"Marseille a une longue tradition de violence contre sa population"

novembre 2021 | PAR Valérie Manteau
Trois ans après les effondrements de la rue d'Aubagne, l'écrivaine alerte sur la gentrification en marche dans le centre-ville de Marseille.

Valérie Manteau

Écrivaine, habitante de Noailles

Je me suis beaucoup demandé pourquoi le drame du 5 novembre avait pris une telle ampleur politique. Fin 2018, il y avait déjà eu beaucoup de morts du mal-logement à Marseille. Je crois que la prise de conscience c’est le sentiment de culpabilité de les avoir vus, ces immeubles, d’être passée plusieurs fois devant, d’avoir levé le nez et pensé « tiens, ils ont quand même une sale gueule… », mais de n’avoir pas su porter ce sujet politiquement avant le 5 novembre. Lorsqu’on dit que c’est de la faute de Gaudin, on dit que c’est un problème politique, donc une responsabilité collective.

« Le risque de gentrification de Noailles avait été annoncé, mais aucune mesure n’a été prise. »

Quand je suis arrivée à Marseille en 2012, on parlait déjà du projet de la Plaine, de la « reconquête » du centre-ville, Euromed était déjà en place comme un rouleau compresseur d’éradication de la ville pauvre. Le livre de Bruno Le Dantec sur La ville-sans-nom avait déjà prouvé qu’il y a à Marseille une longue tradition de violence contre sa population. Et malgré cela, on garde un sentiment d’exception par rapport à la plupart des grandes villes qui n’ont pas de centre-ville populaire. Même si on a l’impression de se battre contre quelque chose d’inéluctable : à Noailles, les loyers sont déjà en train d’augmenter, le changement sociologique est déjà en marche. Les habitants du quartier ne peuvent plus s’y loger : on devrait pouvoir trouver un T2 à 600 € par mois, mais ce n’est plus le cas. Et même 600 €, cela suppose de gagner 1 800 € par mois pour remplir les critères des propriétaires, donc être payé bien au-dessus du smic.

On assiste à une sorte de victoire de Gaudin : il a enclenché beaucoup de choses qui sont difficilement réversibles. Face à ça, la nouvelle municipalité n’a pas toutes les manettes, mais j’ai le sentiment qu’elle n’est pas non plus hypervolontariste sur ces questions. Le risque de gentrification de Noailles avait été annoncé, mais aucune mesure n’a été prise. On pourrait envisager un blocage des loyers, une pression sur la métropole pour qu’elle fasse davantage de logements très sociaux, accessibles à tous. Il y a de la lutte des classes qui se passe ici. C’est peut-être un des motifs d’espoir : le 5 novembre a fait émerger une mobilisation très forte, des gens qui se sont formés, ont créé une expertise et des liens entre eux, et ça non plus ce n’est pas réversible. Et aujourd’hui, les habitants sont représentés dans les dispositifs de réhabilitation de Noailles. Mais des questions demeurent toujours sans réponse. Par exemple, quels types de commerces va-t-on mettre dans la place des Halles Delacroix ? Moins de kebab ? Prendre ce genre de décision, c’est privilégier une ou l’autre population, c’est une option politique. »

Pour fêter le 18e anniversaire du Ravi, de grands témoins commentent des Unes marquantes ou des rubriques emblématiques dans le 200ème numéro du régional pas pareil qui ne baisse jamais les bras…