« Comprendre la mécanique de pensée du racisme permet de la déconstruire »

mai 2022 | PAR Camille, Chandeni, Hajar, Ilona, Karim, Kelthoum, mohamed, Rizlène, Samantha Rouchard, Sarah, Yasmina
Formé à la bande dessinée en Belgique, l’Aixois Ismaël Méziane a sorti un premier album en trois tomes Nas, poids plume et plus récemment Comment devient-on raciste ? (éd. Casterman). Nous l’avons rencontré lors du week-end au Frioul où il a animé des ateliers autour de la déconstruction de la mécanique raciste. Il a bien voulu se prêter au jeu de questions-réponses. Interview.

Pourquoi avez-vous choisi le racisme comme thématique de votre dernier album ?

J’ai moi-même été victime de racisme et j’avais besoin d’en savoir plus sur cette problématique. Parce que je voulais comprendre comment on pouvait s’en sortir. Ce qui était important pour moi c’était de m’extirper de cette position. Et de comprendre que j’avais une part de responsabilité là-dedans et donc que je pouvais agir, en lisant, en essayant de déconstruire les mécanismes.

Est-ce qu’il y a eu un déclic particulier ?

Oui, les attentats de Charlie Hebdo. Pendant la manifestation, les gens m’ont regardé comme si j’avais l’intention de faire quelque chose de mal. Ça m’a mis très en colère, pendant longtemps. A côté de ça, j’ai fait une psychanalyse pour essayer de comprendre pourquoi j’étais tout le temps à cran. Et j’ai pu savoir d’où venait cette colère. J’ai donc décidé de faire un livre là-dessus.

Combien de temps avez-vous mis à créer cette BD ?

J’ai pris un an pour l’écrire, et un an pour la réaliser. C’est une période où j’ai énormément travaillé. Car j’ai un autre métier à côté. Je suis médiateur. Ça consiste à patrouiller dans le centre-ville pour voir si tout va bien.

Est-ce que vous avez une anecdote particulière à nous raconter sur la création de la BD ?

Mon fils est né à ce moment-là, c’est une jolie anecdote (rires). Et il est en lien avec mon livre. Quand on a appris que ma femme était enceinte, mon oncle Nacer m’a dit : « Sois intelligent, pense à l’avenir de ton fils et ne lui donne pas un prénom arabe. » Ça m’a mis très en colère qu’il me dise ça. C’est-à-dire qu’il avait emmagasiné et accepté le fait que porter un prénom arabe pouvait être préjudiciable dans la vie de mon gamin. C’est vrai, si tu raisonnes à partir d’aujourd’hui, seulement, le futur, on ne le devine pas. Et c’est vrai, aussi si tu raisonnes de la sorte. A ce moment-là, j’ai compris que le racisme, nous baignons tous dedans, à différents degrés. Et parfois nous véhiculons des stéréotypes sans même nous en rendre compte. C’est en ça que le livre est important, pour faire comprendre cela au plus grand nombre. Et à vous aussi, car on est tous responsables. Mais attention, « responsable » ne veut pas dire coupable ! Ça veut simplement dire que tu as le pouvoir d’agir et que ce n’est pas parce que ça se passe de cette manière dans notre société actuelle, qu’il en sera de même dans dix ans. Tout dépend si tu agis ou pas. Finalement j’ai appelé mon fils Nour, « lumière » en arabe.

Mais comment agir quand on n’a pas d’influence ?

Mais bien sûr que vous avez de l’influence ! Ne serait-ce que par votre manière de penser. Si vous comprenez la mécanique de pensée du racisme, vous pouvez le désamorcer. Vous êtes aussi des individus de cette société, vous avez la parole. Et vous avez aussi accès aux réseaux sociaux. Tout cela vous permet d’avoir de l’influence. Vous ne vous en rendez pas compte mais rien qu’en vous parlant, là, je vous influence.

Quelles sont les réactions que vous voulez susciter chez le lecteur de votre BD?

