bien être des travailleurs ? », taquine l’animateur du jeu. « Non, c’est juste une entreprise de riches. A côté, j’ai même mis la maison du patron, comme ça il peut les regarder travailler », sourit le jeune. Hachim, du centre social Saint-Joseph, a choisi de placer le commissariat juste à côté des commerces. « C’est bien, en cas de vol, ils sont directement là ! », commente Myriam. Karim a positionné sa boucherie au centre, à côté de la bibliothèque et du palais de justice : « car le centre-ville est l’endroit le mieux desservi et tout le monde peut s’y rendre », justifie le participant. Myriam a aussi mis l’hôpital en centre-ville, pour les mêmes raisons. Imen finit par comprendre que ce qu’elle pense être « un hôtel pas cher pour touristes » est en fait… l’Hôtel de ville. Elle a aussi installé la pharmacie entre la plage et le terrain de tennis « si jamais quelqu’un se blesse en faisant du sport ».

Réflexion démocratique

Tout le monde a terminé ses placements. Vient alors le moment de la concertation. Karim Rahali les aiguille et leur dit de regarder ce qui manque dans cette ville, et de réfléchir aux questions de laïcité, d’éducation, de liberté de circulation… L’école fait enfin son apparition. « Vous imaginez un grand ensemble comme celui-là, avec le nombre de familles qui vivent à l’intérieur sans école à proximité ? », fait remarquer l’animateur. Et d’ajouter : « Vous voyez quand vous vous concertez, que vous discutez entre vous, que vous prenez la parole, vous créez un espace de réflexion démocratique. C’est important, car dans le cas présent ça vous a permis de positionner une école. Que chacun dans votre coin vous aviez oubliée ! » Les participants ajoutent aussi un deuxième pont pour fluidifier la circulation. « C’est normal que dans votre ville il n’y ait qu’une ligne de bus ? », soulève l’animateur. Les jeunes débattent : certains veulent plus de lignes, d’autres pensent ajouter une gare, deux autres un aéroport. « Construisons un parc d’attractions et on n’en parle plus ! », ironise Karim.

« En regardant votre plateau, je me dis que les habitants sont tous athées… », fait remarquer l’animateur. Les jeunes n’ont jusque-là positionné aucun lieu de culte. A la vue du temple, Hachim se demande s’il s’agit d’une mosquée. « Moi je pensais que c’était un resto chinois ! », s’exclame Myriam provoquant un fou rire de l’assemblée. Reste à les placer dans la ville. Hachim met la mosquée dans la cité : « Parce que c’est là qu’elles sont à Marseille », note-t-il. Youssef met la synagogue dans la forêt : « Pour ne pas déranger, à la fois, ceux qui prient et les non croyants. » Mohamed, au contraire, préfère regrouper tous les lieux de culte dans le centre-ville. « Ce ne sont pas que des lieux de croyance, ils font aussi partie du patrimoine. Et les rassembler, ça permet à chacun de les visiter », précise le jeune homme.

Dernière question de l’animateur : « Quand vous regardez votre ville est-ce qu’elle est idéale pour le vivre ensemble ? » Les yeux plongés sur le plateau, chacun réfléchit. Et Youssef de conclure : « On a mis tous les HLM en bord de mer, et rien que ça c’est déjà bien ! »

Et toi, quelle est ta ville idéale ?

Anaïs, 17 ans : « Béjaïa, en Algérie parce que c’est une ville calme. Et la vue y est magnifique. Il y a la mer d’un côté et la montagne de l’autre. Yemma Gouraya surplombe la ville. »

Twaba, 16 ans : « C’est Marseille, car j’ai grandi ici. J’aime la mer et le soleil. »

Beka, 56 ans, animateur au centre social de l’Estaque depuis 35 ans : « Marseille, son soleil, ses valeurs… C’est ici que j’ai fait mes premiers pas. C’est une ville extraordinaire autant dans sa diversité que dans sa richesse. C’est une ville de partage. C’est LA ville de référence pour moi. Côté infrastructures nous avons le Vieux-Port, le Mucem, etc. Certains quartiers sont restés des espaces micro villageois. Comme l’Estaque qui a une zone de vie sociale énorme, avec un tissu associatif qui œuvre et qui combat. L’Estaque vient d’Estaco qui signifie “lien, attache” et c’est mon attache ! Chaque habitant qui est né là, y revient toujours. »

Hazim, 25 ans : « Marseille. C’est une ville où chacun vit en harmonie et chacun est libre de dire ce qu’il pense et ce qu’il veut. »

Yasmina 17 ans : « Rio de Janeiro, car c’est festif, y’a le soleil, la bonne humeur et les filles qui dansent. »

Karim Rahali, directeur du centre social de L’Estaque : « Montpellier car c’est propre, le centre-ville est vivant et c’est très bien desservi. C’est un exemple en matière de transports en commun. C’est aussi un exemple de mixité, avec un vivre ensemble plus important qu’à Marseille. Et parce que j’aime bien la région. »