Je veux que le lecteur soit secoué et qu’il se dise : « Ah merde, moi aussi je raisonne comme ça. » Et qu’il soit capable de prendre du recul et fasse attention à la manière dont il pense. Aujourd’hui beaucoup de personnes répètent ce qu’ils entendent à la télé ou sur les réseaux sociaux sans réfléchir. Pourtant réfléchir permet de digérer l’information, de la décortiquer et de la désamorcer. Quand tu comprends la mécanique de pensée – catégorisation, hiérarchisation, essentialisation – tu ne régurgites plus l’information directement, au contraire tu deviens capable de désamorcer ce qui est nocif ou pas. Je veux que mon lecteur soit capable de réfléchir à ce qu’il dit et à comment il le dit.

 

 

Comment devient-on raciste ? Du livre à l'atelier

La BD d’Ismaël Méziane tente de déconstruire les mécanismes qui poussent aux discriminations en général et au racisme en particulier. Pour son album, le dessinateur s’est fait accompagner de l’historienne et chercheuse Carole Reynaud-Paligot et de l’anthropologue généticienne Evelyne Heyer. Les deux scientifiques donnent la définition suivante du racisme : « Le racisme c’est quand tu ranges des individus dans une boîte et que tu leur colles une étiquette indélébile qui leur attribue des caractéristiques. » Avec trois éléments à prendre en compte : la catégorisation, la hiérarchisation et l’essentialisation.

Dans les ateliers qu’Ismaël Méziane a menés pendant le séjour au Frioul, il a expliqué cette mécanique à son auditoire. En début de séance les jeunes avaient du mal à dire s’ils avaient déjà eu des préjugés racistes envers d’autres. « Si je traite quelqu’un de blédard, je suis raciste? », interroge Imen, 16 ans. « Quand tu le traites de blédard, tu le traites d’abrutis. Tu lui signifies qu’il appartient au groupe des abrutis », précise le dessinateur. Le terme de race renvoie au racisme qui a justifié la colonisation. Ou au nationalisme nazi qui a justifié le génocide juif », explique le dessinateur. « Il faut comprendre que le mot race peut être dissocié du racisme, pas dans le sens historique mais dans le sens où tout peut servir à exclure, ta langue, ton ethnie, ta culture, etc. », ajoute-t-il.

Quand Ismaël Méziane aborde le racisme d’Etat, ça fuse dans l’assemblée : « On est dans un Etat raciste, regarde Marine Le Pen par exemple », soutient Myriam. « Marine Le Pen, ce n’est pas l’Etat, c’est un parti politique », insiste Mohamed. Le dessinateur recadre : « L’Etat structure nos lois pour vivre ensemble. Actuellement dans la loi française, nous sommes tous libres et égaux en droits. La différence est là. Il y a des idées racistes c’est indéniable mais l’Etat n’est pas raciste. Ça ne veut pas dire qu’il ne peut pas le devenir, mais actuellement il ne l’est pas. »

Etat raciste

Il ajoute : « Par contre, un Etat devient raciste quand dans sa loi il précise un groupe particulier à exclure. » Il donne comme exemple les Etats coloniaux, dont la France à une époque. « Dans la colonisation algérienne, on définissait un groupe indigène qui n’avait pas les mêmes droits que les citoyens français », note-t-il. Et de rappeler la hiérarchisation et l’essentialisation des groupes : la race blanche était considérée comme « l’esprit de finesse », la race noire comme « indolente ». Et de préciser : « Ça a servi de prétexte pour coloniser ces peuples, pour leur bien, pour les civiliser. »

Il enchaîne ensuite sur le racisme nationaliste nazi qui est allé jusqu’au génocide : « On a structuré une société, organisé tout un système pour mettre des gens dans des trains et les exterminer ! » Pour conclure sur le génocide des Tutsis au Rwanda, mix des deux, où le racisme d’État s’est appusur le colonialisme et le nationalisme. Les jeunes présents écoutent avec grand intérêt. Et le dessinateur de conclure : « Le racisme c’est une pensée réflexe, et moi je vous ai proposé de passer du réflexe à la réflexion. Maintenant vous êtes obligés de ne plus accepter les propos racistes ! »